N° M 24-81.733 F-D
N° 00489
GM
9 AVRIL 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 9 AVRIL 2025
L'association [3] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 6e section, en date du 15 février 2024, qui, dans l'information suivie contre MM. [N] [R], [U] [W], [F] [P] et [K] [S] des chefs, notamment, de viols, proxénétisme et traite des êtres humains, aggravés, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction déclarant irrecevable sa constitution de partie civile.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Turbeaux, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de l'association [3], les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [F] [P], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 mars 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Turbeaux, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Les représentantes des associations [2], d'une part, [3], d'autre part, ont signalé au procureur de la République des faits de viols dénoncés à l'occasion de la mise en ligne d'un reportage sur un site internet, relatif à l'activité de la société [1], exploitante du site « [E] et [F] ».
3. A l'issue d'une enquête préliminaire, une information a été ouverte le 17 juin 2022, des chefs de proxénétisme et traite des êtres humains en bande organisée, viols et complicité, viols en réunion et complicité, viol avec torture et actes de barbarie.
4. Le 20 juin 2022, l'association [3] s'est constituée partie civile.
5. Par ordonnance du 5 janvier 2023, le juge d'instruction a déclaré sa constitution de partie civile irrecevable.
6. L'association a relevé appel.
Examen des moyens
Sur le second moyen
7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable sa constitution de partie civile, alors :
« 1°/ que toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, dont l'objet statutaire comporte la lutte contre les violences sexuelles peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les agressions et autres atteintes sexuelles ; que l'objet social qui consiste pour une association à promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes et à se constituer partie civile pour toute action ayant pour but de combattre les discriminations notamment entre les femmes et les hommes comprend la lutte contre les violences sexuelles particulièrement lorsque ces dernières prennent la forme de viols et d'agressions sexuelles commis et diffusés dans le cadre de productions de vidéos à caractère pornographique ; qu'en retenant le contraire, au motif erroné qu'il n'appartiendrait pas aux juridictions d'instruction d'interpréter à la lumière des textes européens et internationaux la notion de discrimination pour déterminer si la lutte contre celles-ci implique la lutte contre les violences sexuelles pénalement sanctionnées, la chambre de l'instruction a violé l'article 2-2 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'il appartient aux juges d'interpréter, sous le contrôle de la Cour de cassation, les statuts de l'association qui entend exercer les droits de la partie civile sur le fondement de l'article 2-2 du code de procédure pénale pour déterminer si l'objet social de cette dernière comprend la lutte contre les violences sexuelles ; qu'en retenant qu'il ne lui appartenait pas d'interpréter la notion de discrimination mentionnée dans les statuts de l'association au titre de l'objet social de cette dernière, la chambre de l'instruction a méconnu son office et a violé l'article 2-2 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
9. Pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction qui a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de l'association [3], sur le fondement de l'article 2-2 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction retient qu'à la date de sa déclaration, la lutte contre les violences sexuelles ne faisait pas partie de l'objet de l'association.
10. Les juges indiquent que l'intégration aux statuts, en 2019, d'une charte de valeurs qui précise l'objet de l'association, à savoir la lutte contre toutes les formes de violences masculines, avec mention d'une lutte contre la pornographie, ne peut être prise en compte, en l'absence de publication de nature à la rendre opposable
11. Ils relèvent que l'objet déclaré de l'association, avant la date des faits ou de certains d'entre eux, et a fortiori, cinq ans avant leur commission, n'était pas la lutte contre les violences sexuelles, poursuivies en l'espèce.
12. Ils énoncent qu'il n'appartient pas aux juridictions d'instruction d'interpréter les statuts d'une association à la lumière de textes européens ou internationaux pour déterminer si la lutte contre les discriminations inclut nécessairement la lutte contre les violences sexuelles, qui peuvent s'exercer en dehors de toute discrimination et dont les victimes ne sont pas exclusivement des femmes, au sens de l'article 2-2 du code de procédure pénale.
13. Ils en concluent qu'il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise, sans qu'il soit nécessaire d'examiner si la décision de se constituer partie civile a été prise par un organe compétent de l'association.
14. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application du texte visé au moyen, pour les motifs qui suivent.
15. L'exercice de l'action civile devant les juridictions pénales est un droit exceptionnel qui, en raison de sa nature, doit être strictement enfermé dans les limites fixées par le code de procédure pénale.
16. Si, selon certains textes internationaux, la violence fondée sur le genre s'entend comme une forme de discrimination, comme l'énonce le considérant 17 de la Directive 2012/29/UE du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité, une telle énonciation n'a pas pour objet et ne peut avoir pour effet l'assimilation des violences sexuelles, du harcèlement sexuel ou des violences sur un membre de la famille, au sens de l'article 2-2 du code de procédure pénale, à une discrimination sexuelle.
17. Par ailleurs, l'article 2-6 du code précité reconnaît spécialement l'action des associations, en matière de lutte contre les discriminations fondées sur le sexe et les moeurs, à propos des infractions qu'il prévoit, au rang desquelles ne figure pas le crime de viol.
18. Dès lors, le moyen doit être écarté.
19. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du neuf avril deux mille vingt-cinq.