CIV. 1
SA9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 janvier 2025
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 34 F-B
Pourvoi n° H 23-13.116
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 15 JANVIER 2025
Mme [B] [V], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° H 23-13.116 contre l'arrêt rendu le 13 septembre 2022 par la cour d'appel de Bordeaux (troisième chambre civile), dans le litige l'opposant à M. [P] [D], domicilié [Adresse 2] (Liban), défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Daniel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de Mme [V], de la SARL Corlay, avocat de M. [D], après débats en l'audience publique du 19 novembre 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Daniel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 13 septembre 2022), un arrêt du 2 juillet 2002 a prononcé le divorce de M. [D] et de Mme [V], mariés sans contrat préalable.
2. Des difficultés sont survenues à l'occasion de la liquidation de leurs intérêts patrimoniaux.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, et le deuxième moyen
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
4. Mme [V] fait grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de ses demandes et, en conséquence, d'homologuer l'état liquidatif dressé par M. [F], notaire, dans son état des opérations de comptes, liquidation et partage du 6 septembre 2017, de dire que cet état liquidatif homologué demeurera annexé à l'arrêt et fera l'objet d'un acte authentique de partage par M. [F] et de la condamner à payer à M. [D] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, alors « que l'autorité de chose jugée ne peut être attachée à une décision qui estime la valeur des biens objets du partage que si elle fixe la date de la jouissance divise ; que, pour refuser d'examiner la demande de Mme [V] tendant à la réévaluation de deux immeubles dépendant de l'indivision post-communautaire, la cour d'appel a retenu que cette question avait été "tranchée définitivement" par un jugement du juge aux affaires familiales d'Angoulême du 1er juin 2011, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 13 novembre 2012, ce qui rendait "irrecevable la demande de Mme [V] tendant à revoir l'évaluation des immeubles", l'autorité de la chose jugée interdisant tout nouvel examen ; qu'en statuant ainsi cependant que le jugement du 1er juin 2011 et l'arrêt du 13 novembre 2012 n'avaient pas déterminé la date de jouissance divise – laquelle a été fixée au 5 octobre 2016 par l'arrêt confirmatif attaqué qui a homologué l'état liquidatif établi par le notaire le 6 septembre 2017 –, de sorte que ces décisions étaient dépourvues de l'autorité de chose jugée quant à l'estimation définitive des biens, la cour d'appel a violé l'article 1351, devenu 1355 du code civil, et le principe d'égalité dans les partages. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1351 du code civil et le principe d'égalité dans les partages :
5. Il résulte de ce texte et de ce principe que l'autorité de la chose jugée ne peut être attachée à une décision qui estime la valeur des biens objets du partage que si elle fixe la date de la jouissance divise.
6. Pour rejeter la demande de Mme [V] tendant à la fixation de la soulte qui lui est due à une certaine somme, l'arrêt constate que l'évaluation des biens immeubles relevant de l'indivision post-communautaire a été fixée par un jugement du 1er juin 2011, confirmé par un arrêt du 13 novembre 2012, de sorte que la question a été tranchée définitivement. Il ajoute qu'aucun fait juridique nouveau n'est susceptible d'être opposé à l'autorité de la chose jugée attachée à cet arrêt d'appel. Il en déduit qu'une réévaluation des dits immeubles n'est pas justifiée.
7. En statuant ainsi, alors que l'arrêt du 13 novembre 2012, qui a déterminé la valeur des biens litigieux, n'avait pas fixé la date de la jouissance divise et n'avait donc pas l'autorité de la chose jugée quant à l'estimation définitive de ces biens, la cour d'appel a violé les texte et principe susvisés.
Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. Mme [V] fait le même grief à l'arrêt, alors « que chacun des copartageants doit supporter la CSG et la CRDS prélevées sur la part lui revenant des revenus fonciers résultant du bien indivis, ces contributions constituant une dette personnelle et non une dette de l'indivision ; qu'il en résulte que la CSG et la CRDS réglées par le mari sur les revenus fonciers qu'il a perçus pendant l'indivision ne doivent pas être inscrits au passif de l'indivision et au crédit du mari, peu important que ces revenus ou une partie d'entre eux soient reversés à l'indivision ; qu'en retenant néanmoins que la CSG et la CRDS prélevées sur les revenus fonciers des biens immobiliers indivis qui avaient été réglées par M. [D] devaient être intégrées dans le passif de l'indivision et remboursées par celle-ci à M. [D], la cour d'appel a violé les articles 815-8 à 815-12 du code civil. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
9. M. [D] conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que celui-ci est nouveau.
10. Cependant, le moyen est de pur droit.
11. Il est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 815-8 du code civil, l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale et l'article 15 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale :
12. Aux termes du premier de ces textes, quiconque perçoit des revenus ou expose des frais pour le compte de l'indivision doit en tenir un état qui est à la disposition des indivisaires.
13. Il résulte des deux derniers, qui instituent respectivement la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) sur les revenus du patrimoine, que ces contributions sont afférentes à des revenus, qu'elles sont assises, contrôlées et recouvrées selon les mêmes règles que l'impôt sur le revenu, et que l'assujettissement à ces contributions dépend de certaines conditions tenant à la personne qui perçoit ces revenus.
14. Il s'en déduit que la CSG et la CRDS, que chacun des co-partageants doit supporter sur la part lui revenant dans les revenus fonciers tirés du bien indivis, constituent des dettes personnelles et non des dettes de l'indivision.
15. Pour rejeter la demande de Mme [V] tendant à la fixation de la soulte qui lui est due à une certaine somme, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la CSG et la CRDS afférentes aux revenus fonciers du bien indivis de [Localité 3] sont, comme l'impôt foncier, une charge de la propriété devant incomber à titre définitif à l'indivision et que M. [D] dispose à ce titre d'une créance contre celle-ci.
16. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
17. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt rejetant la demande de Mme [V] en fixation du montant de la soulte qui lui est due à la somme de 80 705,68 euros entraîne la cassation des chefs de dispositif rejetant la demande de Mme [V] en désignation d'un nouveau notaire en vue d'établir un nouveau projet de liquidation du régime matrimonial, homologuant l'état liquidatif dressé le 6 septembre 2017, disant que l'état liquidatif en cause demeurera annexé à l'arrêt d'appel et fera l'objet d'un acte authentique de partage, et condamnant Mme [V] à payer à M. [D] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement du 26 mars 2019, il rejette la demande de Mme [V] de fixer le montant de la soulte qui lui est due à la somme de 80 705,68 euros, homologue l'état liquidatif dressé par M. [F], notaire, dans son état des opérations de comptes, liquidation et partage du 6 septembre 2017, et condamne Mme [V] à payer à M. [D] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, en ce qu'il rejette la demande de Mme [V] de désigner un nouveau notaire en vue d'établir un nouveau projet de liquidation du régime matrimonial, en ce qu'il dit que l'état liquidatif homologué, dressé par M. [F], le 6 septembre 2017, demeurera annexé à l'arrêt d'appel et fera l'objet d'un acte authentique de partage par M. [F], et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 13 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Agen ;
Condamne M. [D] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze janvier deux mille vingt-cinq.