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18/12/2024 | FRANCE | N°22-13.721

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale financière et économique - formation de section, 18 décembre 2024, 22-13.721


COMM.

FM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 18 décembre 2024




Cassation partielle sans renvoi


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 763 FS-B

Pourvoi n° U 22-13.721



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 DÉCEMBRE 2024

M. [G] [I], d

omicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 22-13.721 contre l'arrêt rendu le 20 janvier 2022 par la cour d'appel de Bordeaux (1re chambre civile), dans le litige l'opposa...

COMM.

FM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 18 décembre 2024




Cassation partielle sans renvoi


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 763 FS-B

Pourvoi n° U 22-13.721



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 DÉCEMBRE 2024

M. [G] [I], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 22-13.721 contre l'arrêt rendu le 20 janvier 2022 par la cour d'appel de Bordeaux (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Banque CIC Sud-Ouest, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la Société bordelaise de crédit industriel et commercial, défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Graff-Daudret, conseiller, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de M. [I], de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Banque CIC Sud-Ouest, et l'avis de M. Bonthoux, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 novembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Graff-Daudret, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, Mmes Daubigney, Ducloz, M. Alt, Mme de Lacaussade, M. Thomas, conseillers, Mmes Vigneras, Lefeuvre, Tostain, M. Maigret, conseillers référendaires, M. Bonthoux, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 20 janvier 2022), par un acte du 29 juin 2009, la Société bordelaise de crédit industriel et commercial, devenue Banque CIC Sud-Ouest (la banque), a consenti à la société VPlus motocycles (la société) un prêt d'un montant de 100 000 euros en principal, garanti par le cautionnement de M. [I].

2. Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 23 mars 2011, faisant suite à la mise en redressement puis liquidation judiciaires de la société, la banque a mis en demeure M. [I] d'exécuter son engagement.

3. Par acte du 4 mai 2016, M. [I] a assigné la banque sur le fondement de l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable en la cause, aux fins de voir juger qu'elle ne pouvait pas se prévaloir du cautionnement consenti en raison de la disproportion manifeste de son engagement à ses biens et revenus et en invoquant sa responsabilité civile.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. M. [I] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites ses prétentions au titre de la disproportion manifeste de son engagement de caution à ses biens et revenus, alors :

« 1°/ que quelle que soit la configuration procédurale, la contestation opposée à son créancier par une caution, sur le fondement de la disproportion manifeste de son engagement à ses biens et revenus, doit s'analyser en une défense au fond et échappe à ce titre à la prescription ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable comme prescrite la prétention de M. [I] tendant à faire juger que l'engagement de caution qu'il avait souscrit le 29 juin 2009 au bénéfice de la banque était, lors de la conclusion de cet engagement, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, que si le moyen tiré de la disproportion manifeste du cautionnement, lorsqu'il est invoqué par voie d'exception, échappe à la prescription s'agissant d'une défense au fond, la caution est soumise à la prescription quinquennale lorsqu'elle invoque ce même moyen par voie d'action, quand un tel moyen -tendant, quelle que soit la configuration procédurale, à contester la possibilité pour la banque de se prévaloir du titre exécutoire notarié fondant ses poursuites - n'est jamais soumis à la prescription, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du code de commerce, ensemble l'article L. 341-4 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ;

2°/ que si l'une des parties dénie l'écriture qui lui est attribuée, notamment la signature apposée sur l'accusé de réception d'un courrier recommandé, le juge vérifie l'écrit contesté à moins qu'il ne puisse statuer sans en tenir compte ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable comme prescrite la prétention de M. [I] tendant à faire juger que l'engagement de caution qu'il avait souscrit le 29 juin 2009 au bénéfice de la banque était, lors de la conclusion de cet engagement, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, que par le courrier du 23 mars 2011 adressé en recommandé, il était établi que M. [I] avait eu connaissance de ce que ses obligations résultant de son engagement de caution étaient mises à exécution par le créancier du fait de la défaillance du débiteur principal, sans procéder à une vérification d'écritures cependant que M. [I] déniait expressément la signature figurant sur l'accusé de réception dudit courrier qui lui était attribuée, la cour d'appel a violé l'article 287 du code de procédure civile, ensemble l'article 1324 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

5. Aux termes de l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

6. Le droit reconnu par ce texte au créancier de démontrer que, au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation, s'oppose à ce que la caution puisse, avant d'avoir été appelée, agir à titre principal pour que le créancier soit déchu du droit de se prévaloir du cautionnement en raison de la disproportion manifeste dont cet engagement était affecté au moment où il a été consenti.

7. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision, qui a déclaré l'action de la caution irrecevable, se trouve légalement justifiée.

Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

8. M. [I] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite son action en responsabilité au titre du manquement de la banque à son devoir de mise en garde à son égard et au titre de la disproportion manifeste de l'engagement de caution à ses biens et revenus, alors :

« 1°/ que le point de départ du délai de prescription de l'action en paiement de dommages-intérêts formée par la caution pour manquement de l'établissement de crédit créancier à son devoir de mise en garde ou de l'action en responsabilité fondée sur la disproportion manifeste de l'engagement aux biens et revenus de la caution, est le jour où cette dernière a su que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable l'action en responsabilité dirigée par M. [I] contre la banque, que le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou à la date à laquelle il est révélé à la victime et que le préjudice résultant, pour une caution, d'un manquement à l'obligation de mise en garde d'un établissement bancaire, se caractérise par la perte de chance de ne pas contracter qui naît dès lors le jour de l'engagement pris, en l'espèce le 29 juin 2009, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du code de commerce ;

