CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 avril 2025
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 240 F-D
Pourvoi n° X 23-21.479
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 9 AVRIL 2025
La société Thomas Holdings, venant aux droits de la société Framfield Holdings, dont le siège est [Adresse 5] (Iles Vierges britanniques), a formé le pourvoi n° X 23-21.479 contre l'arrêt rendu le 30 mai 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 13), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [O] [W], venant aux droits d'[B] [V], décédée, domicilié [Adresse 1],
2°/ à la société Art services transport, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à la société [M] [R], société à responsabilité limitée, venant aux droits de M. [M] [R], dont le siège est [Adresse 6],
4°/ à la société Generali IARD, société anonyme, venant aux droits de la société Generali France assurances, dont le siège est [Adresse 2],
5°/ à M. [E] [X], domicilié [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kerner-Menay, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Thomas Holdings, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [W], de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la société [M] [R] et de M. [X], et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 25 février 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Kerner-Menay, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 mai 2023), le 3 décembre 1998, au cours d'une vente aux enchères publiques, organisée par M. [R], commissaire-priseur, avec l'assistance de M. [X], expert (l'expert), la société Framfiels Holding, au droits de laquelle se trouve la société Thomas Holdings, s'est portée acquéreur au prix de 297 275,58 euros, outre la somme de 32 266,30 euros de frais, d'un tableau intitulé « Femme ajustant son chapeau » attribué à [I] [P], qui appartenait à Mme [V], aux droit de laquelle se trouve M. [W] (le vendeur).
2. Le 2 juillet 2001, après la réalisation d'une expertise en référé concluant que l'oeuvre n'était pas de [I] [P], l'acquéreur a assigné le vendeur en nullité de la vente et la société [M] [R], venant aux droit de M. [R] (le commissaire-priseur) et l'expert en responsabilité. La société compagnie Generali IARD, assureur du commissaire-priseur a été assignée en intervention forcée.
3. Une expertise ordonnée avant dire-droit le 24 juin 2008 n'a pu avoir lieu, le tableau n'ayant pas été retrouvé. Le 26 mai 2011, une plainte pour vol déposée par l'acquéreur a été classée sans suite pour infraction non caractérisée et auteur inconnu. Le 31 mai 2013, mettant en cause sa responsabilité dans la perte du tableau, l'acquéreur a assigné en intervention forcée la société Art service transport.
4. Par arrêt irrévocable du 30 juin 2021, la cour d'appel a, notamment, prononcé la nullité de la vente, condamné le vendeur à restituer le prix de la vente hors les frais, avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2001, dit que l'obligation de restitution de l'acquéreur n'était pas éteinte et a sursis à statuer sur les modalités de l'obligation de restitution du tableau compte-tenu de l'impossibilité d'une restitution en nature et sur les demandes formées à l'encontre de la société Art services transport.
5. Le vendeur a sollicité la restitution du tableau en valeur et la condamnation de l'acquéreur à lui payer la somme de 297 275,58 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2001.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au vendeur la somme de 137 204 euros, au titre de la restitution en valeur du tableau, avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2001, alors que « les intérêts ne sont dus que du jour de la sommation de payer ; qu'en cas d'annulation d'une vente à l'initiative de l'acquéreur, si le bien vendu a disparu et que la restitution doit s'opérer en valeur, les intérêts sur cette créance de restitution ne courent qu'à compter de la demande de restitution présentée par le vendeur ; qu'en condamnant la société Thomas Holdings à payer à M. [W] la somme de 137 204 euros, au titre de la restitution en valeur du tableau, avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2001, date de sa propre assignation en annulation de la vente, et non à compter de la demande de restitution présentée par M. [W], la cour d'appel a violé l'article 1153, alinéa 3, du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable en la cause. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
8. Le vendeur conteste la recevabilité du moyen comme étant nouveau et mélangé de fait et de droit. Il soutient que l'acquéreur qui contestait la valeur de l'oeuvre n'a formulé aucune critique sur sa demande tendant à voir augmentée cette somme des intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2001 ni n'a soutenu que ce point de départ devait être fixé à la date de la demande de restitution en valeur.
9. Cependant, le moyen qui est de pur droit puisqu'il n'invoque aucun fait qui qui n'ait pas été constaté par l'arrêt est recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 1153, alinéa 3, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle résultant de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable au litige :
10. Selon ce texte, dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution consistent dans la condamnation aux intérêts au taux légal qui sont dus du jour de la demande en justice, équivalant à la sommation de payer.
11. En matière de restitutions consécutives à l'annulation du contrat, au titre d'une erreur sur la substance, lorsque la restitution en nature du bien s'avère impossible, la créance de restitution en valeur ne devient exigible qu'à compter de la décision qui fixe son montant de sorte que le point de départ des intérêts est le jour où le juge statue.
12. L'arrêt condamne l'acquéreur à payer au vendeur la somme de 137 204 euros, au titre de la restitution en valeur du tableau, avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2001, date de l'assignation en annulation de la vente.
13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Mise hors de cause
En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société [M] [R], venant aux droits de M. [R] dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société commerciale des Iles Vierges britanniques Thomas Holdings venant aux droits de la société Framfield Holdings à payer, avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2001, à M. [O] [W], la somme de 137 204 euros au titre de la restitution en valeur du tableau, l'arrêt rendu le 30 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Met hors de cause la société [M] [R], venant aux droits de M. [R] ;
Condamne M. [W] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf avril deux mille vingt-cinq.