SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 janvier 2025
Cassation
Mme MONGE, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 43 FS-B
Pourvoi n° X 23-20.168
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [U].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 22 juin 2023.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 JANVIER 2025
M. [Z] [U], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° X 23-20.168 contre l'arrêt rendu le 1er mars 2023 par la cour d'appel de Montpellier (2e chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Welljob, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société TP Sud, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Quellec, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [U], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Welljob, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société TP Sud, et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 décembre 2024 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Le Quellec, conseiller rapporteur, Mme Cavrois, conseiller le plus ancien faisant fonction de doyen, M. Flores, Mme Deltort, conseillers, Mmes Thomas-Davost, Laplume, Rodrigues, Segond, conseillers référendaires, M. Halem, avocat général référendaire, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 1er mars 2023), M. [U] a été engagé par la société Welljob, entreprise de travail temporaire, et mis à disposition de la société TP Sud, au cours de la période du 7 janvier au 9 août 2019, suivant quinze contrats de mission, en qualité de maçon voirie et réseaux divers (VRD), au motif d'un accroissement temporaire d'activité.
2. Puis, suivant contrat de travail à durée déterminée du 15 juillet 2019, à effet du 2 septembre 2019 au 31 décembre 2019, l'entreprise utilisatrice a embauché M. [U], en qualité de maçon.
3. Le salarié a été victime d'un accident du travail le 19 septembre 2019.
4. Le 3 mars 2020, le salarié a saisi la juridiction prud'homale, afin de solliciter la requalification des contrats de mission et du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée et d'obtenir le paiement d'indemnités afférentes à la requalification et à un licenciement nul.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à la requalification de ses contrats de mission du 7 janvier au 9 août 2019 en contrat à durée indéterminée et à la condamnation des entreprises de travail temporaire et utilisatrice en paiement de diverses sommes à titre d'indemnités de requalification et d'irrégularité de la procédure de licenciement, de dommages-intérêts au titre de la nullité du licenciement et d'indemnités légale de licenciement et compensatrice de préavis, outre congés payés afférents, alors « que les dispositions de l'article L. 1251-40 du code du travail n'excluent pas la possibilité pour le salarié d'agir contre l'entreprise de travail temporaire lorsque les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d'uvre est interdite n'ont pas été respectées ; qu'en application des articles L. 1251-36 et L. 1251-37-1 du code du travail, l'entreprise de travail temporaire ne peut conclure avec un même salarié sur le même poste de travail, des contrats de missions successifs qu'à la condition que chaque contrat en cause soit conclu pour l'un des motifs limitativement énumérés par le second de ces textes – tel que l'exécution de travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité – et au nombre desquels ne figure pas l'accroissement temporaire d'activité ; qu'en énonçant, pour débouter M. [U] de sa demande de requalification de ses contrats de mission temporaire du 7 janvier au 9 août 2019 et de ses demandes subséquentes dirigées contre la société Welljob, que le non-respect par l'entreprise utilisatrice des délais de carence ne constituait pas une cause de requalification, tout en constatant que les contrats de mission du 7 janvier au 9 août 2019, établis par la société de travail temporaire au profit de M. [U] pour faire face à un accroissement temporaire d'activité de la société utilisatrice, n'avaient pas été conclus pour la réalisation de travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité au sens de l'article L. 1251-37-1 du code du travail, ce dont il résultait que la société de travail temporaire, la société Welljob, avait conclu, sans respect du délai de carence, des contrats de mission pour accroissement temporaire d'activité qui ne répondaient pas à la réalisation de travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité, en sorte que la relation contractuelle existant entre le salarié et l'entreprise de travail temporaire devait être requalifiée en un contrat de travail à durée indéterminée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi par refus d'application les articles L. 1251-36 et L. 1251-37-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1251-36 et L. 1251-37-1 du code du travail :
6. Les dispositions de l'article L. 1251-40 du code du travail, qui sanctionnent l'inobservation par l'entreprise utilisatrice des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10, L. 1251-11, L. 1251-12-1, L. 1251-30 et L. 1251-35-1, et des stipulations des conventions ou des accords de branche conclus en application des articles L. 1251-12 et L. 1251-35 du même code, n'excluent pas la possibilité pour le salarié d'agir contre l'entreprise de travail temporaire lorsque les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d'oeuvre est interdite n'ont pas été respectées.
7. Par ailleurs, il résulte des articles L. 1251-36 et L. 1251-37-1 du code du travail susvisés que l'entreprise de travail temporaire ne peut conclure avec un même salarié sur le même poste de travail, à défaut de stipulation contraire dans la convention ou l'accord de branche conclu en application de l'article L. 1251-37, des contrats de missions successifs sans respect d'un délai de carence qu'à la condition que chaque contrat en cause soit conclu pour l'un des motifs limitativement énumérés par le second de ces textes, au nombre desquels figure la réalisation de travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité mais ne figure pas l'accroissement temporaire d'activité.
