LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
AF1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 30 avril 2025
Annulation
Mme DURIN-KARSENTY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 369 F-D
Pourvoi n° T 23-15.794
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 AVRIL 2025
La société Lama, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 23-15.794 contre l'arrêt rendu le 9 février 2023 par la cour d'appel de Bordeaux (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Carrosserie Lahitette Bordeaux, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ à la société MMA IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
3°/ à la société Letellier Perrault, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, Ã l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Techer, conseiller référendaire, les observations de la SARL Corlay, avocat de la société Lama, et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 mars 2025 où étaient présentes Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Techer, conseiller référendaire rapporteur, Mme Grandemange, conseiller, et Mme Sara, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 9 février 2023), invoquant des désordres sur un véhicule lui appartenant, alors qu'il se trouvait sous la garde d'un garagiste, la société Arbre, la société Lama (la société) a assigné la société MMA IARD, assureur de ce garagiste.
2. Ce dernier a assigné en garantie les sociétés Carrosserie Lahitette Bordeaux et Letellier Perrault, qui ont effectué des travaux, respectivement, de carrosserie et de réparation mécanique sur le véhicule.
3. Par un jugement du 3 février 2020, dont la société a interjeté appel, un tribunal judiciaire a rejeté les demandes.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La société fait grief à l'arrêt de juger la déclaration d'appel caduque, alors « que si l'appelant doit désormais, dans le dispositif de ses conclusions, mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement, à peine de caducité de la déclaration d'appel, cette règle, qui instaure une charge procédurale nouvelle pour les parties à la procédure d'appel ayant été affirmée pour la première fois dans un arrêt publié par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 (Civ. 2e 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, publié) son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de la cour d'appel que la déclaration d'appel a été formée par la société Lama le 27 mai 2020, demandant la réformation du jugement, les premières conclusions d'appel ayant été déposées le 20 juillet 2020, elles-mêmes antérieurement à la décision précitée de la Cour de cassation ; qu'en considérant cependant que l'absence de demande de réformation, dans le dispositif des premières conclusions d'appel, entraînait la caducité de la déclaration d'appel, la cour d'appel a méconnu les articles 542 et 954 du code de procédure civile tels qu'applicables au moment de la déclaration d'appel, ensemble l'article 6 paragraphe premier de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile :
5. L'objet du litige devant la cour d'appel étant déterminé par les prétentions des parties, le respect de l'obligation faite à l'appelant de conclure conformément à l'article 908 s'apprécie nécessairement en considération des prescriptions de l'article 954.
6. Il résulte de ce dernier texte, en son deuxième alinéa, que le dispositif des conclusions de l'appelant remises dans le délai de l'article 908 doit comporter une prétention sollicitant expressément l'infirmation ou l'annulation du jugement frappé d'appel.
7. À défaut, en application de l'article 908, la déclaration d'appel est caduque ou, conformément à l'article 954, alinéa 3, la cour d'appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif, ne peut que confirmer le jugement.
8. Ainsi, l'appelant doit dans le dispositif de ses conclusions mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue de relever d'office la caducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d'appel si les conditions en sont réunies (2e Civ., 4 novembre 2021, pourvoi n° 20-15-766, publié).
9. Cette obligation de mentionner expressément la demande d'infirmation ou d'annulation du jugement, affirmée pour la première fois par un arrêt publié (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, publié), fait peser sur les parties une charge procédurale nouvelle. Son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.
10. Pour déclarer d'office caduque la déclaration d'appel, l'arrêt retient que le dispositif des conclusions de l'appelante, déposées dans le délai de l'article 908, soit le 20 juillet 2020, ne comporte aucune demande d'infirmation ou d'annulation du jugement.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle il a été relevé appel, l'application de cette règle de procédure, qui instaure une charge procédurale nouvelle dans l'instance en cours, aboutissant à priver la société d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 février 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne les sociétés MMA IARD, Carrosserie Lahitette Bordeaux et Letellier Perrault aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne in solidum les sociétés MMA IARD, Carrosserie Lahitette Bordeaux et Letellier Perrault à payer à la société Lama la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le trente avril deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.