N° K 23-86.857 F-B
N° 00178
RB5
12 FÉVRIER 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 FÉVRIER 2025
M. [J] [K] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Basse-Terre, chambre correctionnelle, en date du 24 octobre 2023, qui, pour abus de biens sociaux et non-soumission des documents comptables à l'assemblée générale d'une société à responsabilité limitée, l'a condamné à 30 000 euros d'amende et un an d'inéligibilité, et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [J] [K], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 janvier 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [J] [K], gérant de la société [3] ([2]), a été poursuivi devant le tribunal correctionnel des chefs susvisés.
3. Par jugement du 19 décembre 2019, le prévenu a été déclaré coupable des faits poursuivis.
4. En répression, il a été condamné à huit mois d'emprisonnement avec sursis, 8 000 euros d'amende, cinq ans d'interdiction d'exercer l'activité professionnelle ayant permis la commission de l'infraction, l'interdiction définitive de gérer et un an d'inéligibilité.
5. Sur les intérêts civils, le tribunal a reçu la constitution de partie civile de la société [2] et a condamné le prévenu à lui payer 110 496 euros en réparation du préjudice financier et 5 000 euros en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
6. Le prévenu, le ministère public et la partie civile ont interjeté appel de la décision.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, cinquième, sixième, septième et huitième branches
7. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [K] coupable d'abus de biens sociaux, alors :
« 4°/ que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ; qu'en relevant, pour déclarer M. [K] coupable d'abus de biens sociaux, qu'il a vendu le camion Hyundai HD65 à M. [F] et n'a pas transféré à la société [2] la partie du prix de vente versée en espèces (arrêt p. 13), sans répondre au moyen péremptoire des conclusions d'appel de M. [K] faisant valoir que les espèces concernées avaient été déposées dans le bureau du restaurant [1] en attendant le règlement du solde, jamais intervenu, et que l'ouragan Irma du 30 août 2017 a entièrement détruit le restaurant (conclusions p. 18), de sorte que les fonds n'ont pas été encaissés par la société [2] par l'effet de la force majeure au sens de l'article 122-2 du code pénal, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de ce texte, des articles L. 241-3 du code de commerce et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
9. Pour déclarer M. [K] coupable d'abus de biens sociaux pour avoir conservé personnellement le produit de la vente du camion de type Hyundai HD65 de la société [2], l'arrêt attaqué retient que ce bien constituait un actif de celle-ci que le prévenu a vendu sans que la vente soit déclarée en comptabilité et sans qu'il transfère à la société la partie du prix versée en espèces.
10. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à une simple allégation du prévenu, a justifié sa décision.
11. Le grief doit être écarté.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [K] coupable de faits de non-soumission des documents comptables à l'assemblée des associés d'une société à responsabilité limitée commis entre le 1er août 2012 et le 31 décembre 2017, alors :
« 1°/ que la loi pénale est d'interprétation stricte ; que l'article L. 241-5 du code de commerce, dans sa version en vigueur depuis le 24 mars 2012, incrimine le seul fait, pour les gérants, de ne pas soumettre à l'approbation de l'assemblée des associés ou de l'associé unique l'inventaire, les comptes annuels et le rapport de gestion établis pour chaque exercice ; qu'en retenant, pour déclarer M. [K] coupable du délit de l'article L. 241-5 du code de commerce, qu'il résulte de ce texte dans sa version en vigueur depuis le 24 mars 2012 et de l'article L. 223-26 du même code que le délit de soumission des comptes sociaux à l'assemblée générale est constitué si cette soumission n'intervient pas dans un délai de six mois à compter de la clôture de l'exercice, sauf prolongation par décision judiciaire (arrêt p. 10) et que s'il est établi que M. [K] a convoqué un assemblée générale qui s'est tenue le 26 mai 2017 afin d'approuver les comptes annuels arrêtés au 31 décembre 2016, il a reconnu qu'il ne l'avait pas fait dans le délai légal prescrit s'agissant des années précédentes et qu'il a fait preuve d'une négligence fautive (arrêt p. 10) cependant que l'article L. 241-5 du code de commerce incrimine l'absence de soumission des comptes sociaux à l'assemblée générale des associés et non leur soumission tardive, la cour d'appel a violé les articles L. 241-5 du code de commerce, 111-4 du code pénal et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ qu'à titre subsidiaire, à supposer même que l'article L. 241-5 du code de commerce, dans sa version en vigueur depuis le 24 mars 2012, incrimine le fait, pour les gérants, de ne pas soumettre à l'approbation de l'assemblée des associés ou de l'associé unique l'inventaire, les comptes annuels et le rapport de gestion établis pour chaque exercice dans un délai de six mois à compter de la clôture de l'exercice, en déclarant M. [K] coupable de non-soumission des documents comptables à l'assemblée des associés du 1er août 2012 au 31 décembre 2017 (arrêt p. 16), tout en relevant que M. [K] a convoqué une assemblée générale qui s'est tenue le 26 mai 2017 afin d'approuver les comptes annuels arrêtés au 31 décembre 2016 (arrêt p. 10), de sorte qu'il a soumis ces comptes à l'approbation de l'assemblée dans un délai de six mois à compter de la clôture de l'exercice, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 241-5 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 241-5 du code de commerce et 593 du code de procédure pénale :
13. Selon le premier de ces textes, est constitutif d'un délit le fait, pour les gérants de sociétés à responsabilité limitée, de ne pas soumettre à l'approbation de l'assemblée des associés ou de l'associé unique l'inventaire, les comptes annuels et le rapport de gestion établis pour chaque exercice.
