CIV. 1
SA9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 janvier 2025
Cassation
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 32 F-B
Pourvoi n° G 22-22.336
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 15 JANVIER 2025
Mme [D] [Z], épouse [K], domiciliée [Adresse 5], [Localité 1] (Pologne), a formé le pourvoi n° G 22-22.336 contre l'arrêt rendu le 22 septembre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 3, chambre 4), dans le litige l'opposant à M. [N] [K], domicilié [Adresse 3], [Localité 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Daniel, conseiller référendaire, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de Mme [Z], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [K], après débats en l'audience publique du 19 novembre 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Daniel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 septembre 2022) et les productions, Mme [Z], de nationalité polonaise, et M. [K], de nationalité française, se sont mariés le 13 août 2016 à [Localité 4] (Pologne).
2. Mme [Z] a déposé auprès du juge polonais une demande en divorce le 4 janvier 2021.
3. Postérieurement, M. [K] a assigné Mme [Z] en divorce devant une juridiction française.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Mme [Z] fait grief à l'arrêt de rejeter son exception de litispendance et de dire n'y avoir lieu de surseoir à statuer, alors « qu'une juridiction est réputée saisie à la date à laquelle l'acte introductif d'instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction, à condition que le demandeur n'ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu'il était tenu de prendre pour que l'acte soit notifié ou signifié au défendeur ; que, pour considérer que la procédure engagée ne remplit pas les conditions posées à l'article 16-1 a) du règlement n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 et en conséquence décider qu'il n'y a pas lieu de surseoir à statuer, la cour d'appel a retenu que si la juridiction polonaise a été la première saisie, Mme [Z] n'établit pas la matérialité de la signification ou de la notification de la procédure qu'elle a engagée en Pologne au défendeur ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si, selon le droit procédural polonais, la notification de la requête au défendeur n'incombait pas à la juridiction saisie, de sorte qu'il ne pouvait être reproché à Mme [Z] d'avoir négligé de procéder à une formalité qu'elle n'était pas tenue de réaliser, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 16 et 19 du règlement Bruxelles II bis. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16, paragraphe 1, sous a), et l'article 19 du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale :
5. Aux termes du second de ces textes, lorsque des demandes en divorce sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d'États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d'office à statuer jusqu'à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie.
6. Le premier dispose :
« Une juridiction est réputée saisie :
a) à la date à laquelle l'acte introductif d'instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction, à condition que le demandeur n'ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu'il était tenu de prendre pour que l'acte soit notifié ou signifié au défendeur ».
7. Il résulte de ce dernier texte qu'une juridiction est réputée saisie par la réalisation d'un seul acte, à savoir le dépôt de l'acte introductif d'instance, dès lors que le demandeur n'a pas omis de prendre les mesures qui lui incombaient en vertu du droit national applicable pour que l'acte initial soit régulièrement notifié ou signifié au défendeur.
8. Pour rejeter l'exception de litispendance, l'arrêt retient que, bien que Mme [Z] ait déposé sa requête en divorce auprès de la juridiction polonaise avant que la juridiction française n'ait été saisie, elle n'établit pas la matérialité de la signification ou de la notification à M. [K] de la procédure qu'elle a engagée en Pologne.
9. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, selon le droit procédural polonais, la notification de la requête en divorce après son dépôt incombait, non pas au demandeur, mais à la juridiction saisie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne M. [K] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [K] et le condamne à payer à Mme [Z] la somme de 3000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze janvier deux mille vingt-cinq.