8. Pour débouter le salarié de ses demandes tendant à faire prononcer la requalification de ses contrats de mission en contrat à durée indéterminée, à dire qu'il avait fait l'objet d'un licenciement nul et à condamner l'entreprise de travail temporaire à lui régler diverses sommes à titre d'indemnité de requalification, d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement nul, l'arrêt retient que les contrats de mission n'ont pas été conclus pour la réalisation de travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité, que dès lors l'entreprise utilisatrice ne pouvait s'affranchir des délais de carence qui n'ont pas été respectés.
9. Il ajoute que, pour autant, le non-respect des délais de carence ne constitue nullement une cause de requalification des contrats de mission en un contrat de travail à durée indéterminée.
10. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que les contrats de mission établis par l'entreprise de travail temporaire mentionnaient le motif d'un accroissement temporaire d'activité et n'avaient pas été conclus pour la réalisation de travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité, ce dont il résultait que le respect du délai de carence prévu par l'article L. 1251-36 du code du travail s'imposait et que faute pour l'entreprise de travail temporaire de l'avoir observé elle avait failli aux obligations qui lui étaient propres, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
11. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à la requalification de ses contrats de mission temporaire du 7 janvier au 9 août 2019 et du contrat à durée déterminée du 15 juillet 2019 en contrat de travail à durée indéterminée et de ses demandes de condamnation in solidum des sociétés en paiement de diverses sommes à titre d'indemnités de requalification, au titre de l'irrégularité de la procédure de licenciement, de dommages-intérêts au titre de la nullité du licenciement et d'indemnités légale de licenciement et de préavis, outre congés payés afférents, alors « que la possibilité donnée à l'entreprise utilisatrice de recourir à des missions successives avec le même salarié, pour faire face à un accroissement temporaire de son activité, ne peut avoir pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à son activité normale et permanente ; que l'entreprise utilisatrice ne peut recourir de façon systématique aux contrats précaires pour faire face à un besoin structurel de main-d'uvre ; qu'en se bornant, pour débouter M. [U] de sa demande de requalification de ses contrats de mission temporaire du 7 janvier au 9 août 2019 en contrat de travail à durée indéterminée, à retenir que la société utilisatrice justifiait suffisamment qu'elle se trouvait contrainte par la commande publique à constituer très rapidement des équipes pour intervenir sur des chantiers dont elle ne pouvait prévoir ni la durée ni la taille, tout en constatant que du 7 janvier au 9 août 2019, M. [U] avait accompli des missions d'intérim au nombre de 15 sur une durée de 7 mois auprès de la société TP Sud et qu'à cette occasion, il occupait le même emploi de maçon, ce dont il résultait que cet emploi était lié durablement à l'activité normale et permanente de l'entreprise, la cour d'appel qui a refusé de requalifier la relation de travail en un contrat à durée indéterminée, a violé les articles L. 1251-5, L. 1251-6 et L. 1251-40 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1251-5, L.1251-6 et L. 1251-40 du code du travail :
12. Il résulte de la combinaison des textes susvisés que la possibilité donnée à l'entreprise utilisatrice de recourir à des contrats de missions successifs avec le même salarié intérimaire pour répondre à un accroissement temporaire d'activité, ne peut avoir pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à son activité normale et permanente.
13. Pour débouter le salarié de sa demande de requalification des contrats de travail temporaire en contrat à durée indéterminée, l'arrêt constate que le recours à des salariés intérimaires peut être autorisé pour les besoins d'une ou plusieurs tâches résultant de l'accroissement temporaire d'activité de l'entreprise, notamment en cas de variations cycliques de production, sans qu'il soit nécessaire que l'accroissement présente un caractère exceptionnel.
14. Il ajoute que la société utilisatrice justifiait suffisamment qu'elle se trouvait contrainte par la commande publique à constituer très rapidement des équipes pour intervenir sur des chantiers dont elle ne pouvait prévoir ni la durée ni la taille, que le recours à l'intérim durant sept mois n'avait pas eu pour effet ou pour objet de pourvoir durablement à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice soumise aux cycles irréguliers de la commande publique.
15. En se déterminant ainsi, par des motifs tirés des contraintes de la commande publique qui ne suffisent pas à caractériser, d'une part, un accroissement temporaire d'activité, d'autre part, un contrat n'ayant ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement à un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne les sociétés Welljob et TP Sud aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société TP Sud et condamne les sociétés Welljob et TP Sud à payer à la SCP Lyon-Caen et Thiriez la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze janvier deux mille vingt-cinq.