N° Q 22-85.638 F-B
N° 00038
MAS2
15 JANVIER 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 JANVIER 2025
M. [N] [M] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, en date du 13 septembre 2022, qui, pour fraude fiscale et omission d'écritures en comptabilité, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [N] [M], les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la direction générale des finances publiques et de la direction départementale des finances publiques de l'Isère, et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, Mme Sommier, greffier de chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre présent au prononcé,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. A la suite d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos les 31 octobre 2012, 2013 et 2014, qui avait fait suite à un contrôle inopiné réalisé le 2 avril 2015, la direction départementale des finances publiques (DDFIP) de l'Isère a déposé, le 15 décembre 2017, entre les mains du procureur de la République, une plainte à l'encontre de la société [2], exerçant une activité de brasserie, restaurant, piano bar, et de son gérant associé unique, M. [N] [M].
3. M. [M] a été cité devant le tribunal correctionnel des chefs d'omission d'écritures dans un document comptable et de fraude fiscale.
4. Par jugement du 20 mai 2021, le tribunal a, notamment, fait droit à l'exception de nullité soulevée par le prévenu, tirée d'un défaut d'information suffisante des éléments permettant de connaître la nature des traitements informatiques envisagés par l'administration fiscale au stade des opérations de contrôle préalables à la procédure pénale, prononcé la nullité de la plainte de l'administration fiscale et la nullité de l'ensemble de la procédure pénale, et renvoyé le ministère public à mieux se pourvoir.
5. Le procureur de la République et l'administration fiscale ont formé appel contre cette décision.
Examen des moyens
Sur le quatrième moyen, pris en sa première branche, et le cinquième moyen
6. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur les premier, deuxième et troisième moyens
Enoncé des moyens
7. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité tirée de la privation du droit d'option offert par les dispositions de l'article L. 47 A, II, du livre des procédures fiscales, alors :
« 1°/ que la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; que la dénaturation des conclusions du prévenu et d'une note d'audience équivaut à une contradiction de motifs ; que pour écarter l'exception de nullité tirée de la privation du droit d'option offert par les dispositions de l'article L. 47 A, II, du Livre des procédures fiscales, la cour d'appel énonce que « M. [M] invoque [
] pour la première fois devant la cour d'appel la privation du droit d'option de l'article L. 47 A, II du Livre des procédures fiscale » (arrêt, p. 9, §2) ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il ressort précisément des conclusions de nullités in limine litis déposées par les conseils de M. [M] à l'audience du 20 mai 2021 devant les premiers juges qu'a été soulevée l'exception tirée de la « privation du droit d'option offert par les dispositions du II de l'article L. 47 A du LPF », et que l'invocation de cette nullité est constatée par la note d'audience tenue par le tribunal, la cour d'appel s'est contredite et a dénaturé les conclusions du prévenu et la note d'audience de première instance, en violation de l'article 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que le mandataire ne peut rien faire au-delà de ce qui est porté dans son mandat ; qu'il résulte de cette règle que toute procuration doit être interprétée restrictivement ; qu'en considérant que le seul objet utile du mandat donné au Cabinet [1] était la représentation de la société [2] à toutes les opérations de l'administration fiscale, en ce compris l'exercice du droit d'option de l'article L. 47 A, II, du Livre des procédures fiscales, alors qu'il résulte des termes clairs et précis de ce mandat exprès que celui-ci avait uniquement été donné « afin que la vérification fiscale de [l'entreprise de M. [M]] soit effectuée dans leurs bureaux », les juges d'appel ont dénaturé les termes du mandat, en violation des articles 1103 et 1989 du code civil. »
8. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité tirée du défaut d'information préalable au contribuable de la nature des investigations souhaitées, alors :
