SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 janvier 2025
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 14 FS-B
Pourvois n°
D 22-24.724
E 22-24.725
H 22-24.727
G 22-24.728
A 23-13.961
B 23-13.962
C 23-13.963
D 23-13.964
E 23-13.965 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JANVIER 2025
L'association Transitions pro Grand Est, dont le siège est [Adresse 6], a formé les pourvois n° D 22-24.724, E 22-24.725, H 22-24.727, G 22-24.728, A 23-13.961, B 23-13.962, C 23-13.963, D 23-13.964 et E 23-13.965 contre neuf arrêts rendus les 26 octobre 2022 et 25 janvier 2023 par la cour d'appel de Reims (chambre sociale), dans les litiges l'opposant respectivement :
1°/ à Mme [L] [T], domiciliée [Adresse 9],
2°/ à Mme [A] [H], domiciliée [Adresse 2],
3°/ à Mme [J] [D], domiciliée [Adresse 8],
4°/ à Mme [K] [X], domiciliée [Adresse 11],
5°/ à Mme [F] [W], domiciliée [Adresse 4],
6°/ à Mme [I] [B], domiciliée [Adresse 5],
7°/ à Mme [R] [M], domiciliée [Adresse 1],
8°/ à M. [G] [Z], domicilié [Adresse 3],
9°/ à Mme [C] [E], domiciliée [Adresse 7],
10°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 10],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de ses pourvois, un moyen de cassation rédigé en termes similaires.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Carillon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de l'association Transitions pro Grand Est, de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de Mme [T] et de huit autres salariés, et l'avis de M. Gambert, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 novembre 2024 où étaient présents M. Sommer, président, M. Carillon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, M. Barincou, M. Seguy, Mmes Douxami, Panetta, Brinet, conseillers, Mmes Prieur, Maitral, M. Redon, conseillers référendaires, M. Gambert, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° D 22-24.724, E 22-24.725, H 22-24.727, G 22-24.728, A 23-13.961, B 23-13.962, C 23-13.963, D 23-13.964 et E 23-13.965 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Reims, 26 octobre 2022 et 25 janvier 2023) et les productions, Mme [T] et huit autres salariés ont été engagés par le fonds de gestion du congé individuel de formation dit Fongecip Alsace, devenu successivement Fongecip Grand Est, puis association Transitions pro Grand Est (l'association).
3. Le plan de sauvegarde de l'emploi a fait l'objet d'un accord majoritaire signé le 8 novembre 2019 et validé par l'autorité administrative. L'employeur a notifié le 28 octobre 2019 à l'ensemble des salariés menacés de licenciement pour motif économique la liste des postes de reclassement disponibles, conformément aux stipulations de l'accord majoritaire.
4. Après avoir adhéré aux contrats de sécurisation professionnelle qui leur avaient été proposés, ils ont saisi la juridiction prud'homale pour faire dire la rupture du contrat de travail sans cause réelle et sérieuse et obtenir la condamnation de l'association à leur payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. L'association fait grief aux arrêts de la condamner à payer aux salariés diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents et de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement sans cause réelle et sérieuse et de lui ordonner le remboursement à Pôle emploi des indemnités de chômage servies aux salariés, du jour du licenciement jusqu'au jour du prononcé de la décision, dans la limite de six mois d'indemnités sous déduction de la contribution versée au titre de l'article L. 1233-69 du code du travail, alors :
« 1°/ que l'employeur tenu d'une obligation de recherche de reclassement en application de l'article L. 1233-4 du code du travail doit, qu'il adresse des offres de reclassement de manière personnalisée ou qu'il communique la liste des offres disponibles aux salariés, préciser l'intitulé des postes et leur descriptif, les noms des employeurs, la nature des contrats de travail, la localisation des postes, le niveau des rémunérations et la classification des postes, éléments d'information indispensables pour que le salarié puisse choisir en toute connaissance de cause de candidater ou non à une ou plusieurs des offres ; que si lorsque l'employeur a choisi de diffuser à tous les salariés concernés la liste des offres disponibles, cette liste doit aussi mentionner les critères de départage entre salariés en cas de candidature multiples sur un même poste, l'absence de mention des critères de départage, qui n'est pas déterminante dans la décision du salarié de candidater ou non et qui vise seulement à permettre au salarié de contrôler a posteriori l'application par l'employeur des critères de départage lorsqu'il a candidaté sur un poste sans que sa candidature ne soit retenue, ne constitue qu'une irrégularité de procédure pouvant donner droit à des dommages-intérêts si le salarié justifie d'un préjudice né de cette irrégularité mais qui ne suffit pas en soi à rendre le licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, après avoir relevé que "l'article D 1233- 2-1 du code du travail (
