CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 29 janvier 2025
Rejet
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 60 F-B
Pourvoi n° Q 23-21.150
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 29 JANVIER 2025
M. [E] [I], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 23-21.150 contre l'arrêt rendu le 17 mai 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 3, chambre 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [C] [W], épouse [X], domiciliée [Adresse 3] (Italie),
2°/ à Mme [J] [W], épouse [U], domiciliée [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme de Cabarrus, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de M. [I], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mmes [C] et [J] [W], et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 3 décembre 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme de Cabarrus, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 mai 2023), par testament olographe du 21 février 2014, [Z] [I] a institué pour légataires universels par parts égales ses trois neveu et nièces, M. [I] et Mmes [C] et [J] [W]. Par un nouveau testament olographe du 20 septembre 2017, elle a déclaré révoquer toutes dispositions testamentaires antérieures et souhaiter que la dévolution légale s'applique.
2. Le 11 décembre 2017, [Z] [I] est décédée et son frère, père de M. [I], et sa soeur, mère de Mmes [W], ont renoncé à sa succession.
3. Le 14 février 2018, M. [I] et Mmes [W] ont conclu un accord prévoyant en son article premier, d'une part, que ces dernières entendent renoncer à faire constater l'annulation du testament olographe du 20 septembre 2017, accepter l'application des règles successorales ab intestat, et en conséquence, signer l'acte de cession des actions des sociétés EMAB et Garage-Nation, faisant partie des actifs de la succession, au profit de la société SPN, et, d'autre part, que M. [I], considération prise de la situation financière du groupe Garages-Nation et afin d'en garantir la pérennité, accepte, quant à lui, de rééquilibrer partiellement l'actif net successoral au profit de Mmes [W] et s'engage à verser à chacune d'elles une somme égale à 5,845 % de l'actif net successoral fixé dans la déclaration de succession (hors contrats d'assurance-vie), après déduction des droits de mutation à titre gratuit forfaitairement arrêtés à 45 % et des frais d'actes.
4. Le 15 février 2018, les actions des sociétés EMAB et Garage-Nation ont été cédées à la société SPN.
5. En raison de désaccords persistants sur l'exécution du protocole du 14 février 2018 et sur la valorisation de certains éléments d'actif successoral, Mmes [W] ont assigné M. [I] aux fins d'obtenir le partage de la succession d'[Z] [I] et la condamnation de M. [I] à exécuter le protocole du 14 février 2018. Celui-ci leur a opposé sa nullité.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et sur le second moyen
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième à sixième branches
Enoncé du moyen
7. M. [I] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation de l'accord du 14 février 2018, alors :
« 2°/ que M. [I] faisait valoir dans ses conclusions d'appel qu'en cas de nullité du testament du 20 septembre 2017, Mmes [W], sur le fondement d'un testament de 2014, auraient perçu chacune en application dudit testament du 21 février 2014 instituant celles-ci et M. [I] légataires universels, une somme de 10 155 590 euros, soit pour chacune d'elles 846 299 euros de plus qu'en cas d'application de la dévolution légale, comme prévu par le testament du 20 septembre 2017, et que « du fait de la violence exercée au soir du 14 février 2018, elles ont contraint M. [I] à leur consentir une indemnité de 2 250 325 euros (chiffrée « à titre d'exemple » dans le protocole attaqué et finalement fixée à la demande des intimées à la somme de 2 149 251,82 euros), soit près du triple de ce qu'elles auraient obtenu en cas de succès dans le procès (en nullité du testament du 20 septembre 2017) dont elle le menaçait », de sorte que cette menace était « exercée en toute connaissance de cause « pour obtenir un avantage manifestement excessif »
précisément la définition de la violence énoncée à l'article 1141 du Code civil », ce qui justifiait la nullité du protocole d'accord du 14 février 2018 ; qu'en se bornant à affirmer que les droits de M. [I], s'il versait une indemnité de 2 354 912,82 euros à chacune de ses cousines, resteraient de 13 913 564 euros alors qu'ils auraient été de 10 155 590 euros si l'on devait appliquer le testament de 2014, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le versement à chacune de Mmes [W] en exécution du protocole litigieux d'une somme près de trois fois supérieure au bénéfice espéré en cas de nullité du testament du 20 septembre 2017 dont elle menaçait M. [I] ne constituait pas un avantage manifestement excessif justifiant la nullité du protocole d'accord litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1141 du code civil ;
