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17/01/2025 | FRANCE | N°23-18.823

France | France, Cour de cassation, Assemblée plénière, 17 janvier 2025, 23-18.823


COUR DE CASSATION LM


ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE


Audience publique du 17 janvier 2025

Cassation
M. SOULARD, premier président
Arrêt n° 680 B+R

Pourvoi n° K 23-18.823



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, DU 17 JANVIER 2025


M. [N] [M], domicilié [Adresse 3] (Mexique), a formé le pourvoi n° K 23-18.823 contre l'arrêt rendu le 21 mars 2023 par la cour d'appel de Lyon (1re cha

mbre civile B), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [C] [W], domicilié [Adresse 2],

2°/ à la société Office notarial Geonot (ONG), société ...

COUR DE CASSATION LM


ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE


Audience publique du 17 janvier 2025

Cassation
M. SOULARD, premier président
Arrêt n° 680 B+R

Pourvoi n° K 23-18.823



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, DU 17 JANVIER 2025


M. [N] [M], domicilié [Adresse 3] (Mexique), a formé le pourvoi n° K 23-18.823 contre l'arrêt rendu le 21 mars 2023 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile B), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [C] [W], domicilié [Adresse 2],

2°/ à la société Office notarial Geonot (ONG), société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

3°/ à Mme [U] [V], épouse [X], domiciliée [Adresse 4],

4°/ à Mme [O] [V] épouse [I], domiciliée [Adresse 1],

5°/ à Mme [E] [V], épouse [Y], domiciliée [Adresse 5] (Italie),

défendeurs à la cassation.

M. [N] [M] s'est pourvu en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble en date du 16 juin 2020.

Cet arrêt a été cassé partiellement le 2 mars 2022 par la première chambre civile de la Cour de cassation.

La cause et les parties ont été renvoyées devant la cour d'appel de Lyon qui, saisie de la même affaire, a statué par arrêt du 21 mars 2023.

Un pourvoi ayant été formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, le premier président de la Cour de cassation a, par ordonnance du 12 juillet 2024, renvoyé la cause et les parties devant l'assemblée plénière.

Le demandeur au pourvoi invoque, devant l'assemblée plénière, le moyen de cassation formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de M. [N] [M].

Un mémoire en défense au pourvoi a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [C] [W] et de la société Office notarial Geonot.

Le rapport écrit de Mme Dard, conseiller, et l'avis écrit de M. Poirret, premier avocat général, ont été mis à disposition des parties.

Sur le rapport de Mme Dard, conseiller, assisté de Mme Sciore, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Jean-Philippe Caston, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, et l'avis de M. Poirret, premier avocat général, auquel les parties, invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2024 où étaient présents M. Soulard, premier président, M. Sommer, Mme Teiller, MM. Bonnal, Vigneau, Mme Martinel, présidents, Mme Duval-Arnould, doyen de chambre faisant fonction de président, Mme Dard, conseiller rapporteur, M. Huglo, Mmes de la Lance, Durin-Karsenty, M. Ponsot, doyens de chambre, Mmes Auroy, Proust, conseillers faisant fonction de doyen de chambre, Mmes Piazza, Lapasset, Guillou, Douxami, M. Pety, conseillers, M. Poirret, premier avocat général, et Mme Mégnien, greffier fonctionnel-expert,

la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, composée du premier président, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 21 mars 2023), rendu après cassation (1re Civ., 2 mars 2022, pourvoi n° 20-21.068, publié), et les productions, [A] [L], de nationalité italienne, est décédée le 28 février 2015 en laissant pour lui succéder quatre enfants, Mmes [U], [O] et [E] [V] et M. [T] [Y], ainsi qu'un petit-fils, M. [N] [M], venant par représentation de sa mère, prédécédée le 22 février 1994, et en l'état d'un testament reçu, en français, le 17 avril 2002, par M. [W], notaire (le notaire), en présence de deux témoins et avec le concours d'une interprète en langue italienne, et instituant ses trois filles légataires de la quotité disponible.

2. M. [M] a assigné ses tantes en nullité du testament.

3. Celles-ci ont appelé en intervention forcée le notaire et la société civile professionnelle [W]-Monin-Villard, aux droits de laquelle vient la société Office notarial Geonot.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. M. [M] fait grief à l'arrêt de dire que le testament reçu le 17 avril 2002 par M. [W] est valide et de rejeter ses demandes, alors « que si un testament international peut être écrit en une langue quelconque afin de faciliter l'expression de la volonté de son auteur, celui-ci ne peut l'être en une langue que le testateur ne comprend pas, même avec l'aide d'un interprète ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 3, § 3, et 4, § 1, de la loi uniforme sur la forme d'un testament international annexée à la Convention de Washington du 26 octobre 1973, ainsi que l'article V.1 de cette Convention. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 3, § 3, et 4, § 1, de la loi uniforme sur la forme d'un testament international annexée à la Convention de Washington du 26 octobre 1973 (la Convention) et l'article V.1 de celle-ci :

5. Selon le premier de ces textes, le testament international peut être écrit en une langue quelconque, à la main ou par un autre procédé.

6. Aux termes du deuxième, le testateur déclare en présence de deux témoins et d'une personne habilitée à instrumenter à cet effet que le document est son testament et qu'il en connaît le contenu.

7. Le troisième stipule :
« Les conditions requises pour être témoin d'un testament international sont régies par la loi en vertu de laquelle la personne habilitée a été désignée. Il en est de même à l'égard des interprètes éventuellement appelés à intervenir ».

8. Ces textes peuvent recevoir deux interprétations différentes quant à la possibilité, en matière de testament international, de pallier la méconnaissance par le testateur de la langue qu'il a choisie pour tester en recourant à un interprète.

