N° T 24-82.820 F-B
N° 00495
GM
9 AVRIL 2025
IRRECEVABILITE
REJET
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 9 AVRIL 2025
M. [O] [A], M. [U] [A] et M. [J] [A], ainsi que [G] [A] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'assises des mineurs des Ardennes, en date du 19 janvier 2024, qui a condamné, le premier, pour assassinat et tentative de meurtre, en récidive, à trente ans de réclusion criminelle, quinze ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation, dix ans d'inéligibilité, le deuxième, pour assassinat et violences aggravées, à quinze ans de réclusion criminelle et les mêmes peines complémentaires, le troisième, pour violences aggravées, à trois ans d'emprisonnement et cinq ans d'interdiction de paraître et, le quatrième, du même chef, à dix-huit mois d'emprisonnement et la même peine complémentaire, ainsi que contre l'arrêt du même jour par lequel la cour a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Leprieur, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de M. [O] [A], M. [U] [A] et M. [J] [A], ainsi que de [G] [A], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 mars 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Leprieur, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par arrêt du 7 octobre 2021, la chambre de l'instruction a ordonné la mise en accusation de MM. [O] [A], [U] [A] et [J] [A], ainsi que de [G] [A], le premier pour assassinat et tentative de meurtre, le deuxième pour assassinat et complicité de tentative de meurtre, les troisième et quatrième pour complicité d'assassinat et de tentative de meurtre. Du fait de la minorité de [G] [A] au moment des faits, elle a ordonné le renvoi des accusés devant la cour d'assises des mineurs.
3. Par arrêt pénal du 18 janvier 2023, la cour d'assises des mineurs a déclaré M. [O] [A] coupable de meurtre et violences aggravées, en récidive, et l'a condamné à vingt-cinq ans de réclusion criminelle à titre de peine principale. M. [U] [A], déclaré coupable de meurtre, a été condamné à la peine principale de quinze ans de réclusion criminelle. M. [J] [A] et [G] [A], déclarés coupables de violences aggravées, ont été condamnés respectivement à trois ans et dix-huit mois d'emprisonnement. Par arrêt civil du même jour, la cour a ordonné le renvoi sur les intérêts civils.
4. Les accusés ont relevé appel de ces décisions. Le ministère public a relevé appel de l'arrêt pénal.
Examen de la recevabilité des pourvois formés pour MM. [O] et [U] [A]
5. Les demandeurs ayant épuisé, par l'exercice qu'ils en avaient fait personnellement, le droit de se pourvoir contre les arrêts attaqués, étaient irrecevables à se pourvoir à nouveau contre les mêmes décisions par l'intermédiaire de leur avocat.
6. Seuls sont recevables les pourvois formés personnellement par MM. [O] et [U] [A].
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième, cinquième et sixième moyens
7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission des pourvois au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique les arrêts attaqués en ce qu'ils ont déclaré MM. [O], [U], [J] et [G] [A] coupables d'assassinat et de violences aggravées sur les personnes de MM. [C] et [N] [X] et ont en conséquence prononcé sur la peine et les intérêts civils, alors «qu'il ressort du procès-verbal des débats que la présidente seule a invité un juré supplémentaire à remplacer un juré empêché sans intervention de la Cour, pourtant seule compétente pour le faire ; au cours des débats qui ont suivi, un expert a été auditionné à la barre, la présidente a donné lecture aux jurés des expertises psychiatriques des accusés réalisées pendant l'information ; puis la Cour après avoir par un premier arrêt incident donné acte à la défense de l'irrégularité du remplacement du jugé empêché par le président, a pris un deuxième arrêt incident pour excuser le juré défaillant et ordonné son remplacement par le premier juré supplémentaire et par un troisième arrêt incident a refusé de renvoyer l'affaire ; il résulte de ce déroulement qu'une partie des débats s'est tenue devant un jury irrégulièrement composé sans aucune régularisation des actes exécutés pendant cette période ; la Cour d'assises a donc méconnu les articles 296 et 316 du code de procédure pénale, ensemble les articles 377 et 378 du même code. »
Réponse de la Cour
9. Il résulte du procès-verbal des débats que, le 17 janvier 2024, la présidente a annoncé que le premier juré de jugement était dans l'impossibilité de reprendre ses fonctions, et a invité le premier juré supplémentaire à le remplacer sur-le-champ, ce que l'intéressé a fait. Les débats se sont poursuivis par l'audition d'un expert et par des lectures.
10. Puis, à la suite du dépôt de conclusions par la défense, un arrêt incident a été rendu par la cour, donnant acte aux parties qu'aucun arrêt de remplacement de juré n'avait été prononcé par la cour. Par un deuxième arrêt incident, la cour a ordonné le remplacement du juré défaillant par le premier juré supplémentaire. Par un troisième arrêt incident, la cour a rejeté la demande de renvoi présentée par les avocats des accusés, en énonçant que le premier juré supplémentaire avait assisté à l'intégralité des débats.
11. En statuant ainsi, la cour n'a méconnu aucun des textes visés au moyen, dès lors qu'il résulte des énonciations de son dernier arrêt incident qu'il n'a pas été porté atteinte au principe de la continuité des débats.
12. Le moyen doit en conséquence être écarté.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
13. Le moyen fait le même grief aux arrêts attaqués, alors « que la publicité restreinte prescrite devant la cour d'assises des mineurs par les articles L. 12-3 et L. 513-2 du code de la justice pénale des mineurs ne concerne que les débats et ne s'applique pas aux arrêts incidents qui doivent être rendus en audience publique ; en omettant en l'espèce de rétablir la publicité pour prononcer les trois arrêts incidents rendus par la Cour à la suite du contentieux relatif au remplacement du juré empêché, la cour d'assises des mineurs a violé le principe et les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
14. Il n'est pas établi que la défense, qui était en mesure de le faire, ait sollicité un donné acte ou déposé des conclusions pour indiquer qu'un arrêt incident, ayant un caractère contentieux, avait été rendu sans que la publicité des débats ait été rétablie.