3°/ que dans ses conclusions d'appel, M. [I] faisait valoir que l'urgence de la signature de l'acte de cession au profit de la société SPN, objet du protocole litigieux, résultait des termes mêmes de celui-ci, selon lequel les parties, notamment Mmes [W], motivaient ainsi leur rapprochement : « Compte tenu des obligations dont sont tenus les héritiers de Mme [H] aux termes des Pactes d'associés signé par cette dernière avec la société SAS SPN, dont l'inexécution serait gravement préjudiciable aux soussignés, d'une part, et afin de garantir la pérennité du groupe Garages Nation et le maintien des emplois y afférents, d'autre part, les parties se sont rapprochées à l'effet des présentes » et de ce que Mmes [W], signataires du protocole décrivant une situation financière du groupe Garages Nation dégradée au point que celle-ci avait réalisé des pertes sur les derniers exercices et n'avait échappé à une cessation des paiements que grâce aux refinancements effectués par la société SPN, avaient ainsi reconnu la réalité de cette situation ; qu'en se bornant à affirmer que M. [I] n'établissait pas les difficultés économiques de la société EMAB telles qu'elles rendaient la réitération de la vente urgente, sans répondre à ce chef des conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ que M. [I] faisait encore valoir dans ses conclusions d'appel que la société SPN, ainsi que cela résultait de la pièce n° 72 « avait expressément indiqué qu'elle ne procéderait plus à aucun apport jusqu'au changement de contrôle » et qu'ainsi, « sans le soutien financier du Minoritaire, le risque de cessation des paiements avant la fin février était majeur » ; qu'en affirmant que M. [I] n'établissait pas les difficultés économiques de la société EMAB telles qu'elles rendaient la vente urgente, sans répondre à ces conclusions fondées sur un élément de preuve versé aux débats, la cour d'appel a encore violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5°/ que M. [I] faisait également valoir que face au refus abusif de Mmes [W] de signer l'acte de transfert, le 15 février 2018, et par suite de disposer des fonds afférents à cette cession, il avait été obligé de se soumettre à la volonté de cette dernière afin que puissent être réglés les droits de mutation de 30 millions d'euros exigibles le 30 juin 2018 ; qu'en ne répondant pas à ce chef des conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
6°/ que dans ses conclusions d'appel M. [I] invoquait l'avis de M. [L], expert auprès de la cour d'appel et de la Cour de cassation, qui concluait : « La dégradation financière continue de la société Garages Nation et de ses filiales peut être constatée, outre les pertes enregistrées dans les comptes annuels, par : - une dette à court terme de 90,4 M€ à fin 2016, - une hémorragie de trésorerie pour le groupe estimée à 400 k€ par mois début 2017, allant en s'aggravant au fur et à mesure de la poursuite de l'exercice ; - un déficit de trésorerie prévisionnel à fin juin 2017 de 1,9 M€, porté à 2,9 M€ à fin décembre 2017 malgré l'apport en compte courant de 1 000 k€ octroyé par SPN au mois d'octobre 2017. Ces difficultés ont engendré, d'une part, une perte de confiance des partenaires financiers, qui ont alors entrepris de restreindre leurs lignes de crédit et de bloquer les en-cours et, d'autre part, une forte inquiétude des constructeurs devant la dégradation des ratios financiers de la société Garages Nation et de ses filiales. Il nous paraît clair que, fin 2017, le groupe était ainsi confronté à une situation financière critique, sans d'autre issue que la mise en oeuvre de mesures de refinancement et de restructuration urgentes, mesures que seul le repreneur avait les moyens d'engager à condition, bien entendu, de pouvoir prendre les commandes du groupe et d'entrer en possession des actifs cédés (dont on rappellera une nouvelle fois qu'ils étaient temporairement inaliénables tant que le pacte du 19 novembre 2014 n'était pas dénoué) », pour en déduire que « cette analyse démontre la situation gravement obérée dans laquelle se trouvait le Groupe Garages Nation à la veille du changement de contrôle » et que face à la volonté exprimée par la société SPN de ne plus procéder à aucun apport jusqu'à ce changement de contrôle, il n'avait eu d'autre alternative, face au refus abusif de Mmes [W] de signer l'acte de transfert, le 15 février 2018, que de se soumettre à leur volonté ; qu'en se bornant à affirmer que M. [I] n'établissait pas les difficultés économiques de la société EMAB telles qu'elles rendaient la vente urgente, sans procéder à une analyse, même sommaire de l'avis de M. [L], la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
8. Dans un contrat synallagmatique, l'obtention d'un avantage manifestement excessif au sens des articles 1141 et 1143 du code civil doit s'apprécier aussi au regard des avantages obtenus par l'autre partie.
9. Après avoir relevé que M. [I], qui avait été nommé président de la société EMAB du vivant d'[Z] [I] et était présent lors de la signature du pacte d'associés, n'établissait pas qu'il ne disposait d'aucune autre option que la signature du protocole qu'il avait lui-même négocié pendant plusieurs semaines au cours de plusieurs échanges et réunions, notamment pour parvenir au calcul de l'indemnité transactionnelle, et en étant assisté d'un notaire et d'un avocat, la cour d'appel, prenant en considération les concessions réciproques prévues à l'article premier de l'accord, a retenu que les droits de M. [I] en vertu de la dévolution légale s'élevaient à la somme de 18 623 388 euros contre 9 311 694 euros pour chacune de ses cousines tandis que, en application du testament de 2014, chacun des trois cousins aurait perçu la somme de 10 155 590 euros et que l'application de la transaction litigieuse était plus avantageuse pour M. [I] que le testament de 2014 puisqu'il avait droit à la somme de 13 913 564 euros après versement à chacune de ses cousines de la somme de 2 354 912,82 euros, tandis qu'il aurait eu droit à la somme de 10 155 590 euros si le testament de 2017 avait été annulé. Par ces seuls motifs, faisant ressortir que l'avantage obtenu par Mmes [W] n'était pas manifestement excessif, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.
10. Le moyen, inopérant en ses troisième à sixième branches qui critiquent des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [I] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [I] et le condamne à payer à Mmes [W] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf janvier deux mille vingt-cinq.