9. Une première interprétation tient compte de ce que la loi uniforme, que les États parties ont seule l'obligation d'intégrer à leur droit interne, ne prévoit pas le recours à un interprète.

10. C'est celle qu'a retenue la Cour de cassation dans son arrêt précité du 2 mars 2022, qui a jugé que, si un testament international pouvait être écrit en une langue quelconque, afin de faciliter l'expression de la volonté de son auteur, il ne pouvait l'être, même avec l'aide d'un interprète, en une langue que le testateur ne comprenait pas.

11. Cette position, approuvée par une partie de la doctrine, s'inscrit dans un courant jurisprudentiel, qui, interprétant les règles formelles à l'aune de leur finalité, en l'occurrence favoriser la liberté du disposant et le respect de ses volontés tout en s'assurant de la réalité de ses intentions, subordonne la validité du testament à la faculté pour le testateur d'en vérifier personnellement le contenu (1re Civ., 9 juin 2021, pourvoi n° 19-21.770, publié ; 1re Civ., 12 octobre 2022, pourvoi n° 21-11.408, publié).

12. Une seconde interprétation tire de l'article V.1 de la Convention la possibilité d'avoir recours à un interprète dans les conditions requises par la loi en vertu de laquelle la personne habilitée a été désignée.

13. Elle garantit la sécurité juridique des testaments reçus en la forme internationale, par une personne habilitée par la loi d'un autre État partie, en présence d'un tel interprète, et assure, dans un contexte de mobilité des personnes et d'internationalisation des patrimoines, une application harmonisée des règles du testament international au sein des États ayant ratifié la Convention.

14. Il convient désormais de retenir cette seconde interprétation et de juger que la loi uniforme permet qu'un testament soit écrit dans une langue non comprise du testateur dès lors que, dans ce cas, celui-ci est assisté par un interprète répondant aux conditions requises par la loi en vertu de laquelle la personne habilitée à instrumenter a été désignée.

15. Toutefois, aucune disposition de la Convention ni de la loi uniforme ne fait obligation aux États parties d'introduire dans leur législation des dispositions relatives aux conditions d'intervention d'un interprète.

16. Ainsi, la loi n° 94-337 du 29 avril 1994, qui désigne comme personne habilitée à instrumenter en matière de testament international, sur le territoire de la République française, les notaires, et, à l'égard des Français à l'étranger, les agents diplomatiques et consulaires français, ne contient pas de telles dispositions.

17. Le silence de cette loi doit s'interpréter comme ne permettant pas en lui-même le recours à un interprète.

18. En effet, le testament en la forme internationale a de commun avec le testament en la forme authentique que le notaire ou l'agent diplomatique ou consulaire français, habilité à le recevoir, garantit le respect des formalités prescrites. Or, en l'état des textes applicables à l'époque de l'adoption de cette loi, il était jugé que le testament authentique reçu par le truchement d'un interprète était nul (1re Civ., 18 décembre 1956, Bull. I, n° 469 ; 1re Civ., 15 juin 1961, Bull. n° 317).

19. Si, depuis lors, en modifiant l'article 972, alinéa 4, du code civil, la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures a assoupli le formalisme du testament authentique pour permettre, lorsque le testateur ne peut s'exprimer en langue française, que la dictée et la lecture du testament puissent être accomplies par un interprète, c'est sous réserve que cet interprète soit choisi par le testateur sur la liste nationale des experts judiciaires dressée par la Cour de cassation ou sur la liste des experts judiciaires dressée par chaque cour d'appel, de sorte que seul un testament authentique recueilli avec le concours d'un tel expert, postérieurement à l'entrée en vigueur de ce texte, intervenue le 18 février 2015, pourrait, par équivalence des conditions, être déclaré valide en tant que testament international.

20. Pour valider en tant que testament international le testament du 17 avril 2002, après avoir constaté que [A] [L] l'avait dicté en présence d'une interprète en langue italienne, langue non comprise du notaire et des deux témoins, l'arrêt retient qu'en l'absence, à cette date, de disposition du droit interne prévoyant l'intervention d'un interprète, le défaut d'assermentation de l'interprète ayant assisté [A] [L] n'était pas de nature à affecter la validité du testament et que, si l'acte ne porte pas la mention formelle prévue à l'article 4, § 1, de la loi uniforme, il précise qu'il a été écrit à la machine à traitement de texte par le notaire, tel qu'il lui a été dicté par la testatrice et l'interprète, puis que le notaire l'a lu à celles-ci, lesquelles ont déclaré le bien comprendre et reconnaître qu'il exprime les volontés de la testatrice, le tout en présence simultanée et non interrompue des témoins, ce qui permet de s'assurer que [A] [L] a bien confirmé que le document était son testament et qu'elle en connaissait le contenu.

21. En statuant ainsi, alors qu'à la date du testament litigieux, aucune disposition légale ne permettait, tant en matière de testament international qu'en matière de testament authentique, de recourir à un interprète pour assister un testateur ne comprenant pas la langue du testament, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;

Condamne M. [W], la société Office notarial Geonot et Mmes [U], [O] et [E] [V] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [W] et la société Office notarial Geonot et les condamne à payer à M. [M] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le dix-sept janvier deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Assemblée plénière
Numéro d'arrêt : 23-18.823
Date de la décision : 17/01/2025
Sens de l'arrêt : Cassation

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Lyon 1B


Publications
Proposition de citation : Cass. Assemblée plénière, 17 jan. 2025, pourvoi n°23-18.823, Bull. civ.Publié au Rapport
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles Publié au Rapport

Origine de la décision
Date de l'import : 18/01/2025
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:23.18.823
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