LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 17 octobre 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 559 F-D
Pourvoi n° G 23-10.288
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 OCTOBRE 2024
Mme [M] [V], veuve [B], domiciliée [Adresse 2], [Localité 4], a formé le pourvoi n° G 23-10.288 contre l'arrêt rendu le 17 novembre 2022 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [G] [X],
2°/ à Mme [Z] [Y], épouse [X],
tous deux domiciliés [Adresse 1], [Localité 5],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, cinq moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pety, conseiller, les observations de la SCP Françoise Fabiani-François Pinatel, avocat de Mme [V], de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de M. et Mme [X], après débats en l'audience publique du 17 septembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Pety, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 17 novembre 2022), Mme [B] était propriétaire de deux immeubles contigus, situés respectivement aux [Adresse 6] et [Adresse 1] d'une avenue à [Localité 5].
2. En 2004, elle a donné son accord pour vendre à M. et Mme [X], locataires, l'immeuble situé au [Adresse 1], en leur concédant, à titre gratuit, une bande de terrain prise sur la cour de celui situé au [Adresse 6].
3. Mme [B] ne souhaitant plus conclure l'opération, M. et Mme [X] l'ont assignée en perfection de la vente.
4. Par jugement du 18 février 2008, un tribunal de grande instance a fait droit à la demande au vu de l'accord des parties sur la chose et le prix, et renvoyé ces dernières devant le notaire aux fins d'établir l'acte authentique.
5. Le notaire a dressé un procès-verbal de difficultés, les parties étant en désaccord sur le plan de division à retenir.
6. Par jugement du 23 janvier 2012, la même juridiction, saisie par Mme [B] aux fins de résolution de la vente, a rejeté cette demande, dit que le plan de division applicable était celui du 27 juillet 2004 et renvoyé les parties devant le notaire pour établir l'acte authentique de vente.
7. Mme [B] ayant vendu l'immeuble situé au [Adresse 6] comportant la bande de terrain litigieuse, par acte du 8 novembre 2008, M. et Mme [X] l'ont assignée en réduction du prix de la vente judiciairement constatée.
8. Mme [B] a sollicité reconventionnellement la résolution de cette vente pour défaut de paiement du prix, la nullité pour vileté du prix, absence de cause et lésion et, subsidiairement, que ce prix soit augmenté de l'intérêt au taux légal ayant couru depuis le jugement du 18 février 2008 qui a déclaré la vente parfaite.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième et troisième moyens
9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ni sur les deuxième et troisième moyens qui sont irrecevables.
Mais sur le cinquième moyen, pris en sa première branche, dont l'examen est préalable
Enoncé du moyen
10. Mme [B] fait grief à l'arrêt de fixer le prix de vente à une certaine somme, alors « que les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 demeurent soumis à la loi ancienne ; qu'en jugeant que l'article 1123 du code civil dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et tel que modifié par la loi n° 2018-287 du 28 avril 2018 était applicable tout en constatant que la vente avait été jugée parfaite le 18 février 2008, la cour d'appel a violé l'article 9 de l'ordonnance et l'article 16 de la loi susvisées. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 9 de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et 16 de la loi n° 2018-287 du 28 avril 2018 :
11. Selon le premier de ces textes, les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d'ordre public.
12. Selon le second, l'article 1223 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 28 avril 2018, est applicable aux actes juridiques conclus ou établis à compter du 1er octobre 2018.
13. Pour réduire de 320 000 à 300 000 euros le prix de vente de l'immeuble, l'arrêt fait application de l'article 1223 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 28 avril 2018 précitée.
14. En statuant ainsi, après avoir retenu que cette vente avait été déclarée parfaite entre les parties par une décision du tribunal de grande instance de Pontoise du 18 février 2008, ce dont il résultait que l'action en réduction du prix était régie par les dispositions antérieures à la loi du 28 avril 2018, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le quatrième moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
15. Mme [B] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de condamnation de M. et Mme [X] à payer les intérêts moratoires sur le prix de vente et d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. et Mme [X] à lui payer des intérêts au taux légal sur le prix de vente entre le 10 avril 2014 et le 31 juillet 2017, alors « que le prix de vente porte intérêt aux taux légal, même si son exigibilité est reportée et qu'aucune sommation de payer ou d'un autre acte équivalent n'a été formulée, dès lors que le vendeur a livré la chose vendue ; qu'en jugeant, pour débouter Mme [B] de sa demande que le prix porte intérêts au taux légal, qu'elle n'avait pas fait sommation de payer aux époux [X] et que « [l]e paiement du prix ne sera exigible qu'au moment de la signature de l'acte authentique et du transfert de propriété qui a été retardé jusqu'à ce jour », la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants et n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1605 et 1652 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1605 et 1652 du code civil :
16. Aux termes du premier de ces textes, l'obligation de délivrer les immeubles est remplie de la part du vendeur lorsqu'il a remis les clefs, s'il s'agit d'un bâtiment, ou lorsqu'il a remis les titres de propriété.
17. Selon le second, l'acheteur doit l'intérêt sur le prix de la vente jusqu'au paiement du capital notamment si la chose vendue et livrée produit des fruits et autres revenus.
18. Il est jugé, au visa de ce dernier texte, que l'intérêt légal sur le prix de vente d'un immeuble d'habitation, qui représente la contrepartie de la jouissance du bien, est dû pour la période séparant la prise de possession du jour du paiement (3e Civ., 30 juin 1992, pourvoi n° 90-20.009, publié ; 3e Civ., 8 avril 2015, pourvoi n° 14-10.716).
19. Pour rejeter la demande d'intérêts légaux de Mme [B], l'arrêt retient que le transfert de propriété n'a pas eu lieu, du fait de l'obstination de celle-ci, aucune raison ne justifiant de prononcer des intérêts sur la somme de 300 000 euros qui sera versée au moment de la signature de l'acte authentique.
20. En statuant ainsi, alors que le transfert de propriété attaché à la vente se différencie de la possession du bien et qu'un immeuble susceptible d'être loué ou de produire des revenus est une chose frugifère par nature, de sorte que l'acquéreur doit l'intérêt légal sur le prix de vente dès la livraison de la chose par le vendeur, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fixe à 300 000 euros le prix de vente de la parcelle AB [Cadastre 3], infirme le jugement ayant condamné M. et Mme [X] à payer à Mme [B] les intérêts au taux légal sur le prix de vente entre le 10 avril 2014 et le 31 juillet 2017, avec capitalisation, et rejette la demande de Mme [B] en fixation des intérêts sur la somme due au titre de la vente, l'arrêt rendu le 17 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne M. et Mme [X] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept octobre deux mille vingt-quatre.