14. Il résulte du second que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
15. Pour déclarer M. [K] coupable de non-soumission des documents comptables à l'assemblée générale d'une société à responsabilité limitée pour les exercices comptables de 2013 à 2016, l'arrêt attaqué retient que ce délit est constitué si cette soumission n'intervient pas dans un délai de six mois à compter de la clôture de l'exercice, sauf prolongation par décision judiciaire.
16. Les juges constatent par ailleurs que, s'il est établi que le prévenu a convoqué une assemblée générale qui s'est tenue le 26 mai 2017 afin d'approuver les comptes annuels arrêtés au 31 décembre 2016, il a reconnu qu'il n'avait soumis à l'approbation de l'assemblée générale des associés aucun des documents visés par l'article L. 223-26 du code du commerce dans le délai légal prescrit s'agissant des années précédentes et que cette soumission aux fins d'approbation des comptes 2013 à 2016 a finalement été effectuée à l'initiative du mandataire judiciaire désigné par le tribunal mixte de commerce de Basse-Terre à l'occasion de l'assemblée générale extraordinaire qui s'est tenue le 19 décembre 2017.
17. Ils ajoutent que le prévenu ne peut utilement se prévaloir d'une négligence ou d'un manque de conseil, alors même qu'il évolue dans le monde des affaires depuis plusieurs années et a, selon ses propres dires, créé et géré plusieurs sociétés avant [2].
18. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés pour les motifs qui suivent.
19. En premier lieu, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 22 mars 2012, qui a modifié l'article L. 241-5 du code de commerce, ne se trouve plus réprimé le fait de ne pas procéder à la réunion de l'assemblée des associés dans les six mois de la clôture de l'exercice ou, en cas de prolongation, dans le délai fixé par décision de justice.
20. Il s'en déduit que le seul retard dans la soumission des documents comptables à l'assemblée des associés ou de l'associé unique d'une société à responsabilité limitée n'est pas constitutif d'infraction pénale.
21. En second lieu, la cour d'appel s'est contredite en énonçant qu'il est établi que le prévenu a convoqué une assemblée générale qui s'est tenue le 26 mai 2017 afin d'approuver les comptes annuels arrêtés au 31 décembre 2016, tout en relevant que la soumission aux fins d'approbation des comptes sociaux 2013 à 2016 a finalement été effectuée à l'initiative du mandataire judiciaire désigné par le tribunal mixte de commerce de Basse-Terre à l'occasion de l'assemblée générale extraordinaire qui s'est tenue le 19 décembre 2017.
22. La cassation est par conséquent encourue.
Et sur le deuxième moyen, pris en sa neuvième branche
Enoncé du moyen
23. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [K] coupable d'abus de biens sociaux, alors :
« 9°/ que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ; qu'en déclarant M. [K] coupable d'abus de biens sociaux sur la période comprise entre le 1er août 2012 et le 31 décembre 2017 cependant que les motifs de l'arrêt ne font référence à aucun fait commis en 2017, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles L. 241-3 du code de commerce et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
24. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
25. En déclarant M. [K] coupable d'abus de biens sociaux commis entre le 1er août 2012 et le 31 décembre 2017, sans relever de faits commis au cours de l'année 2017, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision s'agissant des faits commis au cours de cette dernière année.