« 1°/ qu'en présence d'une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés et lorsqu'ils envisagent des traitements informatiques, les agents de l'administration fiscale doivent indiquer par écrit au contribuable la nature concrète des traitements informatiques envisagés ; qu'en énonçant au contraire que « l'information sur la nature des investigations souhaitées ne doit donc pas obligatoirement comprendre une indication concrète des traitements informatiques qui seront réalisés » (arrêt, p. 9, §4), la cour d'appel a violé l'article L. 47 A, II du Livre des procédures fiscales ;
2°/ que le juge judiciaire est compétent pour annuler la procédure administrative préalable à l'engagement de poursuites pénales pour fraude fiscale lorsque les irrégularités constatées tiennent à la méconnaissance de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales ; qu'en effet, ce texte ne fait que détailler la procédure de vérification de comptabilité prévue par l'article L. 47 du même livre – dont le respect est régulièrement contrôlé par le juge judiciaire – lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés ; que cette compétence se justifie d'autant plus que la méconnaissance de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales porte nécessairement atteinte aux droits de la défense lorsque le contribuable n'a pas été informé avant la vérification fiscale de la nature des investigations souhaitées ; que dès lors, en considérant que « les seules irrégularités affectant les opérations administratives préalables à l'engagement de poursuites pénales pour fraude fiscale, susceptibles de conduire à l'annulation de la procédure par le juge judiciaire tiennent à la méconnaissance de l'article L. 47 du Livre des procédures fiscales » pour en déduire que « l'insuffisance alléguée de l'information donnée en l'espèce sur la nature des investigations souhaitées échappe [
] au contrôle de l'autorité judiciaire » (arrêt, p. 9, §3-4), la cour d'appel a méconnu l'étendue de sa compétence, en violation de l'article L. 47 A du Livre des procédures fiscales. »
9. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité tirée de la conservation des données par l'administration, alors :
« 1°/ que la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; que la dénaturation des conclusions de nullité du prévenu et des notes d'audience équivaut à une contradiction de motifs ; que pour déclarer irrecevable l'exception de nullité tirée de la conservation des données par l'administration, la cour d'appel énonce que cette exception n'a pas été soumise aux premiers juges ; qu'en statuant ainsi, alors que M. [M] a dûment soulevé cette exception de nullité dans ses conclusions de nullité déposées à l'audience devant les premiers juges (p. 14-21) et que la note d'audience tenue par le tribunal correctionnel mentionne qu'a été soulevée par la défense l'« Irrégularité sur la restitution des fichiers saisis », la cour d'appel s'est contredite et a dénaturé les pièces de la procédure, en violation de l'article 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que les arrêts et jugements en dernier ressort sont déclarés nuls lorsqu'il a été omis ou refusé de prononcer sur une ou plusieurs demandes des parties ; que pour refuser de statuer sur l'exception de nullité tirée de la conservation des données par l'administration, la cour d'appel énonce que « la méconnaissance des dispositions administratives sur lesquelles [l'exception de nullité] se fond[e] n'est pas susceptible, en vertu du principe ci-dessus rappelé, de conduire à l'annulation de la procédure par le juge pénal » (arrêt, p.9, dernier paragraphe) ; qu'en refusant de statuer sur cette exception de nullité, alors qu'elle entre dans le champ du contrôle de l'autorité judiciaire, la cour d'appel s'est abstenue d'exercer ses pouvoirs, en violation de l'article 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que le juge répressif est tenu de répondre aux moyens péremptoires des conclusions de nullité, peu important qu'ils ne soient pas expressément récapitulés dans le dispositif de ces conclusions ; qu'en déclarant irrecevable comme nouvelle l'exception de nullité tirée de la conservation des données par l'administration en ce que celle-ci n'aurait pas été reprise au « dispositif des conclusions de nullités déposées en première instance » (arrêt, p. 9, in fine), la cour d'appel a méconnu le principe sus-énoncé, et privé sa décision de motifs en violation de l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
10. Les moyens sont réunis.
11. Pour rejeter les exceptions soulevées par le prévenu tirées de l'inobservation des prescriptions des articles L. 47 A du livre des procédures fiscales et L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, l'arrêt attaqué énonce, d'une part, que la première exception est irrecevable, M. [M] invoquant pour la première fois devant la cour d'appel la privation du droit d'option de l'article L. 47 A, II, du livre des procédures fiscales.
