CIV. 1
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 janvier 2025
Cassation
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 30 F-D
Pourvoi n° C 22-20.261
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 15 JANVIER 2025
1°/ M. [Y] [C], domicilié [Adresse 1],
2°/ Mme [E] [C], épouse [B], domiciliée [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° C 22-20.261 contre l'arrêt rendu le 12 mai 2022 par la cour d'appel de Nîmes (1re chambre), dans le litige les opposant à M. [D] [C], domicilié [Adresse 3], défendeur à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lion, conseiller référendaire, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de M. [Y] [C] et de Mme [E] [C], de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de M. [D] [C], après débats en l'audience publique du 19 novembre 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, Mme Lion, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 12 mai 2022), [G] [C] et son épouse, [W] [C], sont respectivement décédés les 26 février 1996 et 5 février 2011, en laissant pour leur succéder leurs trois enfants, MM. [D] et [Y] [C] et Mme [E] [C].
2. Le 19 novembre 1999, M. [D] [C] a conclu avec M. [Y] [C] et Mme [E] [C] un acte de cession transactionnelle de droits successifs par lequel il leur a cédé tous les droits mobiliers et immobiliers lui revenant dans la succession de leur père, composée de la moitié en pleine propriété de deux biens immobiliers situés à [Localité 5] et à [Localité 4], lesquels ont ensuite été vendus par lots à des tiers.
3. Le 20 mai 2015, M. [D] [C] a assigné M. [Y] [C] et Mme [E] [C] aux fins d'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de [W] [C], demandant la réintégration à l'actif successoral de la plus-value réalisée à la suite des ventes par lots des biens immobiliers, ainsi que de diverses libéralités dont auraient été gratifiés M. [Y] [C] et Mme [E] [C].
Examen des moyens
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [Y] [C] et Mme [E] [C] font grief à l'arrêt d'ordonner le rapport à la succession de [W] [C] de la somme de 489 891,70 euros, de fixer la part revenant à M. [D] [C] dans la succession de sa mère à la somme de 121 222,95 euros et de les condamner à payer solidairement cette somme à M. [D] [C], ainsi que la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, alors « que seul peut être soumis au rapport des libéralités l'héritier ab intestat bénéficiaire d'une libéralité reçue du de cujus ; qu'en retenant, pour condamner M. [Y] [C] et Mme [E] [C] à payer à M. [D] [C] la somme de 121 222,95 euros, que la plus-value de 97 960 euros est à réintégrer dans la masse successorale", motif pris que dés lors qu'elle a bénéficié aux autres héritiers dont sa mère, il est logique de la retrouver dans le patrimoine de Mme [C] à hauteur de ses droits dans l'indivision", après avoir pourtant constaté que cette somme constituait une perte de la plus-value dans la succession de son père", ce dont il résultait que la plus-value générée par la vente de l'ensemble immobilier situé à [Localité 5] divisé en plusieurs lots ne constituait pas une libéralité que M. [Y] [C] et Mme [E] [C] avaient reçues de [W] [C], de sorte qu'elle ne pouvait être réintégrée, au titre du rapport, dans la succession de [W] [C], la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations et a violé l'article 843 du code civil. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. M. [D] [C] conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que celui-ci est nouveau.
6. Cependant, le moyen, qui est de pur droit, est recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 843, alinéa 1er, du code civil :
7. Il résulte de ce texte que seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l'intention de gratifier son héritier, est rapportable à la succession.
8. Pour ordonner le rapport à la succession de [W] [C] de la somme globale de 489 891,70 euros, fixer la part revenant à M. [D] [C] dans la succession de sa mère à la somme de 121 222,95 euros et condamner solidairement Mme [E] [C] et M. [Y] [C] à payer cette somme à M. [D] [C], l'arrêt retient que la non-révélation du projet de division par lots des biens immobiliers ayant fait l'objet d'un protocole transactionnel, qui préexistait à la signature de ce protocole, avait eu pour conséquence, pour M. [D] [C], une perte de plus-value d'un montant de 97 960 euros dans la succession de son père, dès lors que, s'il en avait été informé, il aurait eu la possibilité de transiger avec ses frère et soeur à un prix supérieur à celui retenu, et que cette plus-value n'a été possible que parce qu'il a cédé ses droits sans connaître ce projet. Il en déduit que, dés lors que cette plus-value a bénéficié aux autres héritiers dont [W] [C], son montant doit se retrouver dans le patrimoine de celle-ci à hauteur de ses droits dans l'indivision et qu'il appartient à Mme [E] [C] et à M. [Y] [C] de la rapporter à la succession de leur mère.
