CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 10 avril 2025
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 206 F-D
Pourvois n°
A 23-14.099
H 23-14.105
Q 23-15.124 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 AVRIL 2025
I - La Société Nagico General Insurance Corporation Nv, société de droit néerlandais, prise en sa succursale Navigo Insurance Compagny Limited ayant son siège à [Localité 6] (Antilles Britanniques) et dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° A 23-14.099 contre un arrêt rendu le 31 janvier 2023 par la cour d'appel de Basse-Terre (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Musique Center, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 7],
2°/ à la société GFA Caraïbes, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
3°/ à la société Group Bumper, entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 9],
4°/ à la société Sunpower Energy Solutions France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 8],
5°/ à la société Chubb European Group SE, dont le siège est [Adresse 4],
6°/ à la société Sunzil Caraïbes, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
7°/ à la société Xl Insurance Company SE, dont le siège est [Adresse 5],
défenderesses à la cassation.
II - La société GFA Caraïbes, société anonyme, a formé le pourvoi n° H 23-14.105 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Musique Center, société civile immobilière,
2°/ à la société Group Bumper, société à responsabilité limitée,
3°/ à la société Sunpower Energy Solutions France, société par actions simplifiée,
4°/ à la société Chubb European Group SE, anciennement dénommée Ace European Group,
5°/ à la société Sunzil Caraïbes, société par actions simplifiée,
6°/ à la société Xl Insurance Company SE,
7°/ à la société Nagico General Insurance Corporation Nv, société de droit néerlandais,
défenderesses à la cassation.
III - La société Group Bumper, société à responsabilité limitée, a formé le pourvoi n° Q 23-15.124 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant :
1°/ à la société GFA Caraïbes, société anonyme,
2°/ à la société Sunpower Energy Solutions France, société par actions simplifiée,
3°/ à la société Musique Center, société civile immobilière,
4°/ à la société Chubb European Group SE, anciennement dénommée Ace European Group,
5°/ à la société Sunzil Caraïbes, société par actions simplifiée,
6°/ à la société XL Insurance Company Se, société à responsabilité limitée,
7°/ à la société Nagico General Insurance Corporation NV, société de droit néerlandais,
défenderesses à la cassation.
Les demanderesses aux pourvois n° H 23-14.105 et Q 23-15.124 invoquent, chacune, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi n° A 23-14.099 invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Aldigé, conseiller référendaire, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de la société Group Bumper, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Nagico General Insurance Corporation Nv, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société GFA Caraïbes, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat des sociétés Sunpower Energy Solutions France et Chubb European Groupe SE, de la SARL Gury & Maitre, avocat des sociétés Sunzil Caraïbes et XL Insurance Company Se, après débats en l'audience publique du 11 mars 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Aldigé, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° Q 23-15.124, H 23-14.105 et A 23-14.099 sont joints.
Désistement partiel
2. Il est donné acte à la société Group Bumper et à la société GFA Caraïbes du désistement de leurs pourvois en ce qu'ils sont respectivement dirigés contre les sociétés Sunpower Energy Solutions France et Chubb European Group SE.
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 31 janvier 2023), le 25 mars 2013, un incendie est survenu dans des locaux appartenant à la société Musique Center (la bailleresse) et donnés à bail commercial à la société Group Bumper (la locataire).
4. L'incendie a pris naissance sur un des panneaux photovoltaïques, installés par la société Solelec services Caraïbes, devenue la société Sunzil Caraïbes (le producteur), dans le cadre d'une convention de mise à disposition de la toiture conclue par la locataire le 2 décembre 2004.
5. La bailleresse a assigné en responsabilité et indemnisation la locataire et son assureur, la société GFA Caraïbes, le producteur et son assureur,la société Axa Corporate Solutions, aux droits de laquelle est venue la société XL Insurance Company, ainsi que le vendeur des panneaux photovoltaïques, la société Tenesol, devenue la société Sunpower Energy Solutions (le vendeur).
