CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 mars 2025
Cassation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 287 F-B
Pourvoi n° H 22-17.022
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 MARS 2025
1°/ La société ELC Logistic, dont le siège est [Adresse 3] (Allemagne),
2°/ la société SVG Assekuranz-Service Westfalen-Lippe GmbH, dont le siège est [Adresse 2] (Allemagne),
ont formé le pourvoi n° H 22-17.022 contre l'arrêt rendu le 1er février 2022 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1re section), dans le litige les opposant à la société Mapfre Seguros de Empresas Compania de Seguros y Reaseguros, dont le siège est [Adresse 1] (Espagne), défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Caillard, conseiller, les observations de Me Soltner, avocat de la société ELC Logistic et de la société SVG Assekuranz-Service Westfalen-Lippe GmbH, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Mapfre Seguros de Empresas Compania de Seguros y Reaseguros, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 février 2025 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Caillard, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 1er février 2022), le 27 novembre 2020, la société ELC Logistic (la société ELC) et la société SVG Assekuranz Service Westfalen-Lippe Gmbh (la société SVG) ont interjeté appel d'un jugement rendu le 16 juin 2020 par un tribunal de commerce dans un litige les opposant à la société Mapfre Seguros de Empresas Compania de Seguros y Reaseguros (la société Mapfre).
2. Saisi d'un incident de caducité de la déclaration d'appel, un conseiller de la mise en état l'a rejeté, par une ordonnance du 2 novembre 2021 que l'intimée a déférée à la cour d'appel.
Sur le moyen, pris en sa sixième branche
Enoncé du moyen
3. Les sociétés ELC et SVG font grief à l'arrêt d'infirmer, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 2 novembre 2021 par le conseiller de la mise en état et, statuant à nouveau, de prononcer la caducité de l'appel interjeté par elles contre le jugement du tribunal de commerce de Sedan du 16 juin 2020, alors « que viole le premier paragraphe de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, singulièrement, le principe du droit d'accès au juge, l'excès de formalisme dans l'application des règles de procédure que la garantie de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice n'imposaient pas et sans prise en compte des obstacles pratiques auxquels s'est heurté le justiciable ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les sociétés appelantes s'étaient heurtées à des obstacles pratiques résidant dans l'absence de réception du document qu'il leur était reproché de ne pas avoir signifié ; que la cour d'appel s'est pourtant bornée à appliquer restrictivement l'article 902 du code de procédure civile ; qu'en statuant comme elle l'a fait, en faisant preuve d'un formalisme excessif dans l'application des règles procédurales que la garantie de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice n'imposaient pas et sans prendre en compte les obstacles pratiques auxquels s'étaient heurtées les appelantes, la cour d'appel a violé le premier paragraphe de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble, le principe du droit d'accès au juge. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 902, alinéa 3, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 :
4. Selon le premier de ces textes, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial.
5. Selon le second, la déclaration d'appel doit être signifiée à l'intimé défaillant dans le mois de l'avis adressé par le greffe, à peine de caducité de la déclaration d'appel relevée d'office.
6. Aux termes de l'article 8 de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel, le message de données relatif à une déclaration d'appel provoque un avis de réception par les services du greffe, auquel est joint un fichier récapitulatif reprenant les données du message et ce récapitulatif tient lieu de déclaration d'appel, de même que leur édition par l'avocat tient lieu d'exemplaire de cette déclaration lorsqu'elle doit être produite sous un format papier.
7. Pour prononcer la caducité de l'appel formé contre le jugement du 16 juin 2020, l'arrêt relève que les appelantes ne disposaient pas du fichier récapitulatif, qu'elles ne l'ont pas réclamé et ont signifié à l'intimée le 15 février 2021, le document joint au message de données relatif à l'envoi de la déclaration d'appel par leur avocat au greffe, qui ne justifie pas de sa remise au greffe et que ni l'acte de signification ni les pièces remises à l'intimée n'établissent la remise de la déclaration d'appel au greffe, pourtant nécessaire pour que la déclaration d'appel acquière une telle valeur.
8. Il retient en outre que la caducité prévue par l'article 902 du code de procédure civile n'est pas encourue au titre d'un vice de forme de la déclaration d'appel mais de l'absence de signification d'une déclaration d'appel au sens de ce texte et de l'article 8 de l'arrêté du 20 mai 2020 et que cette sanction n'est pas manifestement disproportionnée par rapport au but poursuivi, de bonne administration de la justice et de respect du principe de sécurité juridique, alors que les parties sont représentées par un avocat dans la procédure et que les dispositions applicables sont claires et prévisibles.
9. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait, d'une part, que lorsque le greffe de la cour d'appel avait informé les appelantes que l'intimée n'avait pas constitué avocat dans le délai prescrit et leur avait demandé de procéder par voie de signification conformément aux dispositions de l'article 902, celles-ci ne disposaient pas du fichier récapitulatif à leur nom, dont l'envoi par le greffe est prévu par l'article 8 de l'arrêté du 20 mai 2020, et avaient signifié le seul document qui était en leur possession, d'autre part, que l'intimée avait ensuite constitué avocat et avait ainsi été informée de l'acte d'appel, la cour d'appel a fait preuve d'un formalisme excessif et a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne la société Mafpre Seguros de Empresas Compania de Seguros y Reaseguros aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Mafpre Seguros de Empresas Compania de Seguros y Reaseguros et la condamne à payer à la société ELC Logistic et à la société SVG Assekuranz-Service Westfalen-Lippe GmbH la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept mars deux mille vingt-cinq.