15. Le moyen, qui soulève pour la première fois devant la Cour de cassation un grief tiré d'une irrégularité affectant la procédure suivie à l'occasion du prononcé d'arrêts incidents, est, dès lors, irrecevable.
Sur le septième moyen
Enoncé du moyen
16. Le moyen fait le même grief aux arrêts attaqués, alors « qu'il résulte du procès-verbal des débats que les témoins [K] [D], [C] [B], [I] [F] ont été entendus par visioconférence alors qu'ils se trouvaient dans les locaux d'une gendarmerie ; lorsque des personnes sont entendues en qualité de témoins par visioconférence devant la Cour d'assises, ces auditions doivent être faites de façon à ce qu'ils parlent sans haine et sans crainte dans des conditions permettant le respect absolu de la liberté de parole et de leur indépendance ; ces exigences supposent que l'audition par visioconférence se fait à partir des locaux d'une juridiction et non des locaux d'une gendarmerie ; les auditions précitées des témoins entendus dans des locaux de gendarmerie à la suite de l'exécution de mandats d'amener délivrés à leur encontre, n'ont pas été conduites dans le respect de ces principes et sont donc intervenues en violation des articles 331, 706-71 et R. 53-37 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
17. Il résulte des mentions du procès-verbal des débats que trois témoins, contre lesquels des mandats d'amener avaient été délivrés, ont été entendus en visio-conférence depuis une brigade territoriale de gendarmerie. Aucune observation n'a été faite par les parties.
18. En statuant ainsi, la cour d'assises n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
19. En effet, l'audition d'un témoin devant la cour d'assises peut être effectuée par visio-conférence alors que le témoin se trouve dans des locaux de gendarmerie ou de police, peu important que cette audition ait lieu à la suite de la notification ou l'exécution d'un mandat d'amener.
20. Si les parties estiment que les conditions dans lesquelles la déposition est effectuée portent atteinte à leurs droits, il leur appartient de présenter une demande de donné-acte ou d'élever un incident contentieux .
21. A défaut, le moyen, présenté pour la première fois devant la Cour de cassation, est irrecevable.
22. Ainsi, le moyen ne peut être accueilli.
Mais sur le huitième moyen
Enoncé du moyen
23. Le moyen critique l'arrêt pénal attaqué en ce qu'il a condamné M. [J] [A] et [G] [A] pour violences avec préméditation et violences en réunion, aux peines respectives de trois ans et dix-huit mois de prison soit le maximum de la peine encourue pour chacun d'eux ([G] [A] étant mineur lors des faits) « à la majorité de huit voix », alors « que le secret du délibéré interdit que soit énoncée de façon exacte la majorité à laquelle s'est formée une décision et notamment une décision sur la peine ; le nombre de voix ne peut être autrement exprimé en cas de décision devant être prise à la majorité qualifiée que par la mention qu'elle a été acquise à la majorité « de huit voix au moins » ; en énonçant la majorité à laquelle la peine la plus lourde a été prononcée contre [J] et [G] [A] comme étant la majorité de huit voix, et non la majorité de huit voix au moins, la Cour a violé le principe du secret du délibéré et les articles 353, 359, 360, 362 du code de procédure pénale et 222-13 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 359 et 360 du code de procédure pénale :
24. Aux termes du premier de ces textes, toute décision défavorable à l'accusé se forme à la majorité de sept voix au moins lorsque la cour d'assises statue en premier ressort et à la majorité de huit voix au moins lorsque la cour d'assises statue en appel.
25. Aux termes du second, la déclaration, lorsqu'elle est affirmative, constate que la majorité de voix exigée par l'article 359 a été acquise sans que le nombre de voix puisse être autrement exprimé.
26. En l'espèce, il résulte de la feuille de questions que la cour et le jury ont prononcé la peine maximale encourue à l'encontre de M. [J] [A] et de [G] [A] « à la majorité qualifiée de 8 voix ».
27. En l'état de ces énonciations, qui indiquent le nombre de voix qui se sont exprimées en faveur de la peine maximale, la cour d'assises a méconnu les textes susvisés.
28. La cassation est, dès lors, encourue.
Portée et conséquences de la cassation
29. La cassation sera limitée aux dispositions relatives aux peines concernant M. [J] [A] et [G] [A]. Les dispositions de l'arrêt pénal concernant MM. [O], [U] et [E] [A], ainsi que toutes celles de l'arrêt civil, seront donc maintenues.
30. La cassation entraînera, sauf s'ils sont détenus pour autre cause, la remise en liberté de M. [J] [A] et de [G] [A], qui ont comparu libres devant la cour d'assises statuant en appel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur les pourvois formés pour MM. [O] et [U] [A] :
Les DÉCLARE IRRECEVABLES ;
Sur les pourvois formés par MM. [O] et [U] [A] :
Les REJETTE ;
Sur les pourvois formés par M. [J] [A] et [G] [A] :
CASSE et ANNULE l'arrêt pénal susvisé de la cour d'assises des mineurs des Ardennes, en date du 19 janvier 2024, mais en ses seules dispositions relatives aux peines prononcées à l'encontre de M. [J] [A] et de [G] [A], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
ORDONNE la mise en liberté de M. [J] [A] et de [G] [A], s'ils ne sont pas détenus pour autre cause ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'assises des mineurs de
la Marne, siégeant sans l'assistance des jurés, conformément à l'article 286-1 du code de procédure pénale, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'assises des Ardennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du neuf avril deux mille vingt-cinq.