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25/03/2025 | FRANCE | N°24-81.545

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle - formation restreinte hors rnsm/na, 25 mars 2025, 24-81.545


N° H 24-81.545 F-D

N° 00383


ODVS
25 MARS 2025


REJET


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 25 MARS 2025



M. [I] [Y] et la société [3], parties civiles, ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 15 février 2024, qui l

es a déboutés de leurs demandes après relaxe de M. [L] [G] du chef de diffamation publique envers un particulier.

Un mémoire et des observations complémentair...

N° H 24-81.545 F-D

N° 00383


ODVS
25 MARS 2025


REJET


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 25 MARS 2025



M. [I] [Y] et la société [3], parties civiles, ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 15 février 2024, qui les a déboutés de leurs demandes après relaxe de M. [L] [G] du chef de diffamation publique envers un particulier.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [I] [Y] et la société [3], et les conclusions de Mme Gulphe-Berbain, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 février 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [I] [Y] est le président du conseil d'administration et directeur général de la société [3], qui exerce l'activité de conseil en gestion de patrimoine et en investissement financier. A partir de 2008, cette société a intégré dans son offre des produits de défiscalisation qui consistaient en la distribution de parts de sociétés en participation d'exploitation de centrales photovoltaïques aux Antilles, proposée par la société [2] ([2]).

3. Le 8 décembre 2009, la [1] ([1]) a transmis un avis du contrôleur général auprès du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, préconisant, au vu d'informations récentes, de suspendre toute collecte de produits [2], qui avaient précédemment fait l'objet d'avis favorables. Cette alerte a toutefois été retirée le 21 décembre suivant.

4. Le 14 février 2012, la [1], saisie de réclamations de clients ayant souscrit à ce dispositif, a prononcé l'exclusion définitive de la société [3] et de M. [Y], considérant que des fautes avaient été commises dans la commercialisation de l'offre [2] après l'alerte du 8 décembre 2009. Cette décision a cependant été annulée par la cour d'appel de Paris, le 24 mars 2014, eu égard au caractère disproportionné de la sanction, la cour d'appel relevant notamment que seules deux souscriptions avaient été faites par des clients de la société [3] après ladite alerte, les 17 et 22 décembre 2009.

5. Par ailleurs, les dirigeants de la société [2] ont été condamnés par la cour d'appel de Paris, le 7 mai 2018, du chef d'escroquerie en bande organisée et complicité. M. [Y], qui s'est constitué partie civile dans cette procédure, a été débouté de sa demande de réparation au titre du préjudice moral mais a été indemnisé au titre de son préjudice financier.

6. Le 31 décembre 2018, la société [3] et M. [Y] ont porté plainte et se sont constitués partie civile du chef de diffamation publique envers un particulier en raison des propos suivants, parus le 5 octobre 2018, dans un article publié sur le site internet Deontofi.com, intitulé « [3] s'est enrichi en vendant l'arnaque [2], dit la cour d'appel » et commentant l'arrêt précité du 7 mai 2018 relatif à l'« escroquerie [2] » : « Pendant que ce magnifique catalogue déboulait dans les boites aux lettres des clients et prospects de la société [3], on découvrait avec effarement l'étendue de son rôle dans l'escroquerie aux panneaux solaires [2]. Très peu de médias en parlent, mais Deontoficom avait déjà raconté le double-jeu assez trouble d'[3] et de son fondateur dans l'escroquerie [2] » (1ers propos) ; « Il existe bien une mince frontière entre la naïveté, l'incompétence et la rouerie» (2e propos) ; « Il est vrai que [I] [Y] avait réussi à faire condamner son exclusion, alors jugée " disproportionnée ", par quelques habiles mensonges aux magistrats. Le dirigeant d'[3] avait en effet plaidé qu'il ignorait tout de cette escroquerie et qu'il s'était strictement conformé à l'injonction de son association professionnelle, affirmant sans sourciller qu'il avait immédiatement cessé toute vente de l'arnaque [2] à ses clients, dès l'alerte de la [1] du 8 décembre 2009 » (3e propos) ; « Or c'est faux. M. [Y] avait embrouillé la cour » (4e propos) ; « Quant aux " opportunités financières " des placements à promesse vantés dans son luxueux catalogue, elles n'engagent que ceux qui les croient. Mais c'est une autre histoire » (5e propos).