), dont la violation est soulignée par [les salariés] dans [leurs] écritures, exige que la liste des emplois disponibles, diffusée dans le cadre du reclassement interne, mentionne notamment les critères de départage en cas de candidatures multiples et le délai de présentation des candidatures, lequel ne doit pas être inférieur à 15 jours", a retenu que "la liste diffusée le 28 octobre 2019 dans ce cadre, qui fixe un délai pour candidater supérieur à 15 jours, ne mentionne effectivement pas les critères de départage des candidatures multiples et ne renvoie pas au plan de sauvegarde de l'emploi qui les détermine précisément", que "l'absence de candidature [des salariés] ne peut lui être valablement objectée, comme l'a fait à tort le conseil de prud'hommes, en l'absence des éléments d'information réglementaires de nature à donner [aux salariés] les outils de réflexion déterminants de sa décision" et qu'"en l'absence de recherche loyale de reclassement interne, le licenciement doit donc être considéré comme sans cause réelle et sérieuse" ; qu'en statuant ainsi quand l'absence de mention des critères de départage dans la liste des offres de reclassement ne constituait qu'une simple irrégularité de procédure ne suffisant pas à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-4 et D. 1233-2-1 du code du travail, le premier en sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, le second en sa rédaction issue du décret n° 2017-1725 du 21 décembre 2017 ;
2°/ que l'absence de mention dans la liste des offres de reclassement interne des critères de départage entre salariés en cas de candidature multiples sur un même poste ne constitue, dès lors que ces critères figurent dans le plan de sauvegarde de l'emploi, qu'une irrégularité de procédure ne suffisant pas en soi à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse ; qu'en l'espèce, pour juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a relevé que la liste des offres de reclassement diffusée le 28 octobre 2019 ne mentionnait pas les critères de départage des candidatures multiples et ne renvoyait pas non plus au plan de sauvegarde de l'emploi qui les déterminait précisément ; qu'en statuant ainsi quand il ressortait de ses propres constatations que le plan de sauvegarde de l'emploi avait bien prévu les critères de départage, de sorte que le seul fait que l'employeur n'ait pas mentionné ces critères dans la liste des offres de reclassement ne suffisait pas à rendre le licenciement sans cause et sérieuse dès lors que la liste des offres de reclassement précisait bien l'intitulé des postes et leur descriptif, les noms des employeurs, la nature des contrats de travail, la localisation des postes, le niveau des rémunérations et la classification des postes et que nonobstant ces informations [les salariés] n'avai[ent] candidaté à aucune offre, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-4 et D. 1233-2-1 du code du travail, le premier en sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, le second en sa rédaction issue du décret n° 2017-1725 du 21 décembre 2017 ;
3°/ que l'employeur n'est pas tenu de proposer au salarié les postes de reclassement qui se seraient libérés postérieurement à la rupture du contrat de travail ; qu'en relevant dès lors que "les listes actualisées [des postes de reclassement] diffusées ultérieurement ne sont pas justifiées au dossier", sans constater que l'employeur aurait actualisé la liste des offres de reclassement du 28 octobre 2019 avant que [les salariés] n'adhère[nt] au contrat de sécurisation professionnelle, le 19 décembre 2019, cette adhésion mettant fin à l'obligation de reclassement de l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-4 du code du travail, en sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article L. 1233-4, alinéa 4, du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente.
A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.
L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret.
Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.
7. Selon l'article D. 1233-2-1, III, du même code, dans sa rédaction modifiée du décret n° 2017-1725 du 21 décembre 2017, en cas de diffusion d'une liste des offres de reclassement interne, celle-ci comprend les postes disponibles situés sur le territoire national dans l'entreprise et les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et précise les critères de départage entre salariés en cas de candidatures multiples sur un même poste, ainsi que le délai dont dispose le salarié pour présenter sa candidature écrite.
8. Il en résulte que l'employeur doit indiquer, dans la liste des postes disponibles mise à disposition des salariés concernés, les critères de départage arrêtés afin de pouvoir identifier le salarié retenu, sur des bases objectives, en cas de candidatures multiples pour un même poste. A défaut de cette mention, l'offre est imprécise en ce qu'elle ne donne pas les éléments d'information de nature à donner aux salariés les outils de réflexion déterminant leur décision, ce qui caractérise un manquement de l'employeur à son obligation de reclassement et prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.
9. La cour d'appel, qui a constaté que la liste des offres de reclassement interne communiquée aux salariés le 28 octobre 2019 ne mentionnait pas les critères de départage des candidatures multiples, en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que le licenciement était privé de cause réelle et sérieuse.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne l'association Transitions pro Grand Est aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par l'association Transitions pro Grand Est et la condamne à payer à Mmes [T], [H], [D], [X], [W], [B], [M] et [E] et à M. [Z] la somme de 400 euros chacun ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit janvier deux mille vingt-cinq.