SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 janvier 2025
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 13 FS-B
Pourvoi n° E 20-18.484
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JANVIER 2025
1°/ L'AGS, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ l'Unédic, dont le siège est [Adresse 1], agissant en qualité de gestionnaire de l'AGS, élisant domicile au centre de gestion et d'études AGS CGEA d'[Localité 5], [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° E 20-18.484 contre l'arrêt rendu le 20 février 2020 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section B), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [E] [D], domicilié [Adresse 2],
2°/ à M. [B] [X], domicilié [Adresse 3], pris en qualité de liquidateur de la Société de transports et de services,
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Panetta, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de l'AGS et de l'Unédic CGEA d'[Localité 5], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [D], et l'avis de M. Gambert, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 novembre 2024 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Panetta, conseiller rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Barincou, Seguy, Mmes Douxami, Brinet, conseillers, Mme Prieur, M. Carillon, Mme Maitral, M. Redon, conseillers référendaires, M. Gambert, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 20 février 2020), M. [D] a été engagé en qualité de livreur, le 1er juillet 2002, par la Société de transports et de services (la société). Dans le dernier état de la relation contractuelle, il occupait un emploi de chauffeur-livreur.
2. Par jugement du 14 mars 2017, la société a été mise en redressement judiciaire, M. [X] étant désigné en qualité de mandataire judiciaire.
3. Par lettre du 27 mars 2017, le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur et a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir le paiement de salaires impayés en 2016 et 2017, des indemnités liées à la rupture du contrat de travail, des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et une indemnité pour travail dissimulé.
4. Par jugement du 30 mai 2017, la procédure de redressement judiciaire a été convertie en liquidation judiciaire, M. [X] devenant liquidateur judiciaire.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. L'AGS et l'Unédic CGEA d'[Localité 5] font grief à l'arrêt de dire que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par le salarié s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'ordonner au liquidateur judiciaire d'inscrire sur le relevé des créances salariales de la société, au bénéfice du salarié, diverses sommes au titre des indemnités de rupture et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à titre de congés payés du 1er juin 2016 au 27 mars 2017, de dommages-intérêts pour travail dissimulé, de rappel de salaire de décembre 2016, de rappel de salaire pour la période du 1er janvier 2017 au 25 janvier 2017, de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, et de déclarer la décision opposable à l'AGS CGEA d'[Localité 5], alors :
« 1°/ que la garantie de l'AGS couvre les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant notamment au cours de la période d'observation ou dans les quinze jours suivant le jugement de liquidation ; que les créances visées à l'article L. 3253-8, 2°, du code du travail sont celles qui résultent de la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'administrateur judiciaire ou du mandataire liquidateur ; qu'il n'était pas contesté en l'espèce que M. [D] avait pris acte de la rupture de son contrat de travail le 27 mars 2017, au cours de la période d'observation, la liquidation judiciaire de la Société de transports et de services ayant été prononcée le 30 mai 2017 en l'état d'une procédure de redressement judiciaire ouverte le 14 mars 2017 ; qu'en disant sa décision opposable à l'AGS au titre des créances résultant de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail et en l'absence de rupture du contrat de travail par l'administrateur judiciaire, la cour d'appel a violé l'article L. 3253-8 du code du travail ;
2°/ que l'exclusion de la garantie de l'AGS au titre des ruptures de contrats de travail qui ne résultent pas de l'initiative de l'administrateur judiciaire ou du mandataire liquidateur lorsqu'elles interviennent après l'ouverture de la procédure collective et notamment au cours de la période d'observation ou dans les limites temporelles prévues par l'article L. 3253-8, 2°, du code du travail postérieurement au prononcé du jugement de liquidation, institue une différence de traitement fondée sur une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi qui impose l'avance par l'AGS des créances résultant des ruptures des contrats de travail qui interviennent pour les besoins de la poursuite de l'activité de l'entreprise, du maintien de l'emploi et de l'apurement du passif ; qu'en retenant le contraire, pour dire sa décision opposable à l'AGS, la cour d'appel a violé l'article L. 3253-8 du code du travail. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article L. 3253-6 du code du travail, tout employeur de droit privé assure ses salariés, y compris ceux détachés à l'étranger ou expatriés mentionnés à l'article L. 5422-13, contre le risque de non-paiement des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail, en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation.