12. Il relève, d'autre part, s'agissant du défaut d'information préalable de la nature des traitements informatiques envisagés, notamment, que l'étendue du contrôle de l'autorité judiciaire quant à la régularité de la procédure fiscale est limitée, puisque les seules irrégularités, affectant les opérations administratives préalables à l'engagement de poursuites pénales pour fraude fiscale, susceptibles de conduire à l'annulation de la procédure par le juge judiciaire tiennent à la méconnaissance de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales, qui impose que le contribuable soit informé de son droit d'être assisté d'un avocat, et à l'absence de débat oral et contradictoire au cours de la vérification fiscale, ayant porté atteinte aux droits de la défense et que l'insuffisance alléguée échappe donc au contrôle de l'autorité judiciaire.
13. Il retient enfin que, au regard du dispositif des conclusions de nullités déposées en première instance, les trois dernières exceptions soulevées devant la cour n'ont pas été soumises aux premiers juges, qu'elles sont en conséquence irrecevables et qu'en tout état de cause, la méconnaissance des dispositions administratives sur lesquelles elles se fondent n'est pas susceptible, en vertu du principe ci-dessus cité, de conduire à l'annulation de la procédure par le juge pénal.
14. C'est à tort que la cour d'appel a considéré que certaines des exceptions de nullité soulevées n'avaient pas été présentées devant les premiers juges.
15. En effet, d'une part, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer qu'il résulte des conclusions régulièrement déposées devant le tribunal correctionnel par le conseil du prévenu, que le moyen de nullité tiré de la privation du droit d'option prévu à l'article L. 47 A, II, du livre des procédures fiscales, a été invoqué devant cette juridiction.
16. D'autre part, les juges sont tenus de répondre aux moyens péremptoires des conclusions dont ils sont saisis, que ces moyens figurent dans les motifs ou le dispositif de ces écritures.
17. Toutefois, l'arrêt n'encourt pas la censure.
18. En effet, l'omission d'informer le contribuable de son droit d'être assisté d'un conseil et l'absence de débat oral et contradictoire avec le vérificateur sont les seules irrégularités affectant les opérations administratives préalables à l'engagement des poursuites pénales pour fraude fiscale susceptibles de conduire à l'annulation de la procédure par le juge judiciaire.
19. Il en résulte que le respect des prescriptions des articles L. 47 A du livre des procédures fiscales et L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration n'entre pas dans le champ de contrôle restreint exercé par le juge pénal.
20. Ainsi, les griefs invoquant l'irrégularité des opérations de contrôle au regard de ces textes sont inopérants et les moyens doivent être écartés.
Sur le quatrième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
21. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité de la citation du 3 janvier 2020 devant le tribunal correctionnel, alors :
« 2°/ qu'est nulle la citation qui ne comporte aucune indication précise quant aux faits poursuivis ; qu'en rejetant l'exception de nullité de la citation de M. [N] [M] devant le tribunal correctionnel pour avoir « courant 2013, 2014 et 2015, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, commis l'infraction suivante : omission d'écriture dans un document comptable – fraude fiscale », alors que ne sont pas précisées les opérations commerciales n'ayant donné lieu à aucune passation d'écriture, la cour d'appel a violé les articles préliminaires et 551 du code de procédure pénale, et l'article 6 §3 a) de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
22. Pour écarter l'exception de nullité de la citation du 3 janvier 2020, l'arrêt attaqué énonce que, seule la nullité de la première citation, du 18 septembre 2019, ayant été soulevée par le prévenu en première instance, celui-ci est irrecevable à soulever pour la première fois devant la cour d'appel celle de la seconde citation.
23. C'est à tort que les juges ont considéré que l'exception de nullité de la citation du 3 janvier 2020, qui n'avait pas été invoquée devant les premiers juges, ne pouvait être soulevée pour la première fois devant la cour d'appel.
24. En effet, aucun débat au fond ne s'étant instauré avant que le tribunal correctionnel annule l'intégralité de la procédure, les dispositions de l'article 385, alinéa 6, du code de procédure pénale, aux termes desquels les exceptions de nullité doivent être présentées avant toute défense au fond, n'y faisaient pas obstacle.
25. Toutefois, l'arrêt n'encourt pas la censure dès lors que la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que la citation, qui comportait la description des faits poursuivis et la référence aux principaux textes de loi qui les répriment, a mis le prévenu en mesure de préparer sa défense, aucun grief n'étant démontré, ni même allégué.
26. Ainsi, le moyen doit être écarté.
27. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quinze janvier deux mille vingt-cinq.
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et Mme Boudalia, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.