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19/03/2025 | FRANCE | N°23-13.576

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale financière et économique - formation restreinte hors rnsm/na, 19 mars 2025, 23-13.576


COMM.

JB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 mars 2025




Cassation


M. MOLLARD, conseiller doyen faisant fonction de président



Arrêt n° 150 F-B

Pourvoi n° H 23-13.576




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 19 MARS 2025

La s

ociété Lufthansa Technik AG, société de droit allemand, dont le siège est [Adresse 6] (Allemagne), a formé le pourvoi n° H 23-13.576 contre l'arrêt rendu le 24 février 2023 p...

COMM.

JB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 mars 2025




Cassation


M. MOLLARD, conseiller doyen faisant fonction de président



Arrêt n° 150 F-B

Pourvoi n° H 23-13.576




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 19 MARS 2025

La société Lufthansa Technik AG, société de droit allemand, dont le siège est [Adresse 6] (Allemagne), a formé le pourvoi n° H 23-13.576 contre l'arrêt rendu le 24 février 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Astronics Advanced Electronic Systems, société de droit américain, dont le siège est [Adresse 1] (États-Unis),

2°/ à la société Panasonic Avionics Corporation, société de droit américain, dont le siège est [Adresse 3] (États-Unis), et ayant un établissement [Adresse 4],

3°/ à la société Thales Avionics Inc., société de droit américain, dont le siège est [Adresse 2] (États-Unis),
défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Sabotier, conseiller, les observations de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, Lassalle-Byhet, avocat de la société Lufthansa Technik AG, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés Astronics Advanced Electronic Systems, Panasonic Avionics Corporation et Thales Avionics Inc., après débats en l'audience publique du 28 janvier 2025 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sabotier, conseiller rapporteur, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 février 2023), la société Lufthansa Technik est titulaire du brevet européen désignant la France n° EP 0 881 145 (le brevet EP 145) ayant pour titre « dispositif d'alimentation électrique ». Ce brevet, déposé le 22 mai 1998 sous priorité d'une demande allemande du 31 mai 1997, a été délivré le 26 novembre 2003. Il a expiré le 22 mai 2018.

2. Les 29 décembre 2017 et 18 juin 2018, la société Lufthansa Technik a assigné les sociétés Panasonic Avionics, Astronics Advanced Electronic Systems et Thales Avionics en contrefaçon de ce brevet. A titre reconventionnel, ces sociétés ont sollicité l'annulation des revendications opposées n° 1, 2, 3 et 7.

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

3. La société Lufthansa Technik fait grief à l'arrêt de déclarer la revendication 1 du brevet EP 145 dépourvue d'activité inventive, alors « que l'activité inventive doit s'apprécier au regard de l'invention telle qu'elle est revendiquée dans le brevet ; qu'elle doit également s'apprécier au regard de l'homme du métier, qui est celui du domaine technique où se pose le problème que l'invention se propose de résoudre ; qu'en l'espèce, la revendication 1 du brevet EP 145 porte expressément sur un dispositif d'alimentation électrique permettant de mettre à disposition une tension d'alimentation électrique pour des appareils électriques dans la cabine d'un avion" ; qu'en l'espèce, la société Lufthansa Technik soulignait les particularités du système électrique d'un avion et faisait valoir, eu égard à ces spécificités, que l'homme du métier devait être défini comme un ingénieur électronicien spécialisé dans la conception d'équipements électroniques pour l'aviation et pouvant optionnellement consulter un ingénieur spécialisé dans la sécurité aérienne pour des demandes particulières ; qu'en refusant néanmoins de tenir compte de ces spécificités, telles qu'invoquées par la société Lufthansa Technik, au motif inopérant que le risque de décharge accidentelle lors de la manipulation d'une prise femelle est un problème bien connu qui n'est pas lié au seul domaine aéronautique", pour en déduire que l'homme du métier serait un ingénieur électronicien d'abord spécialisé dans la conception d'équipements électriques ou électroniques et consultant éventuellement un ingénieur de sécurité dans le domaine de l'aviation pour des exigences particulières", quand elle constatait elle-même que le problème technique à résoudre était d'assurer une plus grande sécurité d'une prise de courant placée dans un fauteuil d'avion" et que le domaine technique de l'invention était celui des dispositifs d'alimentation électrique qui permettent aux compagnies aériennes de mettre à disposition de leurs passagers une prise électrique afin qu'ils puissent faire fonctionner leurs appareils électriques en toute sécurité", la cour d'appel a violé les articles 56 et 138 de la Convention sur la délivrance de brevets européens du 5 octobre 1973 ainsi que l'article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 614-12, alinéa 1er, du code de la propriété intellectuelle et les articles 52, paragraphe 1, 56 et 138, paragraphe 1, sous a), de la Convention sur la délivrance de brevets européens signée à [Localité 5] le 5 octobre 1973 :