7. Les investigations menées sur commission rogatoire ont permis d'établir que l'auteur des propos litigieux était M. [L] [G], journaliste professionnel spécialisé dans le domaine économique et financier, également directeur de publication du site internet Deontofi.com, qui avait précédemment publié une dizaine d'articles consacrés à l'affaire « [2] ».

8. Renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef susvisé, M. [G] a été relaxé au bénéfice de l'excuse de bonne foi par jugement du 15 février 2023.

9. Les parties civiles ont relevé appel du jugement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

10. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le moyen, pris en ses autres branches

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté M. [Y] et la société [3] de leurs demandes à l'encontre de M. [G], poursuivi du chef de diffamation publique envers un particulier, alors :

« 3°/ qu'en outre, à supposer que les propos incriminés s'analysent comme une critique du comportement des parties civiles, qui auraient continué à faire souscrire des engagements dans les produits de défiscalisation de [2], après l'alerte du 9 décembre 2009 par la [1], l'arrêt attaqué a pris en considération le fait que la cour d'appel de Paris statuant sur l'escroquerie a refusé d'indemniser M. [Y] pour le préjudice moral qu'il invoquait aux motifs qu'il aurait pu déceler la fraude, lors des contrôles qu'il avait effectués sur place, qu'il résultait d'un arrêt annulant la sanction d'[3] par la [1] qu'il avait fait souscrire des offres [2] le 17 et le 22 décembre 2009, que de même, une plaidoirie de l'avocate de souscripteurs avait soutenu qu'il aurait continué à proposer de souscrire des offres après l'alerte, que des souscriptions à l'offre [2] par l'intermédiaire d'[3] seraient intervenues en février 2010, et enfin, que le journaliste produisait la copie d'un mandat à [3] en date du 21 décembre 2009, pour en déduire que « [L] [G] disposait d'une base factuelle avec des informations sérieuses lui permettant d'affirmer que la société [3] et [I] [Y] avaient continué à commercialiser l'offre de la société [2] alors qu'ils avaient connaissance qu'il pouvait s'agir d'une opération frauduleuse après la révélation en ce sens de la [1] le 8 décembre 2009 » ; qu'en ne se prononçant pas sur les conclusions des parties civiles qui soutenaient que l'arrêt répressif avait essentiellement exclu la réparation du préjudice moral, compte tenu notamment du profit tiré des souscriptions à l'offre [2], que plusieurs arrêts avaient exclu toute responsabilité d'[3] antérieurement à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 9 janvier 2018 produit pour le journaliste, que le journaliste ne faisait état d'aucun élément propre à établir le fait qu'[3] avait fait souscrire des offres [2] pendant la période d'alerte de la [1], du 9 décembre 2009 à sa levée le 21 décembre 2009, l'arrêt annulant la sanction prononcée par la [1], en date du 25 mai 2014, également invoqué par le journaliste, ne s'étant pas prononcé sur la réalité de l'intervention d'[3] dans les souscriptions en date du 17 et du 23 décembre 2009, se contentant de les estimer insuffisantes pour justifier la sanction disciplinaire prononcée, les souscriptions de février 2010, à les supposer connues du journaliste au jour de son article, étant postérieures à la période d'alerte, et le mandat donné à [3] par un client le 21 décembre 2009 étant intervenu le jour même de la levée de l'alerte, ce qui ne permettait pas d'en déduire qu'[3] aurait proposé de souscrire l'offre [2] pendant la période d'alerte et moins encore une quelconque faute de sa part à avoir maintenu des offres [2], après la période d'alerte levée par la [1], le 21 décembre 2009, la cour d'appel qui n'a abordé aucun de ces éléments de discussion du sérieux de l'enquête du journaliste, par lesquels il était soutenu que celui-ci ne faisait état d'aucun indice suffisant de l'intermédiation d'[3] dans la souscription des offres [2] pendant la période d'alerte, et qu'il n'existait pas d'éléments permettant de considérer comme fautive son intervention dans les souscriptions postérieures, avant que [3] cesse de proposer les produits [2] au début de l'année 2010, n'a pas justifié sa décision au regard des articles 29, 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, 593 du code de procédure pénale et des articles 6 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

