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10/04/2025 | FRANCE | N°22-22.815

France | France, Cour de cassation, Deuxième chambre civile - formation de section, 10 avril 2025, 22-22.815


CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 10 avril 2025




Cassation


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 332 FS-B+R

Pourvoi n° D 22-22.815


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 AVRIL 2025

La société [2], dont le siège est [Adresse 1], a formé le pour

voi n° D 22-22.815 contre le jugement rendu le 9 septembre 2022 par le tribunal judiciaire de Valenciennes (pôle social), dans le litige l'opposant à l'union de recouvreme...

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 10 avril 2025




Cassation


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 332 FS-B+R

Pourvoi n° D 22-22.815


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 AVRIL 2025

La société [2], dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 22-22.815 contre le jugement rendu le 9 septembre 2022 par le tribunal judiciaire de Valenciennes (pôle social), dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de Provence-Alpes-Côte d'Azur, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Labaune, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la société [2], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF de Provence-Alpes-Côte d'Azur, et l'avis de Mme Pieri-Gauthier, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 mars 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Labaune, conseiller référendaire rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, Mme Lapasset, MM. Leblanc, Pédron, Reveneau, Hénon, conseillers, M. Montfort, Mme Lerbret-Féréol, conseillers référendaires, Mme Pieri-Gauthier, avocat général, et Mme Gratian, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Valenciennes, 9 septembre 2022), rendu en dernier ressort, l'URSSAF de Provence-Alpes-Côte d'Azur (l'URSSAF) a adressé une mise en demeure à la société [2] (la société cotisante) pour obtenir le paiement des majorations de retard de déclaration et de paiement de la contribution sociale de solidarité à la charge des sociétés pour l'année 2020.

2. La commission de recours amiable ayant partiellement rejeté sa demande de remise gracieuse de ces majorations, la société cotisante a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

4. La société cotisante fait grief au jugement de rejeter son recours, alors « qu'une personne ayant méconnu pour la première fois une règle applicable à sa situation ne peut faire l'objet, de la part de l'administration, d'une sanction pécuniaire si elle a régularisé sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invitée à le faire par l'administration dans le délai que celle-ci lui a indiqué ; qu'en retenant que la société cotisante, qui justifiait du caractère inédit du manquement qui lui était reproché et de sa régularisation, ne pouvait se prévaloir de l'erreur commise dans la date limite d'échéance de la déclaration et du paiement de la contribution sociale de solidarité des sociétés, au motif inopérant que les obligations de déclaration et de paiement en cause étaient « non contestées, préexistantes, connues et inchangées », le tribunal judiciaire a violé l'article L. 123-1 du code des relations entre le public et l'administration. »

Réponse de la Cour

5. Aux termes de l'article L. 123-1 du code des relations entre le public et l'administration, une personne ayant méconnu pour la première fois une règle applicable à sa situation ou ayant commis une erreur matérielle lors du renseignement de sa situation ne peut faire l'objet, de la part de l'administration, d'une sanction, pécuniaire ou consistant en la privation de tout ou partie d'une prestation due, si elle a régularisé sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invitée à le faire par l'administration dans le délai que celle-ci lui a indiqué. La sanction peut toutefois être prononcée, sans que la personne en cause ne soit invitée à régulariser sa situation, en cas de mauvaise foi ou de fraude.

6. Il résulte de ce texte, éclairé par les travaux parlementaires de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance, que les retards ou omissions de déclaration dans les délais prescrits par un texte, parce qu'ils ne sont pas susceptibles de régularisation, n'entrent pas dans le champ d'application des dispositions de cet article.

7. Le jugement énonce que le retard dans le respect d'obligations non contestées, préexistantes, connues et inchangées ne constitue pas une méconnaissance involontaire par la société cotisante d'une règle applicable à sa situation.

8. De ces constatations et énonciations, le tribunal a exactement déduit que le retard dans la déclaration du chiffre d'affaires de la société cotisante et dans le paiement de la contribution sociale de solidarité des sociétés mise à sa charge n'entrant pas dans le champ d'application du texte précité, la société cotisante ne pouvait utilement se prévaloir de ses dispositions.

9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

10. La société cotisante fait le même grief au jugement, alors « qu'il appartient aux juridictions du contentieux de la sécurité sociale d'apprécier l'adéquation d'une sanction à caractère punitif prononcée par un organisme de sécurité sociale à la gravité de l'infraction commise ; qu'en se bornant à relever que la société ne pouvait utilement se prévaloir des difficultés organisationnelles liées aux moyens techniques dont disposait son expert-comptable, dont elle n'établissait pas l'importance et l'incidence sur la réalisation des obligations de déclaration et de paiement de la C3S, sans vérifier, comme cela lui était pourtant demandé, si au regard de la durée limitée du retard de 25 jours et du contexte de report quasi-généralisé des échéances fiscales et sociales en raison de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, l'application de deux majorations de retard retenues chacune au taux de 7,6 %, correspondant à la somme globale de 25 936 euros, n'était pas disproportionnée, le tribunal judiciaire a violé l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article R. 243-20 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles L. 137-36, L. 137-37 et R. 243-20 du code de la sécurité sociale, le dernier dans sa rédaction issue du décret n° 2019-1050 du 11 octobre 2019, applicable au litige :

11. Aux termes du premier de ces textes, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

12. Selon le dernier, après règlement de la totalité des cotisations et contributions ayant donné lieu à application des majorations ou lorsque le cotisant a souscrit un plan d'apurement avec l'organisme de recouvrement dont il relève, celui-ci peut formuler une demande gracieuse en remise totale ou partielle des majorations de retard de déclaration et de paiement de la contribution sociale de solidarité à la charge des sociétés prévues par les deuxième et troisième.

