CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 février 2025
Rejet
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 150 F-D
Pourvoi n° E 22-11.776
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 FÉVRIER 2025
1°/ la société Bee Design, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],
2°/ la société MJS Partners, dont le siège est [Adresse 2], représentée par M. [P] [R], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Bee Design,
3°/ la société BMA administrateurs judiciaires, société d'exercice libéral par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], représentée par M. [H] [Z], agissant en qualité commissaire à l'exécution du plan de la société Bee Design,
ont formé le pourvoi n° E 22-11.776 contre l'arrêt n° RG : 21/01105 rendu le 18 novembre 2021 par la cour d'appel de Montpellier (2e chambre civile), dans le litige les opposant au Syndicat des fabricants aveyronnais du couteau de [Localité 3], dont le siège est [Adresse 4], [Localité 3], défendeur à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Riuné, conseiller référendaire, les observations de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société Bee Design, en redressement judiciaire, de la société MJS Partners, représentée par M. [P] [R], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Bee Design, de la société BMA administrateurs judiciaires, représentée par M. [H] [Z], agissant en qualité commissaire à l'exécution du plan de la société Bee Design, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat du Syndicat des fabricants aveyronnais du couteau de [Localité 3], et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 janvier 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Riuné, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Reprise d'instance
1. Il est donné acte à la société BMA administrateurs judiciaires, prise en la personne de M. [Z], de sa reprise d'instance en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Bee Design.
2. Il est donné acte à la société MJS Partners, représentée par M. [R], de sa reprise d'instance en qualité de liquidateur judiciaire de la société Bee Design.
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 18 novembre 2021) et les productions, par jugement du tribunal de commerce de Rodez du 2 mai 2017, prononcé sur assignation du Syndicat aveyronnais du couteau de [Localité 3] (le syndicat), la société Bee Design a été condamnée à cesser, sous astreinte, « toute pratique commerciale trompeuse sur son site internet ou tout autre support de communication (blog, brochure, etc.) », et notamment toute utilisation des expressions « boutique officielle [Localité 3] », « site officiel [Localité 3] », « produit conforme de qualité », « protège de la contrefaçon » et « coutellerie artisanale ».
4. Saisi par le syndicat, le juge de l'exécution a prononcé la liquidation de l'astreinte provisoire, a condamné la société Bee Design à payer à ce titre la somme de 1 236 000 euros assortie d'intérêts de retard et a ordonné la reconduction de l'astreinte provisoire.
5. La société Bee Design a été placée en redressement judiciaire puis a bénéficié d'un plan de redressement par voie de continuation. La société MJS Partners, représentée par M. [R], et la société BMA administrateurs judiciaires, prise en la personne de M. [Z], ont été désignées respectivement mandataire judiciaire et commissaire à l'exécution du plan de la société Bee Design.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa cinquième branche
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première à quatrième branches
La chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a délibéré sur ce moyen, après débats à l'audience publique du 3 septembre 2024, où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bessaud, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre.
Enoncé du moyen
7. La société Bee Design fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la liquidation de l'astreinte provisoire fixée par le jugement du tribunal de commerce de Rodez du 2 mai 2017 à la somme de 1 236 000 euros pour une période d'inexécution de 1 236 jours calendaires consécutifs, du 29 juillet 2017 au 15 décembre 2020 inclus, condamné en conséquence la société Bee Design à payer au syndicat cette somme majorée des intérêts de retard et ordonné la reconduction de l'astreinte provisoire à hauteur de 2 500 euros par jour calendaire de retard, pour assurer le strict respect de l'injonction judiciaire telle que fixée par le dispositif du jugement du tribunal de commerce de Rodez du 2 mai 2017, et ce, à compter du lendemain de la signification du jugement, alors :
« 1°/ que si le juge statuant sur la liquidation de l'astreinte doit déterminer l'étendue exacte de l'obligation assortie de celle-ci et dire si cette obligation a été ou non remplie, il doit cependant s'en tenir à cette vérification, sans pouvoir porter une nouvelle appréciation sur les faits ni mettre à la charge du débiteur de l'astreinte de nouvelles obligations ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a décidé que l'injonction faite à la société Bee Design ne se limitait pas à s'abstenir d'utiliser les cinq expressions" visées dans le dispositif de la décision rendue au fond, mais s'étendait au-delà à toute autre expression consistant en une pratique commerciale trompeuse sur son site internet ou tout autre support de communication" ; qu'en conséquence, la cour d'appel ne s'en est pas tenue à la vérification de l'exécution de l'obligation assortie de l'astreinte, mais a été conduite à apprécier de nouveaux faits comme un juge du fond pour déterminer si d'autres pratiques imputées à la société Bee Design constituaient ou non des pratiques commerciales trompeuses ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs de juge de l'exécution et violé l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution ;