4. Aux termes du premier de ces textes, la nullité du brevet européen est prononcée, en ce qui concerne la France, par décision de justice pour l'un quelconque des motifs visés à l'article 138, paragraphe 1, de la Convention de Munich. Il résulte du dernier qu'est déclaré nul, avec effet pour un État contractant, un brevet européen dont l'objet n'est pas brevetable en vertu des articles 52 à 57 de la Convention de Munich. Selon le deuxième, les brevets européens sont délivrés pour toute invention dans tous les domaines technologiques, à condition, notamment, qu'elle implique une activité inventive. Selon le troisième, une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour une personne du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique.

5. La personne du métier est celle du domaine technique où se pose le problème que l'invention, objet de ce brevet, se propose de résoudre (Com., 20 novembre 2012, pourvoi n° 11-18.440). Elle possède les connaissances normales de la technique en cause et est capable à l'aide de ses seules connaissances professionnelles de concevoir la solution du problème que propose de résoudre l'invention (Com., 17 octobre 1995, pourvoi n° 94-10.433, Bull. 1995, IV, n° 232).

6. Pour déclarer nulle la revendication 1 du brevet EP 145, l'arrêt retient que la personne du métier est un ingénieur électronicien spécialisé dans la conception d'équipements électriques ou électroniques et consultant éventuellement un ingénieur de sécurité dans le domaine de l'aviation pour des exigences particulières.

7. En statuant ainsi, alors même qu'elle constatait que le but de l'invention était de proposer un dispositif d'alimentation électrique pour des cabines d'avion, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le second moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

8. La société Lufthansa Technik fait grief à l'arrêt de déclarer la revendication 2 du brevet EP 145 dépourvue d'activité inventive, alors « qu'une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que le critère de temporalité" était pris en compte" dans le document Miller et suggéré" dans le document Neuenschwander, la cour d'appel a affirmé que l'homme du métier disposait des éléments l'incitant à intégrer une temporisation s'ajoutant à la condition de simultanéité des deux broches insérées et la mise en œuvre de ce critère impliquait des opérations d'adaptation du circuit électrique qui étaient à sa portée, la configuration d'un circuit électrique et le choix des moyens adaptés pour parvenir à un résultat donné relevant de l'activité ordinaire de l'homme du métier" ; qu'en statuant par des tels motifs, impropres à caractériser en quoi ces deux documents, qui n'enseignaient pas un contrôle du temps écoulé entre la détection de l'enfichage de chacune des deux broches, auraient conduit, de manière évidente, l'homme du métier à prévoir, comme la revendication 2 du brevet EP 145, une mesure du temps écoulé entre la détection de la première et de la deuxième broches, une comparaison de la durée mesurée avec une valeur maximale et la délivrance d'une tension uniquement si une durée de contact maximale n'a pas été dépassée, la cour d'appel a statué en violation des articles 56 et 138 de la Convention sur la délivrance de brevets européens du 5 octobre 1973 ainsi que de l'article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 614-12, alinéa 1er, du code de la propriété intellectuelle et les articles 52, paragraphe 1, 56 et 138, paragraphe 1, sous a), de la Convention sur la délivrance de brevets européens signée à [Localité 5] le 5 octobre 1973 :

