LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 novembre 2024
Cassation partielle
sans renvoi
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 586 FS-B
Pourvoi n° C 23-12.514
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 NOVEMBRE 2024
La société Crédit industriel et commercial, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 23-12.514 contre l'arrêt rendu le 8 mars 2022 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [H] [O],
2°/ à Mme [T] [J], épouse [O],
tous deux domiciliés [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de la société Crédit industriel et commercial, et l'avis de Mme Delpey- Corbaux, avocat général, après débats en l'audience publique du 1er octobre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, MM. Pety, Brillet, Mmes Foucher-Gros, Guillaudier, conseillers, Mmes Vernimmen, Rat, Bironneau, M. Cassou de Saint-Mathurin, conseillers référendaires, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 8 mars 2022), le 28 février 2013, en exécution d'un jugement du 20 décembre 2012, la société Crédit industriel et commercial (la société CIC) a pris une inscription d'hypothèque sur un bien ayant appartenu à ses débiteurs, M. [M] et Mme [X].
2. Le bien avait été cédé à M. et Mme [O] par acte authentique du 12 février 2013, publié le 28 février 2013.
3. M. et Mme [O] ont assigné la société CIC aux fins de mainlevée de l'inscription d'hypothèque.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La société CIC fait grief à l'arrêt d'ordonner la mainlevée de l'hypothèque du 28 février 2013 et de rejeter sa demande tendant à ce qu'elle soit jugée bien-fondée à poursuivre la procédure de saisie immobilière engagée, alors « que les créanciers privilégiés ou hypothécaires peuvent prendre inscription jusqu'à la publication de la mutation d'un bien au profit d'un tiers ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, après avoir rappelé que « l'article 30 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 dispose que les actes et décisions judiciaires soumis à publicité par application du 1° de l'article 28 sont, s'ils n'ont pas été publiés, inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble ont acquis, du même auteur, des droits concurrents en vertu d'actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité et publiés », a jugé que, ici, « le jugement du tribunal de commerce de Pontoise du 20 décembre 2012 n'était pas revêtu de l'exécution provisoire et n'a fait l'objet d'aucune inscription d'hypothèque judiciaire provisoire. Il n'est donc devenu opposable aux tiers qu'a la date du 28 février 2013 à laquelle le CIC a inscrit son hypothèque judiciaire définitive fondée sur le jugement du 20 décembre 2012. Or, a la date du 28 février 2013, le bien n'était plus dans le patrimoine de M. et Mme [M] comme l'a justement retenu le tribunal », puisque l'immeuble objet de l'hypothèque avait été acquis par les époux [O] le 13 février 2013 ; qu'en statuant ainsi, après avoir pourtant constaté que, comme le démontrait le CIC, si « le 28 février 2013, l'acte de vente a été publié au bureau des hypothèques d'[Localité 4] », « le même jour, mais antérieurement, le CIC a publié une hypothèque judiciaire sur ce bien contre M. [V] [M] », ce dont il résultait que l'hypothèque avait été valablement prise pour avoir été publiée avant que la vente ne le soit et qu'elle soit donc opposable aux tiers, la cour d'appel a violé l'article 2427 du code civil, ensemble les articles 28, 30 et 31 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2427 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, et les articles 30 et 31 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 :
5. Selon le premier de ces textes, les créanciers privilégiés ou hypothécaires ne peuvent prendre utilement inscription sur le précédent propriétaire à partir de la publication de la mutation opérée au profit d'un tiers.
6. Selon le deuxième, les actes et décisions judiciaires publiés par application du 1° de l'article 28 du décret susvisé sont inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble, ont fait inscrire antérieurement des privilèges ou hypothèques.
7. Selon le dernier, lorsqu'une formalité obligatoire en vertu des 1° à 3° de l'article 28 du décret précité est de nature à produire des effets opposables aux tiers en vertu de l'article 30 et une inscription d'hypothèque sont requises le même jour relativement au même immeuble, et que l'acte à publier et le titre de l'inscription portent la même date, l'inscription est réputée d'un rang antérieur, quel que soit l'ordre du registre prévu à l'article 2453 du code civil, devenu 2447 de ce code.
8. Il en résulte, en cas de conflit entre créancier hypothécaire et acquéreur de droits immobiliers à raison d'une publication requise le même jour relativement au même immeuble, que, lorsque le titre de l'inscription est antérieur à l'acte à publier, l'inscription hypothécaire est réputée d'un rang antérieur, quel que soit l'ordre du registre susvisé.
9. Pour ordonner la mainlevée de l'hypothèque, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que le titre de l'inscription de la société CIC, soit le jugement du 20 décembre 2012, n'était pas opposable aux tiers avant sa publication et que, en l'absence d'inscription provisoire, il n'a été rendu opposable aux tiers que le 28 février 2013, à une date à laquelle le bien grevé n'était plus dans le patrimoine des débiteurs de la banque, pour avoir été vendu le 12 février 2013.
10. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'inscription d'hypothèque et la publication de la vente avaient été faites le même jour et que le titre de l'inscription était antérieur à l'acte de vente, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
13. Compte tenu de ce qui précède, l'inscription d'hypothèque de la société CIC est réputée d'un rang antérieur à la publication de la vente du 12 février 2013, de sorte que la demande de mainlevée de l'inscription doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il ordonne la mainlevée de l'hypothèque du 28 février 2013 volume 2013 V numéro 586 sur le bien sis à [Localité 5] (95) cadastré section BB numéro [Cadastre 3], le tout aux frais de la société Crédit industriel et commercial, en ce qu'il rejette la demande de la société Crédit industriel et commercial tendant à voir dire qu'elle est fondée à poursuivre la procédure de saisie immobilière engagée devant le tribunal judiciaire de Pontoise et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application, dans les rapports entre les parties au pourvoi, de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 8 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Rejette la demande de mainlevée de l'inscription d'hypothèque de la société Crédit industriel et commercial du 28 février 2013 volume 2013 V numéro 586 sur le bien sis à [Localité 5] (95) cadastré section BB numéro [Cadastre 3] ;
Condamne M. et Mme [O] aux dépens exposés devant les juges du fond et devant la Cour de cassation ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées devant les juges du fond et la Cour de cassation par la société Crédit industriel et commercial et M. et Mme [O] ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept novembre deux mille vingt-quatre.