LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
CL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 avril 2025
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 204 F-D
Pourvoi n° D 23-23.210
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 AVRIL 2025
Mme [Y] [O], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 23-23.210 contre l'arrêt rendu le 5 octobre 2023 par la cour d'appel de Montpellier (3e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [M] [R],
2°/ à Mme [V] [T], épouse [R],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Baraké, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [O], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. et Mme [R], après débats en l'audience publique du 11 mars 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Baraké, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 5 octobre 2023), Mme [O] est propriétaire, en vertu d'un acte du 24 octobre 1987, d'une parcelle cadastrée section C n° [Cadastre 3], contiguë à celle, cadastrée section C n° [Cadastre 4], dont sont propriétaires M. et Mme [R].
2. Soutenant être propriétaire par usucapion abrégée d'une bande de terrain de 128 m² située à l'est de sa maison et jusqu'à la clôture délimitant la limite des deux fonds, Mme [O] a assigné M. et Mme [R] en revendication de cette bande de terrain.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Mme [O] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans ; que le juste titre est un acte translatif de propriété qui aurait transféré ce droit s'il était émané du véritable propriétaire ; qu'en l'espèce, au soutien de sa demande fondée sur l'usucapion abrégée, Mme [O] produisait son titre d'acquisition, en date du 24 octobre 1987, auquel était annexé un document d'arpentage, établissant ainsi que la parcelle objet de l'acte incluait la portion litigieuse et que l'acte en question constituait donc un juste titre ; que, pour écarter l'usucapion abrégée, après avoir rappelé que le document d'arpentage était annexé à l'acte du 24 octobre 1987 la cour d'appel a considéré que « le document d'arpentage évoqué par [Y] [O] a une vocation administrative et fiscale mais n'est pas probatoire et créateur de droit » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs relatifs à la valeur probante du seul document d'arpentage et donc impropres à écarter la qualification de juste titre pour l'acte notarié du 24 octobre 1987, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2272 du code civil. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
4. M. et Mme [R] contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent que le moyen est contraire aux conclusions d'appel de Mme [O].
5. Cependant, Mme [O] soutenait dans ses écritures que son titre de propriété, auquel était annexé, selon elle, un document d'arpentage, portait sur le terrain tel que délimité par la clôture le séparant du fonds de M. et Mme [R].
6. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 2272 du code civil :
7. Aux termes de ce texte, le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans. Toutefois, celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans.
8. Le juste titre est celui qui vise sans équivoque, exactement et dans sa totalité la parcelle revendiquée.
9. Pour rejeter la demande de Mme [O], l'arrêt retient que le titre de propriété versé aux débats est insuffisant pour permettre à la revendiquante d'établir les limites de sa propriété et que le document d'arpentage, établi en février 1980 et signé par le vendeur, s'il permet d'établir les limites d'une parcelle, a seulement, à l'instar du cadastre, une vocation administrative et fiscale, sans être probatoire et créateur de droits.
10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si l'acte du 24 octobre 1987 incluait dans la superficie vendue la bande de terrain litigieuse, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 octobre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier, autrement composée ;
Condamne M. et Mme [R] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [R] et les condamne in solidum à payer à Mme [O] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix avril deux mille vingt-cinq.