7. Selon l'article L. 3253-8, 2°, du code du travail, l'assurance mentionnée à l'article L. 3253-6 couvre les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant :
a) Pendant la période d'observation ;
b) Dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession ;
c) Dans les quinze jours, ou vingt-et-un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation ;
d) Pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire et dans les quinze jours, ou vingt-et-un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l'activité.
8. La Cour de cassation a jugé que les créances résultant de la rupture du contrat de travail visées par l'article L. 3253-8, 2°, du code du travail, s'entendent d'une rupture à l'initiative de l'administrateur judiciaire ou du liquidateur de sorte que les indemnités dues au salarié à la suite de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur ne sont pas garanties par l'AGS (Soc., 20 décembre 2017, pourvoi n° 16-19.517, Bull. 2017, V, n° 221, voir également Soc., 19 avril 2023, pourvoi n° 21-20.651) ou à la suite d'une résiliation judiciaire aux torts de l'employeur (Soc., 14 juin 2023, pourvoi n° 20-18.397).
9. Toutefois, la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt du 22 février 2024 (CJUE, 22 février 2024, association Unédic délégation AGS de [Localité 6], aff. C-125/23), a dit pour droit que la directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une réglementation nationale qui prévoit la couverture des créances impayées des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail par le régime national assurant le paiement des créances des travailleurs salariés par une institution de garantie, établi conformément à l'article 3 de cette directive, lorsque la rupture du contrat de travail est à l'initiative de l'administrateur judiciaire, du mandataire liquidateur ou de l'employeur concerné, mais exclut la couverture de telles créances par cette institution de garantie lorsque le travailleur en cause a pris acte de la rupture de son contrat de travail en raison de manquements suffisamment graves de son employeur empêchant la poursuite dudit contrat et une juridiction nationale a jugé cette prise d'acte comme étant justifiée.
10. La Cour de justice de l'Union européenne a relevé que la différence de traitement résultant de l'article L. 3253-8, 2°, du code du travail, tel qu'interprété par la Cour de cassation, selon que l'auteur de la rupture du contrat de travail est ou non le salarié, outre le fait que la cessation du contrat de travail par une prise d'acte de la rupture de ce contrat par un travailleur ne saurait être regardée comme résultant de la volonté de ce travailleur dans le cas où elle est, en réalité, la conséquence des manquements de l'employeur, ne peut être justifiée pour les besoins de la poursuite de l'activité de l'entreprise, du maintien de l'emploi et de l'apurement du passif, lesdits besoins ne pouvant occulter la finalité sociale de la directive 2008/94 (points 49 et 50).
11. Elle a également précisé que cette finalité sociale consiste, ainsi qu'il ressort de l'article 1er, paragraphe 1, de cette directive, lu en combinaison avec le considérant 3 de celle-ci, à garantir à tous les travailleurs salariés un minimum de protection au niveau de l'Union en cas d'insolvabilité de l'employeur par le paiement des créances impayées résultant de contrats ou de relations de travail (point 51).
12. Il en résulte qu'il y a lieu de juger désormais que l'assurance mentionnée à l'article L. 3253-6 du code du travail couvre les créances impayées résultant de la rupture d'un contrat de travail, lorsque le salarié a pris acte de la rupture de celui-ci en raison de manquements suffisamment graves de son employeur empêchant la poursuite dudit contrat et intervenant pendant l'une des périodes visées à l'article L. 3253-8, 2°, du même code.
13. Ayant retenu que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par le salarié, intervenue le 27 mars 2017, pendant la période d'observation ouverte par un jugement de redressement judiciaire du 14 mars 2017, était justifiée et s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, c'est à bon droit que la cour d'appel a ordonné au liquidateur judiciaire d'inscrire sur le relevé des créances salariales de l'employeur des sommes à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour travail dissimulé et a dit que sa décision était opposable à l'AGS CGEA d'[Localité 5].
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'AGS et l'Unédic CGEA d'[Localité 5] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne l'AGS et l'Unédic CGEA d'[Localité 5] à payer à M. [D] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit janvier deux mille vingt-cinq.