6. La société Nagico General Insurance Corporation NV (la société Nagico) et la société Chubb European Group sont intervenues volontairement à l'instance en qualité d'assureurs respectivement de la bailleresse et du vendeur.
Examen des moyens
Sur les premiers moyens, pris en leur première branche, des pourvois de la locataire et de son assureur, rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé des moyens
7. Par son premier moyen, la locataire fait grief à l'arrêt de la déclarer responsable, avec le producteur, des dommages subis par la bailleresse du fait de l'incendie, de la condamner in solidum avec son assureur, le producteur et son assureur, à payer à la société Nagico une certaine somme au titre de l'acompte versé à la bailleresse et à payer à la bailleresse une certaine somme en réparation de son préjudice, alors « que les travaux prescrits par l'autorité administrative sont, sauf stipulation expresse contraire, à la charge du bailleur ; qu'une clause mettant à la charge du preneur tous travaux de mise aux normes des locaux de sorte qu'ils soient en tout temps conformes aux prescriptions administratives, ne décharge pas le bailleur de son obligation de délivrer un local conforme à la destination prévue par le contrat ; qu'en retenant, pour juger que la société Group Bumper avait commis une faute lourde engageant sa responsabilité à l'égard de la société Musique Center et exclure par voie de conséquence l'application de l'article 23 du bail du 31 août 2008 prévoyant une clause de renonciation expresse à tous recours réciproques au titre des risques d'incendie, qu'au regard des stipulations contractuelles indiquant que le locataire prenait les locaux en l'état et conférant à ce dernier la mise aux normes de l'établissement, aucun manquement à son obligation de délivrance ne pouvait être imputé au bailleur quant aux locaux ayant fait l'objet d'un premier contrat en 1999 et que les négligences d'une extrême gravité du locataire, confinant au dol, démontrent son inaptitude à l'accomplissement de ses obligations contractuelles quant à la sécurité des lieux donnés à bail, après avoir pourtant relevé que l'ensemble immobilier présentait, dès sa construction, des non-conformités au regard du règlement de sécurité, notamment la réserve, séparée en deux par une cloison en plaques BA 13 montées sur une structure métallique qui n'avait pas été construite avec des parois périphériques et son plancher qui n'était pas qualifié stable au feu, ce dont il résultait que la société Musique Center avait bien manqué à son obligation de délivrance d'un local conforme à la destination prévue par le bail, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations en violation de l'article 1719 du code civil. »
8. Par son premier moyen, l'assureur de la locataire fait grief à l'arrêt de déclarer la locataire responsable avec le producteur des dommages subis par la bailleresse du fait de l'incendie, de la condamner in solidum avec son assurée, le producteur et son assureur, à payer à la société Nagico une certaine somme au titre de l'acompte versé à la bailleresse et à payer à la bailleresse une certaine somme en réparation de son préjudice, alors « que les travaux prescrits par l'autorité administrative sont, sauf stipulation expresse contraire, à la charge du bailleur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu' « il ressort effectivement des termes de l'article 23 du contrat de bail en date du 31 août 2008, le preneur et le bailleur ont renoncé expressément à tout recours réciproques au titre des risques d'incendie » ; que, pour condamner néanmoins les sociétés Group Bumper et GFA Caraïbes à verser diverses sommes aux sociétés Musique Center et Nagico, la cour d'appel a retenu que « les négligences d'une gravité extrême du locataire, confinant au dol, démontre son inaptitude à l'accomplissement de ses obligations contractuelles quant à la sécurité des lieux donnés à bail ; que par voie de conséquence, la clause de renonciation à tous recours du bailleur [