26. La cassation est par conséquent de nouveau encourue.
Et sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
27. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile de la société [2], déclaré M. [K] responsable du préjudice subi par celle-ci et condamné celui ci à lui payer la somme de 110 496 euros en réparation du préjudice financier, alors :
« 1°/ que lorsque l'action sociale est intentée par un associé, le tribunal ne peut statuer que si la société a été régulièrement mise en cause par l'intermédiaire de ses représentants légaux ; qu'en retenant, pour déclarer recevable l'action social ut singuli, que la société [2] a été régulièrement mise en cause du fait de la Copj du 31 juillet 2019 valant citation à personne à M. [K] lui imputant des infractions en tant que gérant de droit de la Sarl [2] ainsi que des conclusions déposées en première instance par Me [H] pour le compte de la Sarl [2] (arrêt p. 14), la cour d'appel a violé les articles R. 223-32 et L. 223-22 du code de commerce ;
2° / que l'action sociale exercée par un associé n'est recevable que si la société est régulièrement représentée dans l'instance ; que lorsqu'il existe un conflit d'intérêts entre la société et son représentant légal, la société ne peut être régulièrement représentée que par un mandataire ad hoc, qu'il appartient au juge de désigner à la demande de l'associé ou du représentant légal ou, le cas échéant, d'office ; qu'en déclarant recevable l'action sociale ut singuli cependant qu'il existait un conflit d'intérêt entre la société [2] et M. [K], gérant de la société pénalement poursuivi pour des infractions commises au préjudice de cette société, et qu'aucun mandataire ad hoc n'a été désigné dans la procédure devant les premiers juges, la cour d'appel a violé les articles R. 223-32 et L. 223-22 du code de commerce ;
3°/ que la partie civile ne peut, en cause d'appel, former aucune demande nouvelle ; qu'en relevant, pour déclarer recevable la constitution de partie civile de la société [2], que M. [K] n'est pas fondé à soutenir que l'action sociale d'Obs, appelée dans la cause en appel par acte d'huissier du 23 mars 2023 adressé à son liquidateur judiciaire, est irrecevable et que la constitution de partie civile de la société [2], initialement formée par l'intermédiaire de M. [L], est assurée désormais par son liquidateur et en retenant que la société [2] n'a pas formé de demandes particulières en appel (arrêt p. 15), la cour d'appel a violé l'article 515 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 223-22, alinéa 3, et R. 223-32 du code de commerce :
28. Selon le premier de ces textes, outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, les associés peuvent, soit individuellement, soit en se groupant dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, intenter l'action sociale en responsabilité contre les gérants. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation de l'entier préjudice subi par la société à laquelle, le cas échéant, les dommages-intérêts sont alloués.
29. Selon le second, lorsque l'action sociale est intentée par un ou plusieurs associés, le tribunal ne peut statuer que si la société a été régulièrement mise en cause par l'intermédiaire de ses représentants légaux. Le tribunal peut désigner un mandataire ad hoc pour représenter la société dans l'instance, lorsqu'il existe un conflit d'intérêts entre celle-ci et ses représentants légaux.
30. Pour déclarer l'action civile de la société [2], intentée par l'un de ses associés, recevable, l'arrêt attaqué retient que la société a régulièrement été mise en cause en première instance, dès lors que son gérant a été destinataire de la convocation par officier de police judiciaire lui imputant la commission d'infractions en cette qualité.
31. Les juges ajoutent que M. [K] a également été destinataire des conclusions déposées en première instance pour le compte de la société [2], demandant au tribunal d'accueillir la constitution de partie civile de la société au titre de l'action sociale exercée par l'intermédiaire de l'un de ses associés.
32. En se déterminant ainsi, alors que la citation à comparaître délivrée au dirigeant en exercice de la société, en qualité de prévenu, ne vaut pas mise en cause de la société par l'intermédiaire d'un de ses représentants légaux, non plus que la seule communication de conclusions pour le compte de la société, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
33. La cassation est par conséquent de nouveau encourue.
Portée et conséquence de la cassation
34. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions ayant déclaré le prévenu coupable de non-soumission des documents comptables à l'assemblée générale d'une société à responsabilité limitée, d'abus de biens sociaux s'agissant des seuls faits qu'il est reproché au demandeur d'avoir commis au cours de l'année 2017, ainsi que les dispositions relatives aux peines et à l'action civile de la société [2]. Les autres dispositions seront donc maintenues.
35. En raison de la cassation sur le deuxième moyen qui emporte cassation sur les peines, il n'y a pas lieu de statuer sur le troisième moyen.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Basse-Terre, en date du 24 octobre 2023, mais en ses seules dispositions ayant déclaré le prévenu coupable de non-soumission des documents comptables à l'assemblée générale d'une société à responsabilité limitée, d'abus de biens sociaux s'agissant des faits qu'il est reproché au demandeur d'avoir commis au cours de l'année 2017, sur les peines et sur l'action civile de la société [2], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Basse-Terre, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Basse-Terre et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du douze février deux mille vingt-cinq.