2°/ que le juge de l'exécution ne peut modifier ni l'obligation assortie de l'astreinte ni le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a décidé que l'injonction faite à la société Bee Design ne se limitait pas à s'abstenir d'utiliser les cinq expressions" visées dans le dispositif de la décision rendue au fond, mais s'étendait au-delà à toute autre expression consistant en une pratique commerciale trompeuse sur son site internet ou tout autre support de communication" ; que cette lecture de l'injonction litigieuse a conduit la cour d'appel à devoir elle-même qualifier de nouvelles pratiques mises en uvre par la société Bee Design pour déterminer si celles-ci pouvaient ou non être sanctionnables au titre des pratiques commerciales trompeuses et, par voie de conséquence, à modifier le dispositif de la décision ayant prononcé la condamnation, cette décision n'ayant pas tranché la question du caractère trompeur ou non de l'utilisation des expressions litigieuses, telles que modifiées par la société Bee Design ; qu'en liquidant néanmoins l'astreinte, cependant que cette liquidation ne pouvait se faire sans modifier le dispositif de la décision de justice servant de fondement aux poursuites, la cour d'appel a violé l'article R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution ;
3°/ que le juge de l'exécution ne peut modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites ; qu'en l'espèce, tandis que la décision ayant prononcé l'astreinte litigieuse visait exclusivement, au titre des pratiques commerciales trompeuses imputées à la société Bee Design, les articles L. 120-1, L. 121-1, L. 121-1-1 et suivants du code de la consommation, la cour d'appel, par motifs adoptés du premier juge, a retenu que les expressions modifiées par la société Bee Design, en vue de se conformer à l'injonction judiciaire qui lui avait été faite, créaient de plus fort ‘une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif d'un concurrent', ce qui caractérise la pratique commerciale trompeuse au sens de l'article L. 121-2, 1°, du code de la consommation" ; qu'en appréciant au regard de ce texte, n'ayant pas servi de fondement au jugement du 2 mai 2017, l'existence et l'exécution des obligations mises à la charge de la société Bee Design, la cour d'appel a violé les articles L. 131-4 et R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution ;
4°/ qu'il appartient au créancier de l'injonction prononcée sous astreinte d'apporter la preuve de l'inexécution de l'injonction judiciaire ; qu'en énonçant en l'espèce, par motifs adoptés du premier juge, que la société Bee Design, sur qui pèse désormais la charge de la preuve", ne démontrait pas que les expressions modifiées utilisées sur son site internet étaient de nature à ne plus caractériser une pratique commerciale trompeuse (et) à ne plus induire en erreur le public sur les qualités substantielles de ses produits, leur origine et leur mode de fabrication, ainsi que sur les droits et aptitudes du professionnel", la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution, ensemble l'article 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
8. Il résulte de l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution que le montant de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter.
9. Si, en application de l'article R. 121-1, alinéa 1er, du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution ne peut modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, il lui appartient d'en fixer le sens.
10. Après avoir relevé que la société Bee Design utilisait sur son site internet et sur des supports de communication des expressions correspondant partiellement à celles qu'elle devait, selon le jugement, cesser d'utiliser, l'arrêt retient que la condamnation à cesser les actes litigieux était plus large que l'utilisation des cinq expressions « boutique officielle [Localité 3] », « site officiel [Localité 3] », « produit conforme de qualité », « protège de la contrefaçon », « coutellerie artisanale », précisément visées dans le dispositif du jugement, la lettre même de l'injonction judiciaire consistant à faire cesser « toute pratique commerciale trompeuse sur son site internet ou tout autre support de communication ».
11. Il ajoute, par motifs adoptés, qu'en utilisant sur son site internet trois expressions modifiées comme suit : « [Localité 3] attitude. Boutique en ligne officielle de la marque [Localité 3] », « [Localité 3]-Attitude.com, site officiel de vente en ligne des produits de la marque [Localité 3] » et « couteaux artisanaux » au lieu, respectivement, de « boutique officielle [Localité 3] », « site officiel [Localité 3] » et « coutellerie artisanale », la société Bee Design a poursuivi une pratique commerciale trompeuse de nature à induire en erreur le public sur les qualités substantielles de ses produits, leur origine et leur mode de fabrication, ainsi que sur les droits et aptitudes du professionnel, l'introduction de la notion de marque au sein des expressions interdites étant destinée à contourner l'interdiction judiciaire.
12. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'a pas modifié le dispositif de la décision dont l'exécution était poursuivie mais a souverainement déterminé l'étendue de l'obligation mise à la charge de la société Bee Design au regard des motifs de cette décision, a, sans inverser la charge de la preuve, retenu à bon droit que la société Bee Design avait poursuivi les pratiques commerciales trompeuses que le tribunal de commerce de Rodez avait interdites.
13. Inopérant en sa troisième branche, qui critique des motifs surabondants, le moyen n'est donc pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société MJS Partners, prise en la personne de M. [R], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Bee Design, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize février deux mille vingt-cinq.