13. La Cour de cassation juge, sur le fondement de l'article 6, § 1, de la Convention, que les majorations de retard, qui constituent, au même titre que les cotisations, des ressources des organismes sociaux, ont la même nature que celles-ci, et que les contestations relatives aux cotisations de sécurité sociale portent sur des droits et obligations à caractère civil au sens de ce texte, ce dont il résulte que le pouvoir de contrôle des juridictions judiciaires répond aux exigences de ce texte, dès lors qu'il s'exerce sur la régularité de la procédure, sur la matérialité des faits et sur l'application des lois servant de fondement à la décision litigieuse (Soc., 23 mai 2002, pourvoi n° 00-12.309 ; 2e Civ., 24 mai 2005, pourvoi n° 03-30.634).

14. S'inscrivant dans la logique de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, arrêt du 23 novembre 2006 [GC], aff. Jussila c. Finlande, n° 73053/01), le Conseil constitutionnel a jugé qu'en punissant d'une majoration de la contribution due au titre de l'année le manquement à des obligations destinées à assurer l'établissement de cette contribution, le législateur a instauré une sanction à caractère de punition (décision n° 2018-736 QPC du 5 octobre 2018).

15. Il convient, dès lors, de réexaminer la jurisprudence énoncée au paragraphe 13, en tant qu'elle ne distingue pas, parmi les majorations de retard, celles qui, assimilables à des intérêts appliqués en cas de versement tardif des cotisations, tendent à la réparation pécuniaire d'un préjudice, de celles susceptibles de recevoir la qualification de sanction à caractère de punition.

16. Ces considérations conduisent la Cour à juger désormais que le cotisant, auquel sont appliquées par l'organisme chargé du recouvrement des cotisations et contributions sociales, des majorations de retard constituant des sanctions présentant le caractère de punition, doit bénéficier des garanties résultant de l'article 6, § 1, susvisé.

17. En conséquence, dès lors qu'elle est régulièrement saisie d'un recours contre la décision administrative ayant rejeté en tout ou partie une demande de remise gracieuse de telles majorations, présentée selon la procédure prévue à l'article R. 243-20 susvisé, il appartient à la juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale d'apprécier l'adéquation de la sanction, prononcée par l'organisme de recouvrement, à la gravité de l'infraction commise.

18. Les majorations de retard dues à l'organisme de recouvrement présentent le caractère d'une punition lorsqu'elles tendent à réprimer et à empêcher la réitération des agissements qu'elles visent. Tel est le cas, notamment, lorsqu'elles tendent à réprimer le comportement des personnes qui ont méconnu leurs obligations déclaratives en matière de cotisations et contributions sociales et n'ont pas pour seule finalité de réparer le préjudice subi par l'organisme chargé du recouvrement du fait du paiement tardif de ces sommes.

19. La majoration fixée dans la limite de 10 % du montant de la contribution mise à la charge de la société cotisante ou résultant de la déclaration produite tardivement, prévue par l'article L. 137-36, I, susvisé, constitue une sanction financière qui a pour but de prévenir et de réprimer les manquements des cotisants à leurs obligations déclaratives dont le respect est nécessaire à la liquidation de la contribution sociale de solidarité à la charge des sociétés. Elle revêt, dès lors, la nature d'une sanction ayant un caractère de punition.

20. En revanche, la majoration fixée dans la limite de 10 % appliquée de plein droit à la contribution sociale de solidarité qui n'a pas été acquittée aux dates limites de versement de la contribution, prévue par l'article L. 137-37 susvisé, a pour objet la compensation du préjudice subi par l'organisme de recouvrement du fait du paiement tardif de la contribution par le paiement d'intérêts de retard forfaitaires, et ne revêt donc pas le caractère d'une punition.

21. Pour rejeter le recours de la société cotisante, le jugement retient que les difficultés organisationnelles en lien avec les mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, ne constituent pas un élément extérieur et irrésistible et que l'importance et la portée de ces difficultés ne sont pas démontrées par la société cotisante, qui ne justifie pas non plus en avoir informé en temps utile l'organisme de recouvrement. Il ajoute que ces contraintes n'ont pas eu d'incidence significative sur une contribution dont l'assiette était antérieurement connue ou déterminable tout comme la date d'échéance des obligations déclarative et de paiement au surplus dématérialisées.

22. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait d'apprécier l'adéquation de la majoration, prononcée par l'organisme de recouvrement, pour défaut de production de la déclaration de son chiffre d'affaires dans les délais prescrits par la société redevable de la contribution litigieuse, à la gravité de l'infraction commise par la société cotisante, le tribunal a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 9 septembre 2022, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Valenciennes ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Lille ;

Condamne l'URSSAF de Provence-Alpes-Côte d'Azur aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'URSSAF de Provence-Alpes-Côte d'Azur et la condamne à payer à la société [2] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix avril deux mille vingt-cinq.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre civile - formation de section
Numéro d'arrêt : 22-22.815
Date de la décision : 10/04/2025
Sens de l'arrêt : Cassation

Références :

Décision attaquée : Tribunal judiciaire de Valenciennes


Publications
Proposition de citation : Cass. Deuxième chambre civile - formation de section, 10 avr. 2025, pourvoi n°22-22.815, Bull. civ.Publié au Rapport
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles Publié au Rapport

Origine de la décision
Date de l'import : 11/04/2025
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:22.22.815
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