N° F 23-86.462 F-D
N° 00497
GM
9 AVRIL 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 9 AVRIL 2025
M. [N] [W] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-5, en date du 25 octobre 2023, qui, pour violences aggravées, l'a condamné à six ans d'emprisonnement, cinq ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation, cinq ans d'inéligibilité, trois ans d'interdiction de séjour, et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Guerrini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de M. [N] [W], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 mars 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Guerrini, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par jugement du 2 juin 2023, le tribunal correctionnel a déclaré M. [N] [W] coupable de violences ayant entraîné une incapacité de travail supérieure à huit jours sur M. [S] [P], avec ces circonstances que les faits ont été commis avec préméditation et avec usage d'une arme, l'a condamné à cinq ans d'emprisonnement, a décerné mandat de dépôt, a ordonné la confiscation des scellés et a prononcé sur l'action civile.
3. M. [W] a relevé appel de cette décision, le ministère public a formé appel incident.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement en ses dispositions sur la culpabilité, et en ses dispositions sur l'action civile, déclarant M. [W] responsable des préjudices subis par la partie civile, alors :
« 1°/ que la préméditation est le dessein formé avant l'action de commettre le délit, et se distingue de la prérésolution en ce qu'elle ne procède pas d'une impulsion subite, mais d'une délibération froide et réfléchie ; que la cour d'appel constate que les faits sont survenus peu de temps avant 16 heures, après que M. [W] et M. [P] ont eu une altercation dans la matinée, et que M. [W] est revenu sur place, armé ; qu'en retenant que ces circonstances caractérisaient la préméditation du délit par M. [W], quand il ressortait de ses constatations que son retour sur les lieux avec une arme n'était pas le fruit d'une délibération froide et réfléchie, mais sa réaction immédiate, sous le coup d'une impulsion subite, à l'altercation survenue dans la matinée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles 132-72 et 222-12 du code pénal ;
2°/ que la préméditation est le dessein formé avant l'action de commettre le délit ; qu'après avoir constaté que M. [W] et M. [P] avaient eu une altercation dans la matinée, l'arrêt attaqué énonce qu'il ressort de la procédure que M. [W] est ensuite revenu sur place, armé ; qu'en en déduisant que M. [W] avait agi « dans le seul but de tirer sur la victime », et qu'il avait « mûri son projet avant de commettre l'agression », quand ces seules circonstances ne permettaient pas d'exclure que M. [W] ait décidé d'utiliser l'arme mû par une impulsion subite, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 132-72 et 222-12 du code pénal, et a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
5. Pour déclarer le prévenu coupable de violences aggravées notamment par la circonstance de la préméditation, l'arrêt attaqué énonce que celui-ci, après s'être querellé le matin du 17 janvier 2018 avec M. [P], est revenu sur place, armé, dans le seul but de tirer sur la victime, avant de repartir, et qu'il avait donc mûri son projet avant de commettre l'agression.
6. En l'état de ces énonciations, exemptes d'insuffisance, dont il résulte que le prévenu avait formé le dessein de tirer sur M. [P], la cour d'appel a justifié sa décision.
7. Ainsi, le moyen ne peut être accueilli.
Mais sur le second moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé à l'encontre de M. [W] la peine complémentaire de l'interdiction de séjour dans la ville de Toulon pendant une durée de trois ans, alors « que le juge répressif doit apprécier la proportionnalité de l'atteinte portée par la peine d'interdiction de séjour qu'il prononce au droit de la personne condamnée au respect de sa vie privée et familiale ; que la cour d'appel se borne à retenir que M. [W] a commis les faits à Toulon et que la lecture de son casier judiciaire révèle une délinquance particulièrement locale en lien avec les stupéfiants et la violence ; qu'en s'abstenant de rechercher si la peine d'interdiction du séjour dans la ville de Toulon ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit de M. [W] au respect de sa vie privée et familiale, la cour d'appel a violé les articles 222-47 et 131-31 du code pénal, ensemble l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme :
9. Il se déduit du texte conventionnel susvisé que le juge doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte au droit au respect du domicile portée par la peine qu'il prononce lorsqu'une telle garantie est invoquée, ou procéder à cet examen d'office lorsque les modalités d'une peine non prononcée en première instance et non requise par le ministère public privent le condamné de la jouissance de son domicile.
10. Pour condamner le prévenu à une interdiction de se rendre à Toulon pour une durée de trois ans, l'arrêt attaqué, après avoir constaté que l'intéressé, demeurant dans cette ville, est incarcéré depuis le mois de janvier 2022 pour des faits de trafic de stupéfiants, qu'avant cette incarcération, il vivait en concubinage et avait la charge de deux enfants âgés de dix et quinze ans, relève qu'il a commis les faits à Toulon et que son casier judiciaire révèle une délinquance locale en lien avec les stupéfiants et la violence.
11. En se déterminant ainsi, alors que l'interdiction de paraître n'ayant pas été prononcée en première instance et n'ayant pas été requise par le ministère public, il lui appartenait de rechercher si l'atteinte portée au droit au respect du domicile du prévenu ainsi que de sa vie privée et familiale était proportionnée, la cour d'appel a méconnu le texte conventionnel susvisé et le principe ci-dessus énoncé.
12. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
13. La cassation sera limitée aux dispositions relatives aux peines, dès lors que la déclaration de culpabilité n'encourt pas la censure.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 25 octobre 2023, mais en ses seules dispositions relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du neuf avril deux mille vingt-cinq.