4°/ que, par ailleurs, en estimant que l'enquête était sérieuse et que le journaliste n'avait pas dépassé les limites de la critique admissible, sans avoir recherché, comme l'y invitaient les conclusions pour les parties civiles, si le fait pour le journaliste de ne pas avoir appelé leurs observations sur l'imputation par l'avocate de certains souscripteurs du fait d'avoir continué à proposer des investissements dans les produits [2] après l'alerte du 8 décembre 2009, laquelle n'avait pas été encore fait l'objet d'une quelconque condamnation, n'était pas exclusif du sérieux de l'enquête, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 29, 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 et de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

5°/ qu'en estimant pour retenir la bonne foi, que « le ton des propos poursuivis, qui, bien que très critiques vis-à-vis des parties civiles n'en demeure pas moins dénué d'agressivité, est en adéquation avec la base factuelle dont disposait [L] [G] au terme des investigations qu'il a menées », la cour d'appel qui constate par de tels motifs seulement l'absence d'animosité, sans se prononcer sur la prudence dans l'expression du journaliste, a méconnu l'article 29 de la loi sur la presse ;

6°/ qu'enfin et à tout le moins, la cour d'appel qui a considéré que les propos visent à mettre en cause la seule faute professionnelle qui aurait consisté à avoir continué à proposer des souscriptions aux offres de [2], après l'alerte de la [1], sans rechercher si les propos mettant en cause le « rôle dans l'escroquerie », et des interrogations sur la « rouerie » des parties civile, ou encore le fait que [3] avait « embrouillé » les juges, en mentant sur les suites données à l'alerte de la [1], et ce, sans faire état des nombreuses décisions ayant débouté les souscripteurs de leur demandes d'indemnisation, étaient restés prudents et ainsi dans les limites de la liberté d'expression, l'hostilité à l'égard des parties civiles étant patente, n'a pas justifié sa décision au regard des articles 29, 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 et des articles 6 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

12. Pour accorder au prévenu le bénéfice de l'excuse de bonne foi et exclure l'existence d'une faute civile, l'arrêt attaqué, après avoir relevé que le sujet traité poursuit un but légitime et porte sur un sujet d'intérêt général, s'agissant d'informer un public d'épargnants sur une escroquerie fondée sur le détournement d'un dispositif de défiscalisation, énonce en substance que le prévenu a pu déduire de la motivation de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 7 mai 2018, commenté dans l'article litigieux et que le prévenu a produit au soutien de l'excuse de bonne foi, que les parties civiles ont poursuivi la commercialisation de l'offre de la société [2] alors qu'elles avaient connaissance du fait qu'une fraude était suspectée.

13. Les juges relèvent en outre qu'il résulte de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 mars 2014, annulant la décision du conseil de discipline de la [1] prise contre la société [3] et M. [Y], également produite par le prévenu, que les parties civiles ont soutenu « avoir mis un terme à la promotion du produit de défiscalisation en cause après le 8 décembre 2009 » alors que deux de leurs clients avaient souscrit à ce placement les 17 et 22 décembre 2009, la société [3] et son dirigeant passant outre l'alerte donnée par la [1] le 8 décembre 2009.

