CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 mars 2025
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 272 FS-B
Pourvoi n° D 22-12.787
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 MARS 2025
La commune de [Localité 1], agissant par son maire en exercice domicilié en cette qualité [Adresse 3], a formé le pourvoi n° D 22-12.787 contre l'arrêt rendu le 2 décembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 2), dans le litige l'opposant à M. [J] [C], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Waguette, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la commune de [Localité 1], agissant par son maire en exercice, de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de M. [C], et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 février 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Waguette, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, Mme Grandemange, M. Delbano, Mmes Vendryes, Caillard, M. Brillet, conseillers, Mme Bohnert, M. Cardini, Mmes Techer, Latreille, Bonnet, Chevet, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 décembre 2021), rendu en référé, M. [C] est propriétaire sur la commune de [Localité 1] (la commune) d'une parcelle classée en zone naturelle et comprise dans un espace boisé classé d'après le plan local d'urbanisme (PLU) sur laquelle il a entrepris des travaux d'édification d'un mur de soutènement, de terrassement ainsi que de coupe et d'abattage d'arbres.
2. Le 22 décembre 2020, lui reprochant de contrevenir aux dispositions du PLU, la commune a assigné M. [C] devant le juge des référés d'un tribunal judiciaire à fin d'obtenir, sur le fondement de l'article 835 du code de procédure civile, l'arrêt des travaux en cours et la remise en état de la parcelle.
3. Par une ordonnance du 30 mars 2021, le juge des référés, considérant que la violation évidente des règles d'urbanisme et l'absence de remise en état, malgré mise en demeure, caractérisaient un trouble manifestement illicite par l'atteinte portée à un milieu naturel protégé, a ordonné, sous astreinte, à M. [C] d'interrompre les travaux en cours et de procéder à la remise en état de la parcelle et, à défaut d'exécution dans le délai imparti, a autorisé la commune à procéder d'office aux travaux de remise en état aux frais et risques du propriétaire.
4. M. [C] a relevé appel de cette décision.
5. Par un arrêt du 2 décembre 2021, une cour d'appel a infirmé l'ordonnance déférée en ce qu'elle autorise la commune à procéder aux travaux de remise en état aux frais et risques du propriétaire, a dit n'y avoir lieu à référé sur cette demande et a confirmé la décision pour le surplus.
6. La commune a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.
7. Par un arrêt du 13 juin 2024 (2e Civ., 13 juin 2024, pourvoi n° 22-12.787), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a renvoyé l'affaire, en application de l'article 1015-1 du code de procédure civile, à la troisième chambre civile pour avis sur la question suivante :
- Le juge des référés, qui, saisi par une commune sur le fondement de l'article 835 du code de procédure civile, constate un trouble manifestement illicite du fait de travaux réalisés en violation des dispositions du plan local d'urbanisme (PLU), et ordonne au bénéficiaire de ces travaux de les interrompre et de remettre les lieux en état, peut-il autoriser la commune, à défaut d'exécution de la remise en état, à y procéder d'office aux frais et risques du bénéficiaire des travaux irréguliers ?
8. La troisième chambre civile de la Cour de cassation a rendu son avis le 5 décembre 2024.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
9. La commune fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à référé sur sa demande visant, à défaut d'exécution dans le délai de trois mois imparti à compter de la signification de la décision, à l'autoriser à procéder d'office aux travaux de remise en état aux frais et risques de M. [C], alors « que le président du tribunal judiciaire peut toujours, prescrire en référé les mesures de remise en état qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que le juge des référés qui constate l'exécution de travaux en violation manifeste des règles d'urbanisme a ainsi le pouvoir de prescrire au contrevenant la remise en état et d'autoriser la commune à y faire procéder d'office pour le cas où sa décision ne serait pas exécutée dans un délai déterminé, aux frais et risques du bénéficiaire des travaux irréguliers ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 835 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 835, alinéa 1er, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 :
10. Il ressort de l'avis de la troisième chambre civile les éléments suivants :
11. Aux termes de l'article 835, alinéa 1er, du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
12. Le juge des référés peut ordonner, sur ce fondement, la cessation du trouble manifestement illicite résultant de l'exécution de travaux en violation des règles d'urbanisme (1re Civ., 14 mai 1991, pourvoi n° 89-20.492, Bull. 1991, I, n° 158) et apprécie souverainement, sous réserve de son caractère proportionné au regard des droits garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (3e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi n° 19-10.375, publié), le choix de la mesure propre à faire cesser le trouble qu'il constate (2e Civ., 12 juillet 2012, pourvoi n° 11-20.687, Bull. 2012, II, n° 133 ; Com., 27 mai 2015, pourvoi n° 14-10.800, Bull., IV, n° 88).
13. Il peut, à ce titre, ordonner la démolition d'une construction, sauf si sa mise en conformité, acceptée par le propriétaire, permet le respect des règles d'urbanisme (Cons. constit., 31 juillet 2020, décision n° 2020-853 QPC) et assortir cette obligation de faire des mesures accessoires propres à en assurer l'effectivité, tel le prononcé d'une astreinte.