] ne peut donc recevoir application » ; qu'au titre de ces négligences graves, la cour d'appel a retenu que « selon l'article 11 du bail, [le locataire] s'obligeait notamment à se conformer à la réglementation le concernant, prenant les lieux dans l'état où ils se trouvent au moment de l'entrée en jouissance, sans pouvoir exiger du bailleur, pendant toute la durée du bail, aucune mise en état ni aucune réparation de quelque nature ou de quelque importance que ce soit, y compris le gros entretien et les grosses réparations, par dérogation expresse à l'article 606 du code civil ; qu'il était également contractuellement tenu d'effectuer dans les lieux loués et ses annexes, toute réfection ou tout remplacement dès qu'ils s'avéreront nécessaires de tous travaux de mises aux normes des locaux de sorte qu'ils soient en tout temps conforme aux prescriptions administratives », que « le locataire, qui avait connaissance des plans et descriptifs de l'ensemble immobilier, a exploité pendant 14 ans ledit ERP sans autre remise en état ou aux normes, lequel dès sa construction, présentait en sa structure plancher et parois périphériques, des non-conformités au regard du règlement de sécurité ; que la réserve notamment, séparée en deux par une cloison en plaques BA 13 montées sur une structure métallique, n'avait pas été construite avec des parois périphériques et son plancher n'était pas qualifié stable au feu ; que l'établissement était dépourvu de dispositif de désenfumage et de robinet d'incendie armé », et « que par suite, au regard des stipulations contractuelles conférant au preneur la mise aux normes de l'établissement pour son exploitation, aucun manquement à son obligation de délivrance ne peut être imputé au bailleur par le preneur, quant aux locaux ayant fait l'objet d'un premier contrat en 1999 » ; qu'en mettant ainsi à la charge de la société Group Bumper, preneur à bail, l'obligation de remédier à des non-conformités qui affectaient le bâtiment « dès sa construction » en 1985 et préexistaient donc au premier bail conclu en 1999, quand aucune des clauses du contrat ne prévoyaient expressément une telle obligation mais se bornaient à imposer au preneur de se conformer à la réglementation le concernant, de prendre les lieux dans l'état où ils se trouvaient au moment de l'entrée en jouissance et de réaliser tous travaux de mises aux normes des locaux de sorte qu'ils soient en tout temps conforme aux prescriptions administratives, la cour d'appel a violé l'article 1719 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1150, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1719, 1°, du code civil :
9. Il résulte du premier de ces textes que la faute lourde, assimilable au dol, empêche le contractant auquel elle est imputable de limiter la réparation du préjudice qu'il a causé aux dommages prévus ou prévisibles lors du contrat et de s'en affranchir par une clause de non-recours.
10. Constitue une faute lourde le comportement d'une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l'inaptitude du débiteur de l'obligation à l'accomplissement de la mission contractuelle qu'il avait acceptée. Cette faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur.
11. Il résulte du second que, sauf stipulation expresse contraire, le bailleur doit réaliser les travaux de mise en conformité des locaux loués aux normes de sécurité-incendie qu'exige l'exercice de l'activité du locataire prévue au bail.
12. Pour juger que la locataire a commis une faute lourde exclusive de l'application de la clause de non-recours, l'arrêt énonce que ,selon l'article 11 du bail commercial, elle s'obligeait, d'une part, à se conformer à la réglementation la concernant, prenant les lieux dans l'état où ils se trouvaient au moment de l'entrée en jouissance, sans pouvoir exiger du bailleur, pendant toute la durée du bail, aucune mise en état ni aucune réparation, y compris le gros entretien et les grosses réparations, par dérogation expresse à l'article 606 du code civil, d'autre part, à effectuer dans les lieux loués, toute réfection ou tout remplacement, dès qu'ils s'avéreraient nécessaires, de tous travaux de mises aux normes des locaux de sorte qu'ils soient en tout temps conformes aux prescriptions administratives.
13. Il retient que ces stipulations contractuelles mettent à la charge de la locataire la mise aux normes de l'établissement et en déduit qu'aucun manquement à son obligation de délivrance ne peut être imputé à la bailleresse et que la locataire a commis une faute lourde en exploitant sans aucune remise aux normes l'établissement ouvert au public et en s'affranchissant délibérément pendant près de quatorze ans de ses obligations réglementaires et légales en matière de sécurité.