2°/ que si l'une des parties dénie l'écriture qui lui est attribuée, notamment la signature apposée sur l'accusé de réception d'un courrier recommandé, le juge vérifie l'écrit contesté à moins qu'il ne puisse statuer sans en tenir compte ; qu'en retenant que par le courrier du 23 mars 2011 adressé en recommandé, il est établi que M. [I] avait eu connaissance de ce que ses obligations résultant de son engagement de caution étaient mises à exécution par le créancier du fait de la défaillance du débiteur principal, sans procéder à une vérification d'écritures cependant que M. [I] déniait expressément la signature figurant sur l'accusé de réception dudit courrier qui lui était attribuée, la cour d'appel a violé l'article 287 du code de procédure civile, ensemble l'article 1324 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1139 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et L. 110-4 du code de commerce :

9. Il résulte du second de ces textes que le point de départ de l'action en responsabilité de la caution à l'encontre de l'établissement de crédit créancier, fondée sur un manquement à son devoir de mise en garde ou sur une disproportion de l'engagement de caution, se prescrit par cinq ans à compter du jour où elle a su que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal, soit à compter de la mise en demeure qui lui a été adressée.

10. Selon le premier, le débiteur est constitué en demeure, soit par une sommation ou par autre acte équivalent, telle une lettre missive lorsqu'il ressort de ses termes une interpellation suffisante. Le défaut de réception effective par la caution de la mise en demeure, adressée par lettre recommandée, n'affecte pas sa validité.

11. Pour déclarer prescrite l'action en responsabilité, l'arrêt retient que le préjudice résultant, pour une caution, d'un manquement à l'obligation de mise en garde d'un établissement bancaire, se caractérise par la perte d'une chance de ne pas contracter, qui naît, dès lors, le jour de l'engagement pris, en l'espèce le 29 juin 2009. Il en déduit que l'action de M. [I] devait être exercée avant le 30 juin 2014 et que, n'ayant été introduite que le 4 mai 2016, elle est irrecevable comme prescrite.

12. En statuant ainsi, alors que le point de départ de l'action en responsabilité se situait à la date de la mise en demeure du 23 mars 2011, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

13. M. [I] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la banque la somme de 144 444,79 euros outre intérêts au taux de 5,2 % majoré de trois points, à compter du 6 novembre 2018, alors « que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'en condamnant M. [I] à payer à la banque la somme 144 444,79 euros outre intérêts au taux de 5,2 % majoré de trois points, à compter du 6 novembre 2018, après avoir pourtant constaté que celui-ci s'était porté caution personnelle et solidaire dans la limite de la somme de 120 000 euros (incluant principal, intérêts et, le cas échéant, pénalités ou intérêts de retard), la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations en violation de l'article 1134 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

14. La banque conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que le moyen est nouveau, M. [I] n'ayant pas critiqué le jugement en ce qu'il l'a condamné à payer à la banque la somme de 144 444,79 euros, outre intérêts au taux de 5,2 % majoré de trois points à compter du 6 novembre 2018, et, partant, qu'il est irrecevable.

15. Cependant, ce moyen, qui ne repose sur aucun fait qui n'ait été constaté par les juges du fond, est de pur droit.

16. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 2292 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 :

17. Aux termes de ce texte, le cautionnement ne se présume point ; il doit être exprès, et on ne peut pas l'étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté.

18. Après avoir relevé que M. [I] s'était rendu caution personnelle et solidaire dans la limite de la somme de 120 000 euros, incluant principal, intérêts et, le cas échéant, pénalités ou intérêts de retard, l'arrêt le condamne à payer à la banque la somme de 144 444,79 euros, outre intérêts au taux de 5,2 %, majoré de trois points, à compter du 6 novembre 2018.

19. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

20. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

21. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

22. En premier lieu, il est constant que M. [I] a été mis en demeure par lettre recommandée du 23 mars 2011, de sorte que le délai de la prescription quinquennale pour agir en responsabilité civile expirait le 24 mars 2016. En conséquence, l'action introduite par la caution sur ce fondement le 4 mai 2016 est irrecevable comme prescrite.

23. En second lieu, il résulte des pièces produites, et il n'est pas contesté, que M. [I] s'est rendu caution dans la limite de la somme de 120 000 euros, incluant principal, intérêts et, le cas échéant, pénalités ou intérêts de retard, et que la créance de la banque sur la débitrice principale est de 144 444,79 euros, soit un montant supérieur à celui de l'engagement de caution.

24. En conséquence, il y a lieu de limiter à 120 000 euros, incluant principal, intérêts et, le cas échéant, pénalités ou intérêts de retard, la condamnation de M. [I] envers la banque.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare la prescription de l'action en responsabilité civile engagée par M. [I] acquise le 30 juin 2014 et en ce qu'il condamne M. [I] à payer à la société Banque CIC Sud-Ouest la somme de 144 444,79 euros, outre intérêts au taux de 5,2 % majoré de trois points, à compter du 6 novembre 2018, l'arrêt rendu le 20 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Infirme le jugement sur le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité civile et sur le montant de la condamnation et, statuant à nouveau sur ces points,

Déclare irrecevable comme prescrite à la date du 24 mars 2016 l'action en responsabilité civile engagée par M. [I] ;

Condamne M. [I] à payer à la société Banque CIC Sud-Ouest la somme de 120 000 euros, incluant principal, intérêts et, le cas échéant, pénalités ou intérêts de retard ;

Laisse à chaque partie la charge des dépens par elle exposés, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit décembre deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale financière et économique - formation de section
Numéro d'arrêt : 22-13.721
Date de la décision : 18/12/2024
Sens de l'arrêt : Cassation

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Bordeaux 1A


Publications
Proposition de citation : Cass. Com. financière et économique - formation de section, 18 déc. 2024, pourvoi n°22-13.721, Bull. civ.Publié au
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles Publié au

Origine de la décision
Date de l'import : 06/01/2025
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:22.13.721
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