COMM.
JB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 février 2025
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 88 F-B
Pourvoi n° U 23-14.047
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 12 FÉVRIER 2025
La société Les Hauts de l'Oumède, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 23-14.047 contre l'arrêt rendu le 31 janvier 2023 par la cour d'appel de Chambéry (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant au directeur régional des finances publiques de Provence-Alpe-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, dont le siège est [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vigneras, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boullez, avocat de la société Les Hauts de l'Oumède, de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur régional des finances publiques de Provence-Alpe-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, après débats en l'audience publique du 17 décembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Vigneras, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 31 janvier 2023), après avoir notifié une première proposition de rectification le 4 août 2010, qu'elle a ensuite abandonnée, l'administration fiscale a, le 30 janvier 2012, notifié à la société Les Hauts de l'Oumède, marchand de biens, une proposition de rectification remettant en cause le bénéfice du régime prévu à l'article 1115 du code général des impôts, après avoir écarté, sur le terrain de l'abus de droit, la revente d'un immeuble.
2. Le 27 mai 2013, les droits, pénalités et intérêts de retard ont été mis en recouvrement.
3. Après le rejet de sa réclamation contentieuse, la société Les Hauts de l'Oumède a assigné l'administration fiscale en décharge de ces droits, intérêts et pénalités.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens
4. En application de l'article 1014, alinéa2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La société Les Hauts de l'Oumède fait grief à l'arrêt de dire que la proposition de rectification du 30 janvier 2012 et l'avis de mise en recouvrement (AMR) du 17 mai 2013 sont réguliers et de rejeter l'ensemble de ses demandes, alors :
« 1°/ que lorsque l'avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, cet acte doit, à peine de nullité, se référer, le cas échéant, aux documents adressés au contribuable l'informant d'une modification de droit, taxes et pénalités résultant de la rectification ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a refusé d'annuler l'AMR du 27 mai 2013 qui se référait à un courrier du 4 août 2010, jamais reçu par le contribuable et concernant en tout état de cause une procédure annulée, ce qui ne pouvait constituer une simple erreur matérielle, a violé l'article R. 256-1 du livre des
procédures fiscales ;
2°/ que l'avis de mise en recouvrement consécutif à une procédure de rectification doit, à peine de nullité, mentionner le texte du code général des impôts qui sert de base légale au redressement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a jugé la procédure régulière, sans vérifier, comme cela lui avait été demandé, si l'AMR visait l'article du code général des impôts qui fondait le redressement au jour du fait générateur de l'impôt, a privé sa décision de base légale au regard de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales. »
Réponse de la Cour
6. Il résulte de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales que l'AMR prévu à l'article L. 256 du même code, qui doit indiquer le montant des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l'objet de cet avis et, lorsqu'il est consécutif à une procédure de rectification, faire référence à la proposition de rectification et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l'informant d'une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications, doit permettre au contribuable de connaître les moyens de droit et de fait permettant d'apprécier le bien-fondé de l'imposition réclamée et d'identifier précisément la dette fiscale mise en recouvrement.
7. L'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales ne fait en revanche pas obligation à l'administration fiscale de mentionner dans l'AMR les textes du code général des impôts dont il est fait application.
8. L'arrêt constate, par motifs propres et adoptés, que la société Les Hauts de l'Oumède a été rendue destinataire des propositions de rectification du 4 août 2010 et du 30 janvier 2012, que l'AMR du 17 mai 2013 indique le montant des droits, pénalités et intérêts de retard et vise la proposition de rectification avec, certes, une erreur matérielle puisque la date inscrite est celle du 4 août 2010 au lieu du 30 janvier 2012. Il retient que, toutefois, le contenu des deux propositions de rectification est identique dans sa motivation, comme l'a indiqué le conseil de la société requérante dans sa réclamation du 28 décembre 2015. Il en déduit que cette erreur de date s'analyse en une simple erreur matérielle.
9. De ces énonciations et constatations, dont il ressort que l'AMR mentionnait le montant des droits, pénalités et intérêts réclamés et renvoyait à une proposition de rectification du 4 août 2010 formellement délaissée par l'administration fiscale mais identique à celle du 30 janvier 2012, et que la société requérante avait été rendue destinataire des deux propositions de rectification, de sorte qu'elle avait été mise en mesure d'identifier précisément la dette fiscale mise en recouvrement et de connaître les moyens de droit et de fait permettant d'en apprécier le bien-fondé, la cour d'appel a exactement déduit que l'AMR était régulier.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
11. La société Les Hauts de l'Oumède fait le même grief à l'arrêt, alors « que les juges doivent concrètement vérifier la proportionnalité de la majoration de 80 % appliquée par l'administration fiscale dans l'hypothèse d'abus de droit ; qu'en s'étant bornée à affirmer péremptoirement que la sanction fiscale était proportionnée aux agissements commis, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le principe de proportionnalité. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
12. Il résulte de ce texte qu'un recours de pleine juridiction doit être ouvert au contribuable pour permettre au juge de se prononcer sur le principe et le montant de la pénalité fiscale. Le juge, saisi d'une demande en ce sens, doit vérifier que la pénalité fiscale est proportionnée au comportement du contribuable dans les circonstances de l'espèce.
13. Pour écarter la demande de modération de la majoration de 80 % appliquée par l'administration fiscale au titre de l'abus de droit, l'arrêt constate que l'administration a calculé la majoration prévue par l'article 1729 du code général des impôts et destinée à sanctionner les agissements reprochés au contribuable, auteur d'un abus de droit. Il ajoute que cette sanction fiscale est proportionnée aux agissements commis.
14. En se déterminant ainsi, sans apprécier concrètement la proportionnalité de la pénalité aux circonstances de l'espèce, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société Les Hauts de l'Oumède de réduction de la pénalité fiscale prononcée, l'arrêt rendu le 31 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne le directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé en l'audience publique du douze février deux mille vingt-cinq et signé par M. Ponsot, conseiller doyen en ayant délibéré, en remplacement de M. Vigneau président, empêché, le conseiller référendaire rapporteur et M. Doyen, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.