9. En statuant ainsi, sans constater que la somme de 97 960 euros correspondait à une libéralité dont [W] [C] aurait gratifié ces héritiers, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
10. M. [Y] [C] et Mme [E] [C] font le même grief à l'arrêt, alors « qu'il appartient à celui qui sollicite le rapport à la succession d'une libéralité consentie par le de cujus de faire la preuve de cette libéralité ; qu'en retenant que devait être réintégré en vue du rapport à la succession de [W] [C] un montant de 244 788 (180 000 + 64 788) euros qui n'a pas été retrouvé à l'ouverture de sa succession et qui ne correspond pas à des dépenses pour les besoins de la de cujus", motifs pris que l'expert a conclu que ce sont 180 000 euros qui ont disparu sur cette période du patrimoine de Mme [W] [C] sans qu'aucun élément ne permettent de dire qu'elle aurait disposé de cette somme", qu'il en déduit que 64 788 euros ont disparu" et qu' il ne peut s'agir également de simples sommes perçues à titre de cadeaux dans des circonstances particulières dés lors qu'interrogés sur cette question les intimés n'ont pas apporté d'éléments en ce sens et qu'il n'est pas démontré que ses versements viendraient en remboursement de frais occasionnés par la de cujus et pour ses besoins", la cour d'appel, tout en reprochant à M. [Y] [C] et Mme [E] [C] de ne pas rapporter d'éléments prouvant la destination des sommes de 180 000 et 64 788 euros, a déduit du seul constat de leur disparition inexpliquée dans les comptes bancaires de la défunte l'existence de libéralités au profit de ces derniers et a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1315, devenu 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1353 du code civil :
11. Aux termes de ce texte, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
12. Pour ordonner le rapport à la succession de [W] [C] de la somme globale de 489 891,70 euros, fixer la part revenant à M. [D] [C] dans la succession de sa mère à la somme de 121 222,95 euros et condamner solidairement Mme [E] [C] et M. [Y] [C] à payer cette somme à M. [D] [C], l'arrêt relève encore que, selon les constatations d'un expert judiciaire, des sommes de 180 000 euros et de 64 788 euros, représentant une somme totale de 244 788 euros, ont disparu sans explication des comptes bancaires de la défunte.
13. Il relève ensuite que de nombreux chèques ont été émis du compte courant de [W] [C] entre 2002 et 2010 pour un montant total de 73 900 euros, qu'un sondage effectué a permis d'établir que sur quatorze chèques émis durant l'année 2010, neuf l'ont été par Mme [E] [C] sans que l'expert puisse établir que ces dépenses avaient été faites au seul bénéfice de la défunte.
14. Il retient qu'aucun élément ne vient démontrer que [W] [C] avait vécu d'une manière justifiant des dépenses au-delà de son train de vie habituel.
15. Il retient encore que les liens d'affection l'unissant à sa fille et à M. [Y] [C] et la distance prise par M. [D] [C] avec sa famille démontrent que les mouvements de fonds opérés ne peuvent avoir été faits qu'au profit des premiers et non pour ses besoins personnels, et qu'ils suffisent à expliquer son intention libérale, de sorte qu'il appartient à Mme [E] [C] et à M. [Y] [C] de rapporter la somme de 244 788 (180 000 + 64 788) euros à la succession de leur mère.
16. En statuant ainsi, alors qu'il appartenait à M. [D] [C], qui soutenait que les sommes disparues sans explication des comptes bancaires de la défunte correspondaient à des libéralités consenties à ses frère et soeur, d'établir que [W] [C] avait versé des sommes d'argent au profit de Mme [E] [C] et M. [Y] [C], avec une intention libérale, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen, pris en sa cinquième branche
17. M. [Y] [C] et Mme [E] [C] font le même grief à l'arrêt, alors « que tout jugement doit être motivé ; qu'en retenant que devait être réintégré en vue du rapport à la succession de [W] [C] le montant de 107 496 euros de dépenses non justifiées par les besoins de la de cujus constituant des dons diverses" sans s'expliquer sur l'origine de ce montant et l'existence de ces prétendues dépenses, la cour d'appel a statué par voie de simple affirmation et a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
18. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.
19. Pour ordonner le rapport à la succession de [W] [C] de la somme globale de 489 891,70 euros, fixer la part revenant à M. [D] [C] dans la succession de sa mère à la somme de 121 222,95 euros et condamner solidairement Mme [E] [C] et M. [Y] [C] à payer cette somme à M. [D] [C], l'arrêt retient encore que la somme de 107 496 euros correspond à des dépenses non justifiées par les besoins de [W] [C] constituant des dons divers, de sorte qu'il appartient à Mme [E] [C] et à M. [Y] [C] de la rapporter à la succession de leur mère.
20. En statuant ainsi, par des motifs péremptoires, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
21. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt ordonnant le rapport à la succession de [W] [C] de la somme de 489 891,70 euros, fixant la part revenant à M. [D] [C] dans la succession de sa mère [W] [C] à la somme de 121 222,95 euros et condamnant Mme [E] [C] et M. [Y] [C] à lui payer solidairement cette somme, entraîne la cassation du chef de dispositif condamnant Mme [E] [C] et M. [Y] [C] à payer à M. [D] [C] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Condamne M. [D] [C] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [D] [C] et le condamne à payer à M. [Y] [C] et Mme [E] [C] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze janvier deux mille vingt-cinq.