9. Pour retenir l'évidence de la revendication 2, l'arrêt relève, d'abord, que la description du brevet Neuenschwander enseigne une ligne d'alimentation qui n'est ouverte que si les broches sont déplacées simultanément le long de la ligne théorique de mouvement de la broche jusqu'au contact avec le connecteur. L'arrêt ajoute que le brevet Miller résoud le même problème que la revendication 2, à savoir l'insertion accidentelle de deux épingles dans une prise, et qu'à cette fin, il propose que le système reste inactif tant que trois broches n'ont pas été simultanément insérées, de sorte que, pour se trouver en situation dangereuse, il est nécessaire d'insérer une épingle dans chacun des trois trous ce qui est en pratique extrêmement difficile à accomplir.

10. L'arrêt énonce ensuite que l'apport inventif de la revendication 2 du brevet EP 145 consiste en une mesure de temps entre le premier actionnement de l'un des commutateurs de contact de la prise de courant et celui de l'autre commutateur, qui doit être inférieur à une valeur maximale pour que l'unité de commande et de contrôle applique la tension d'alimentation.

11. L'arrêt ajoute que, si les moyens de mise en œuvre du critère de temporalité ne sont pas enseignés par les documents Neuenschwander et Miller, le brevet EP 145 ne les décrit pas plus.

12. L'arrêt en déduit que la personne du métier disposait, avec les documents Neuenschwander et Miller, des éléments l'incitant à intégrer une temporisation s'ajoutant à la condition de simultanéité d'insertion des deux broches, tandis que la mise en œuvre de ce critère de temporalité impliquait des opérations d'adaptation du circuit électrique qui étaient à sa portée, la configuration d'un circuit électrique et le choix des moyens adaptés pour parvenir à un résultat donné relevant de l'activité ordinaire de la personne du métier.

13. En se déterminant ainsi, sans caractériser en quoi la mesure du temps écoulé entre la détection de la première et de la deuxième broches, sa comparaison avec une valeur maximale et la délivrance d'une tension uniquement si une durée de contact maximale n'est pas atteinte, constituaient des étapes évidentes pour la personne du métier partant des documents Neuenschwander et Miller, alors même qu'elle constatait que le document Miller n'enseignait pas un contrôle de la simultanéité de l'enfichage et que le document Neuenschwander, qui n'enseignait pas davantage un tel contrôle, ne traitait même pas du problème de l'enfichage accidentel de deux épingles, qui correspond au problème objectif que la revendication 2 du brevet en cause propose de résoudre, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

14. La validité d'une revendication principale entraîne celle des revendications placées sous sa dépendance (Com., 12 décembre 1995, pourvois n° 94-12.488 et 93-21.640, Bull. 1995, IV, n° 292 ; Com., 8 avril 2008, pourvois n° 05-17.570 et 05-19.280 ; Com., 17 mai 2023, pourvoi n° 19-25.509).

15. La cassation du chef de l'arrêt ayant déclaré nulles les revendications 1 et 2 du brevet entraîne par voie de conséquence, en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de l'arrêt ayant déclaré nulles les revendications dépendantes 3 et 7, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 février 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne les sociétés Panasonic Avionics Corporation, Thales Avionics et Astronics Advanced Electronic Systems aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Panasonic Avionics Corporation, Thales Avionics et Astronics Advanced Electronic Systems et les condamne in solidum à payer à la société Lufthansa Technik la somme de 10 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf mars deux mille vingt-cinq, et M. Doyen, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale financière et économique - formation restreinte hors rnsm/na
Numéro d'arrêt : 23-13.576
Date de la décision : 19/03/2025
Sens de l'arrêt : Cassation

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris I2


Publications
Proposition de citation : Cass. Com. financière et économique - formation restreinte hors rnsm/na, 19 mar. 2025, pourvoi n°23-13.576, Bull. civ.Publié au
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles Publié au

Origine de la décision
Date de l'import : 20/03/2025
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:23.13.576
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