14. En se déterminant ainsi, alors qu'elle relevait que l'immeuble loué présentait dès sa construction des non-conformités au regard des règles de sécurité-incendie en ce que la réserve, séparée en deux par une cloison en plaques BA 13 montées sur une structure métallique, n'avait pas été construite avec des parois périphériques, que son plancher n'était pas qualifié stable au feu et que l'établissement était dépourvu de dispositif de désenfumage et de robinet d'incendie armé, la cour d'appel, qui n'a pas constaté l'existence dans le bail d'une stipulation expresse mettant à la charge de la locataire les travaux pour remédier aux non-conformités avec les règles de sécurité-incendie existantes au moment de la délivrance initiale des locaux loués, n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur les seconds moyens, pris en leur première branche, des pourvois de la locataire et de son assureur, rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé des moyens
15. Par son second moyen, la locataire fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes indemnitaires à l'encontre du producteur et de son assureur et de limiter à une certaine somme le montant de la condamnation in solidum de ces derniers à son égard, alors « que les travaux prescrits par l'autorité administrative sont, sauf stipulation expresse contraire, à la charge du bailleur ; qu'une clause mettant à la charge du preneur tous travaux de mise aux normes des locaux de sorte qu'ils soient en tout temps conformes aux prescriptions administratives, ne décharge pas le bailleur de son obligation de délivrer un local conforme à la destination prévue par le contrat ; qu'en retenant, pour juger que la société Sunzil Caraïbes – qui, en vertu de l'article 8 de la convention de mise à disposition du 2 décembre 2004, s'était engagée à assumer la responsabilité de tous dommages susceptibles d'être causés par la ferme photovoltaïque tant à l'égard de la société Group Bumper qu'à l'égard des tiers – pouvait se prévaloir de la faute lourde commise par la société Group Bumper pour s'exonérer partiellement de sa responsabilité, qu'au regard des stipulations contractuelles du bail du 31 août 2008 indiquant que le locataire prenait les locaux en l'état et conférant à ce dernier la mise aux normes de l'établissement, aucun manquement à son obligation de délivrance ne peut être imputé au bailleur, la société Musique Center, quant aux locaux ayant fait l'objet d'un premier contrat en 1999 et que les négligences d'une extrême gravité du locataire, confinant au dol, démontrent son inaptitude à l'accomplissement de ses obligations contractuelles quant à la sécurité des lieux donnés à bail, après avoir pourtant relevé que l'ensemble immobilier présentait, dès sa construction, des non-conformités au regard du règlement de sécurité, notamment la réserve, séparée en deux par une cloison en plaques BA 13 montées sur une structure métallique qui n'avait pas été construite avec des parois périphériques et son plancher qui n'était pas qualifié stable au feu, ce dont il résultait que la société Musique Center avait bien manqué à son obligation de délivrance d'un local conforme à la destination prévue par le bail, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations en violation de l'article 1719 du code civil. »
16. Par son second moyen, l'assureur de la locataire fait grief à l'arrêt de limiter le montant de la condamnation in solidum du producteur et de son assureur à la moitié de l'indemnité d'assurance versée à son assurée, alors « que les travaux prescrits par l'autorité administrative sont, sauf stipulation expresse contraire, à la charge du bailleur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu' « il ressort en premier lieu de l'article 8 de la convention signée le 15 décembre 2014 de mise à disposition de la toiture intitulé "responsabilité du producteur, assurances", que la société Sunzil, initialement Solelec, [
