SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 janvier 2025
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 32 FS-B
Pourvoi n° P 23-11.765
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme [G].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 17 avril 2023.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 JANVIER 2025
1°/ M. [E] [L], domicilié [Adresse 3],
2°/ la société Gigaffaires, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° P 23-11.765 contre l'arrêt rendu le 7 décembre 2022 par la cour d'appel de Montpellier (1re chambre sociale), dans le litige les opposant à Mme [X] [G], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Leperchey, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [L] et de la société Gigaffaires, de Me Bardoul, avocat de Mme [G], et l'avis de Mme Roques, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 3 décembre 2024 où étaient présents M. Sommer, président, M. Leperchey, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, Mmes Degouys, Lacquemant, Nirdé-Dorail, Palle, Ménard, Filliol, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur, M. Chiron, conseillers référendaires, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 7 décembre 2022), Mme [G] a été engagée en qualité de vendeuse-employée de caisse le 15 mai 2006 par la société Setaffaires, dont le gérant était M. [L].
2. La salariée a bénéficié d'un congé de maternité entre les 15 juillet et 4 novembre 2010, suivi d'un congé parental d'éducation d'un an à compter du 5 novembre 2010, renouvelé pour un an en novembre 2011.
3. Le 7 mars 2012, M. [L] a informé la salariée que la société Setaffaires avait été reprise, puis lui a indiqué que son nouvel employeur était la société Setaffaires Limited.
4. En l'absence d'information sur ce nouvel employeur malgré la fermeture définitive du magasin, la salariée a saisi la juridiction prud'homale le 13 décembre 2012 afin d'obtenir la condamnation de la société Setaffaires Limited à lui payer diverses sommes.
5. Ayant appris que l'activité de la société Setaffaires s'était poursuivie malgré la cession de ses parts sociales et sa radiation et que M. [L] était également gérant d'une société Gigaffaires exploitant un autre magasin, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes le 4 mars 2016 afin de voir reconnaître la qualité de co-employeurs aux sociétés Setaffaires et Gigaffaires et à M. [L] et d'obtenir leur condamnation solidaire à lui payer diverses sommes en réparation de ses préjudices.
6. Parallèlement, par jugement du 28 février 2017, le tribunal correctionnel a déclaré M. [L] coupable des chefs d'organisation frauduleuse d'insolvabilité afin d'échapper à une condamnation patrimoniale et d'usage de faux en écriture.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. M. [L] et la société Gigaffaires font grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription, de dire que le montage juridique qu'ils ont effectué visait à échapper au paiement des dettes et que ces actes étaient inopposables à la salariée, de constater la confusion d'intérêts, d'activité et de direction entre les sociétés Setaffaires, Gigaffaires et M. [L], de dire qu'ils sont co-employeurs de la salariée et de les condamner in solidum à payer à celle-ci diverses sommes à titre d'indemnité légale de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 1°/ que la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée ; que Mme [G] demandait à la cour d'appel de condamner solidairement M. [L] et la société Gigaffaires en qualité de co-employeurs à lui payer certaines sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d'indemnité conventionnelle de licenciement et de dommages-intérêts pour rupture abusive et vexatoire des relations contractuelles ; que les créances invoquées étaient donc toutes nées de la rupture du contrat de travail ; qu'en retenant cependant, pour dire que la rupture étant intervenue le 5 novembre 2012, que l'action engagée par Mme [G] le 4 mars 2016 n'était pas prescrite, que l'action visant à voir reconnaître la qualité de co-employeur à une personne qui n'est pas partie au contrat ne porte pas sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail au sens de l'article L. 1471-1 du code du travail mais est une action en reconnaissance d'un contrat de travail revêtant un caractère personnel et se prescrivant conformément aux dispositions de l'article 2224 du code civil, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil par fausse application et l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa version antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017 par refus d'application ;
2°/ que les lois spéciales dérogent aux lois générales ; que si l'action tendant au paiement de créances salariales et indemnitaires dont le succès suppose que soit préalablement reconnue la qualité de co-employeurs des défendeurs a un caractère personnel, elle est néanmoins régie par les dispositions spéciales du code du travail ; que Mme [G] demandait à la cour d'appel de condamner solidairement M. [L] et la société Gigaffaires en qualité de co-employeurs à lui payer certaines sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d'indemnité conventionnelle de licenciement et de dommages-intérêts pour rupture abusive et vexatoire des relations contractuelles ; qu'en retenant, pour dire que l'action engagée par Mme [G] n'était pas prescrite, que l'action visant à voir reconnaître la qualité de co-employeur à une personne qui n'est pas partie au contrat est une action en reconnaissance d'un contrat de travail revêtant un caractère personnel et se prescrivant conformément aux dispositions de l'article 2224 du code civil, la cour d'appel a violé les articles 2224 du code civil et L. 1471-1 du code du travail dans sa version antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017, ensemble le principe selon lequel les lois spéciales dérogent aux lois générales. »
Réponse de la Cour
8. Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
9. Aux termes de l'article L. 1471-1, alinéa 1er, du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
10. Il résulte de la combinaison de ces textes que l'action visant à la reconnaissance d'une situation de co-emploi revêt le caractère d'une action personnelle et relève de la prescription de l'article 2224 du code civil.
11. Lorsque la situation de co-emploi a été révélée au salarié par la découverte d'une fraude, le point de départ de ce délai est la date à laquelle celui qui exerce l'action a connu ou aurait dû connaître les faits, révélant l'existence de la fraude, lui permettant d'exercer son droit.
12. Ce point de départ est également applicable aux actions relatives aux demandes salariales et indemnitaires consécutives à la reconnaissance d'une situation de co-emploi, lesquelles sont soumises au délai de prescription déterminé par la nature de la créance invoquée.
13. La cour d'appel, ayant relevé que le procureur de la République avait fait citer M. [L] devant le tribunal correctionnel courant 2016, procédure dans laquelle Mme [G] s'était constituée partie civile, date à laquelle elle avait été en mesure de connaître l'organisation frauduleuse d'insolvabilité par son employeur, et que cette dernière avait saisi la juridiction prud'homale le 4 mars 2016 afin de voir reconnaître la qualité de co-employeurs aux sociétés Setaffaires et Gigaffaires et à M. [L] et de leur réclamer les indemnités relatives à la rupture du contrat de travail, en a exactement déduit que son action n'était pas prescrite.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [L] et la société Gigaffaires, in solidum, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [L] et la société Gigaffaires, in solidum, à payer à Me Bardoul la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé le quinze janvier deux mille vingt-cinq, par mise à disposition au greffe de la Cour, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.