14. Enfin, la mesure de remise en état ou de démolition prononcée en référé est exécutoire de plein droit.
15. La poursuite de l'intérêt général qui s'attache au respect des règles d'urbanisme a conduit le législateur à adopter plusieurs dispositions afin de permettre à l'autorité compétente en matière d'urbanisme de procéder, elle-même, à défaut d'exécution par l'intéressé dans le délai prescrit, à la remise en état ou à la démolition judiciairement ordonnée.
16. Ainsi, l'article L. 480-9 du code de l'urbanisme autorise, lorsqu'une juridiction pénale a ordonné la démolition, la mise en conformité ou la remise en état et que celle-ci n'est pas achevée à l'expiration du délai fixé par le jugement, le maire ou le fonctionnaire compétent à procéder, d'office et sans nouvelle intervention judiciaire, à tous travaux nécessaires à l'exécution de la décision de justice aux frais et risques du bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l'utilisation irrégulière du sol.
17. Par ailleurs, pour dispenser les communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) compétents en matière de plan local d'urbanisme de la nécessité de saisir le juge pénal, l'article L. 480-14 du code de l'urbanisme, créé par la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003, leur a permis de saisir le juge civil aux fins de démolition ou de mise en conformité d'un ouvrage édifié sans l'autorisation exigée par le livre IV de ce code ou en méconnaissance de cette autorisation, dans les secteurs soumis à des risques naturels prévisibles. La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 a étendu cette possibilité aux ouvrages édifiés ou installés sur l'ensemble du territoire communal.
18. Enfin, il résulte de l'article L. 481-1, IV, dernier alinéa, du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi n° 2024-322 du 9 avril 2024, que, lorsque des travaux entrepris et exécutés en méconnaissance ou sans autorisation d'urbanisme ou en méconnaissance des obligations imposées par le livre IV ou mentionnées à l'article L. 610-1 présentent un risque certain pour la sécurité ou pour la santé, l'autorité compétente peut mettre en demeure l'intéressé, sans intervention judiciaire préalable, de procéder aux opérations nécessaires à la mise en conformité de la construction, de l'aménagement ou de l'installation et, à défaut d'exécution dans le délai requis, être autorisée par jugement du président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond à procéder à la démolition complète des installations aux frais de l'intéressé.
19. Il ressort de ces dispositions qu'en conférant à l'autorité spécialement chargée de veiller au respect des règles d'urbanisme la possibilité de procéder, elle-même, à la remise en état ou à la démolition, lorsque l'intéressé ne s'est pas exécuté à l'expiration du délai qui lui avait été imparti, le législateur a entendu assurer, sous le contrôle du juge, l'effectivité et la rapidité des mesures, judiciairement ordonnées, propres à faire cesser l'atteinte constatée aux règles d'urbanisme.
20. Dès lors, le juge des référés qui ordonne, dans les conditions prévues par la loi, une mesure de remise en état ou de démolition pour faire cesser un trouble manifestement illicite résultant de la violation d'une règle d'urbanisme peut autoriser la commune, à défaut d'exécution par le bénéficiaire des travaux dans le délai prescrit, à y procéder d'office aux frais de l'intéressé.
21. En décider autrement, en cas de trouble manifestement illicite, porterait atteinte à l'objectif d'intérêt général de respect effectif des prescriptions d'urbanisme.
22. Cependant, sauf disposition légale contraire, l'exécution forcée d'une décision de justice exécutoire à titre provisoire n'ayant lieu qu'aux risques et périls de celui qui la poursuit, le juge des référés ne peut ordonner que celle-ci aura lieu aux risques du bénéficiaire des travaux irréguliers.
23. En l'espèce, pour dire n'y avoir lieu à référé sur la demande de la commune de [Localité 1], l'arrêt relève que les dispositions du code de l'urbanisme, non invoquées, ne sont pas applicables et retient que le juge des référés, qui ne peut que prononcer les mesures de remise en état qui s'imposent, excède ses pouvoirs en autorisant la commune à faire procéder d'office aux mesures, destinées à mettre fin au trouble manifestement illicite, sur la propriété même de M. [C] et à ses frais alors qu'aucune décision judiciaire n'est intervenue pour à la fois établir la violation de la règle de droit et ordonner les mesures de remise en état.
24. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté l'existence d'un trouble manifestement illicite et que l'autorisation de procéder aux travaux de remise en état aux frais du contrevenant et aux risques et périls de la commune était de nature à y mettre fin sans excéder les limites des pouvoirs du juge des référés, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de la commune de [Localité 1] visant, à défaut d'exécution dans le délai de trois mois imparti à compter de la signification de la décision, à l'autoriser à procéder d'office aux travaux de remise en état aux frais et risques de M. [C], l'arrêt rendu le 2 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne M. [C] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [C] et le condamne à payer à la commune de [Localité 1] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept mars deux mille vingt-cinq.