] entendait contractuellement assumer seule la responsabilité de tous dommages susceptibles d'être causés par la ferme photovoltaïque, que ce soit à l'égard de la société Group Bumper, qu'à l'égard des tiers » ; que, pour limiter néanmoins à 1 699 700 euros les sommes dues par les sociétés Sunzil Caraïbes et XL Insurance Company à la société GFA Caraïbes, subrogée dans les droits de la société Group Bumper à hauteur de 2 650 000 euros, après avoir pourtant évalué à 3 339 400 euros le préjudice de cette dernière, la cour d'appel a retenu « que les lourdes fautes en matière de sécurité imputables la société Group Bumper, ont contribué cumulativement avec celles de son cocontractant, à la destruction du bâtiment incendié ; qu'elles sont ainsi en lien de causalité direct et certain avec le dommage et sont constitutives d'un fait générateur de responsabilité pour celle-ci ; que ces faits fautifs et contributifs à la réalisation du dommage, même s'ils ne présentent pas les caractères de la force majeure ou sont la clause exclusive du dommage, peuvent être qualifiés de faute lourde et n'exclut donc pas une exonération partielle de la société Sunzil ; qu'un partage de responsabilité, entre la société Sunzil et la société Group Bumper, toutes deux gravement défaillantes dans leur obligation de sécurité, peut être retenu à l'égard des deux contractants ; que par conséquent, au regard de la gravité respective de leurs fautes, le droit à indemnisation de la société Group Bumper sera réduit dans une proportion de moitié, contrairement à ce qu'a statué le jugement de première instance »; qu'au titre des commises par la société Group Bumper, la cour d'appel a retenu « qu'ainsi qu'il l'a été constaté, elle s'est exonérée de toutes les charges légales et réglementaires de sécurité exigées par l'exploitation d'un établissement ouvert au public », qu'en effet « selon l'article 11 du bail, [le locataire] s'obligeait notamment à se conformer à la réglementation le concernant, prenant les lieux dans l'état où ils se trouvent au moment de l'entrée en jouissance, sans pouvoir exiger du bailleur, pendant toute la durée du bail, aucune mise en état ni aucune réparation de quelque nature ou de quelque importance que ce soit, y compris le gros entretien et les grosses réparations, par dérogation expresse à l'article 606 du code civil ; qu'il était également contractuellement tenu d'effectuer dans les lieux loués et ses annexes, toute réfection ou tout remplacement dès qu'ils s'avéreront nécessaires de tous travaux de mises aux normes des locaux de sorte qu'ils soient en tout temps conforme aux prescriptions administratives », que « le locataire, qui avait connaissance des plans et descriptifs de l'ensemble immobilier, a exploité pendant 14 ans ledit ERP sans autre remise en état ou aux normes, lequel dès sa construction, présentait en sa structure plancher et parois périphériques, des non-conformités au regard du règlement de sécurité ; que la réserve notamment, séparée en deux par une cloison en plaques BA 13 montées sur une structure métallique, n'avait pas été construite avec des parois périphériques et son plancher n'était pas qualifié stable au feu ; que l'établissement était dépourvu de dispositif de désenfumage et de robinet d'incendie armé », et « que par suite, au regard des stipulations contractuelles conférant au preneur la mise aux normes de l'établissement pour son exploitation, aucun manquement à son obligation de délivrance ne peut être imputé au bailleur par le preneur, quant aux locaux ayant fait l'objet d'un premier contrat en 1999 » ; qu'en mettant ainsi à la charge de la société Group Bumper, preneur à bail, l'obligation de remédier à des non-conformités qui affectaient le bâtiment « dès sa construction » en 1985 et préexistaient donc au premier bail conclu en 1999, quand aucune des clauses du contrat ne prévoyaient expressément une telle obligation mais se bornaient à imposer au preneur de se conformer à la réglementation le concernant, de prendre les lieux dans l'état où ils se trouvaient au moment de l'entrée en jouissance et de réaliser tous travaux de mises aux normes des locaux de sorte qu'ils soient en tout temps conforme aux prescriptions administratives, la cour d'appel a violé l'article 1719 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1719, 1°, du code civil :
17. Il résulte de ce texte que, sauf stipulation expresse contraire, le bailleur doit réaliser les travaux de mise en conformité des locaux loués aux normes de sécurité-incendie qu'exige l'exercice de l'activité du locataire prévue au bail.