14. Ils observent encore que, pour démontrer que les parties civiles ont poursuivi la commercialisation après cette alerte, le prévenu s'appuie sur la plainte de l'avocate de trente-six parties civiles au cours du procès pénal du 17 novembre 2016, dont certaines avaient pu acheter des produits [2] après l'alerte de la [1], ainsi que sur un arrêt de la cour d'appel de Paris du 9 janvier 2018, dans lequel celle-ci a considéré que la société disposait, dès le mois de février 2009, d'éléments de nature à jeter un doute sur les produits proposés par la société [2].

15. Ils relèvent également, par motifs propres et adoptés, que le prévenu s'appuie sur différents documents financiers et comptables attestant de la souscription par dix clients à l'offre de la société [2] par l'intermédiaire de la société [3], en février 2010, démontrant ainsi que des liens financiers ont persisté entre les deux structures après l'alerte du 8 décembre 2009, ainsi que sur la copie d'un document attestant qu'un mandat avait été donné au profit de la société [3] en date du 21 décembre 2009, soit postérieurement à ladite alerte, pour souscrire à des produits commercialisés par la société [2] pour une somme de 15 000 euros.

16. Ils en concluent que le prévenu disposait d'une base factuelle avec des informations sérieuses lui permettant d'affirmer que la société [3] et M. [Y] avaient continué à commercialiser l'offre de la société [2] alors qu'ils avaient connaissance qu'il pouvait s'agir d'une opération frauduleuse après l'alerte de la [1].

17. Ils observent enfin, par motifs propres et adoptés, qu'aucune animosité personnelle envers les parties civiles n'est démontrée, écartant leur argumentation selon laquelle le prévenu se livrerait à une campagne de dénigrement à leur égard et relevant que, si les propos poursuivis sont très critiques vis-à-vis des parties civiles, ils n'en demeurent pas moins dénués d'agressivité et sont en adéquation avec la base factuelle dont disposait le prévenu au terme des investigations qu'il a menées.

18. En l'état de ces énonciations, répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, la cour d'appel a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.

19. En premier lieu, l'existence de la bonne foi du prévenu ne saurait être subordonnée à la preuve de la vérité des faits.

20. En deuxième lieu, la cour d'appel, après avoir exactement retenu que les propos litigieux portaient sur un sujet relevant d'un débat d'intérêt général, a précisément analysé les pièces produites par le prévenu au soutien de l'exception de bonne foi et exactement apprécié, au vu de ces pièces et de celles produites par les parties civiles pour combattre cette exception, que les propos poursuivis, qui imputent aux parties civiles d'avoir poursuivi la commercialisation de l'offre de la société [2] après l'alerte de la [1] quant à la suspicion d'une fraude, d'avoir manqué de regard critique sur ladite offre et d'avoir menti sur ce point lors de la procédure judiciaire contestant la mesure d'exclusion prononcée par la [1] à leur encontre, reposent sur une base factuelle suffisante et n'excèdent ainsi pas les limites de la liberté d'expression.

21. En troisième lieu, il importe peu que le prévenu, journaliste, n'ait pas invité les parties civiles à fournir leurs explications préalablement à la diffusion de l'article litigieux, dès lors que les propos poursuivis commentent des décisions de justice, dont certains extraits sont cités, sans déformation ni exagération, l'intégralité desdites décisions étant accessible par un lien hypertexte.

22. Ainsi, le moyen ne saurait être accueilli.

23. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mars deux mille vingt-cinq.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle - formation restreinte hors rnsm/na
Numéro d'arrêt : 24-81.545
Date de la décision : 25/03/2025
Sens de l'arrêt : Rejet

Publications
Proposition de citation : Cass. Crim. - formation restreinte hors rnsm/na, 25 mar. 2025, pourvoi n°24-81.545


Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2025
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:24.81.545
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