18. Pour rejeter les demandes indemnitaires de la locataire formées à l'encontre du producteur et de son assureur et limiter le montant de la condamnation in solidum de ces derniers à l'égard de l'assureur de la locataire à la moitié de l'indemnité d'assurance versée à son assurée, l'arrêt retient que la locataire s'est affranchie délibérément de ses obligations réglementaires et légales en matière de sécurité et que son cocontractant peut se prévaloir, au même titre que le bailleur, des graves manquements commis par la locataire au titre de la sécurité du bien loué, et que, compte tenu de la faute qu'elle a commise, le droit à indemnisation de la locataire doit être réduit de moitié.
19. En se déterminant ainsi, sans constater l'existence dans le bail d'une stipulation expresse mettant à la charge de la locataire les travaux pour remédier aux non-conformités avec les règles de sécurité-incendie existantes au moment de la délivrance initiale des locaux loués, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi de l'assureur de la bailleresse
Enoncé du moyen
20. La société Nagico fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme à son assurée au titre de la police d'assurance, alors « que les juges du fond ne peuvent méconnaître les termes du litige ; qu'en ayant accordé une indemnisation à la société Musique Center, au titre de la police que celle-ci avait souscrite auprès de la société Nagico, quand l'assurée n'avait présenté cette demande de garantie à l'égard de l'exposante qu'à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où elle n'obtiendrait pas satisfaction des responsables des dommages et de leurs assureurs, l'hypothèse qui ne s'est pas avérée, la demande principale ayant été accueillie, la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
21. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
22. Pour condamner la société Nagico à indemniser son assurée, l'arrêt, après avoir fait droit au recours de la bailleresse à l'encontre de la locataire, du producteur et de leurs assureurs, et les avoir condamnés à lui payer in solidum une certaine somme en indemnisation de son préjudice, condamne également l'assureur de la bailleresse au titre de la police d'assurance à paiement.
23. En statuant ainsi, alors que la bailleresse ne demandait la garantie de son assureur qu'à titre subsidiaire de sa demande principale en condamnation de la locataire, du producteur et de leurs assureurs, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
24. La cassation des chefs de dispositif accueillant le recours de la bailleresse contre la locataire et son assureur, rejetant les demandes indemnitaires de la locataire à l'encontre du producteur et limitant le montant de la condamnation in solidum du producteur et de son assureur à la moitié de l'indemnité d'assurance versée par l'assureur de la locataire à son assurée, n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant le producteur et son assureur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
Mise hors de cause
25. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause les sociétés Sunpower Energy Solutions France et Chubb European Group SE, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
26. En revanche, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société Nagico, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il constate que certains chefs du dispositif du jugement sont définitifs, qu'il déclare irrecevables les demandes des sociétés Sunzil Caraïbes et XL Insurance Company à l'encontre des sociétés Sunpower Energy Solutions France et Chubb European Group SE, qu'il déclare la société Sunzil Caraïbes responsable des dommages subis par la société civile immobilière Musique Center du fait de l'incendie survenu le 25 mars 2023, qu'il condamne in solidum les sociétés Sunzil Caraïbes et XL Insurance Company à payer la somme de 937 299,23 euros à la société Nagico General Insurance Corporation NV au titre de l'acompte versé à la bailleresse, outre intérêts au taux légal à compter du 7 novembre 2018, avec capitalisation des intérêts, la somme de 2 113 132,63 euros à la société civile immobilière Musique Center en réparation du préjudice subi du fait du sinistre survenu le 25 mars 2013, et la somme de 10 000 euros à chacune des sociétés Musique Center et Nagico General Insurance Corporation NV au titre des frais irrépétibles exposés en premier ressort et en appel outre les entiers dépens, l'arrêt rendu le 31 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;
Met hors de cause les sociétés Sunpower Energy Solutions France et Chubb European Group SE ;
Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société Nagico General Insurance Corporation NV ;
Remet, sauf sur ces points l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre, autrement composée ;
Condamne les sociétés Sunzil Caraïbes et XL Insurance Company aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix avril deux mille vingt-cinq.