SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 6 mai 2025
Cassation partielle
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 454 F-D
Pourvoi n° E 22-23.897
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 MAI 2025
La Fondation cardiométabolisme et nutrition, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée l'Institut de cardiométabolisme et de nutrition (ICAN), a formé le pourvoi n° E 22-23.897 contre l'arrêt rendu le 21 septembre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 10), dans le litige l'opposant à M. [K] [N], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
M. [N] a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
Le demandeur au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Seguy, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Fondation cardiométabolisme et nutrition, de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [N], après débats en l'audience publique du 25 mars 2025 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Seguy, conseiller rapporteur, Mme Panetta, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 septembre 2022), M. [N] a été engagé en qualité de directeur exécutif, le 1er février 2012, par la fondation Institut de cardiométabolisme et nutrition (ICAN), devenue la Fondation cardiométabolisme et nutrition (la fondation).
2. Par lettre du 15 juin 2017, il a été convoqué à un entretien préalable et a été mis à pied à titre conservatoire.
3. Le 26 juin 2017, il a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur. Licencié pour faute grave par lettre du 5 juillet 2017, il a étendu sa saisine à la contestation de la rupture de son contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal de l'employeur
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen du pourvoi principal de l'employeur
Enoncé du moyen
5. La fondation fait grief à l'arrêt de la condamner à verser au salarié une somme à titre d'indemnité contractuelle de licenciement et de rejeter sa demande subsidiaire en réduction du montant de l'indemnité de départ, alors « que l'indemnité de licenciement, lorsqu'elle est prévue par le contrat de travail, a le caractère d'une clause pénale et peut être réduite par le juge lorsqu'elle présente un caractère manifestement excessif ; qu'au cas présent, l'ICAN, qui est une fondation de coopération scientifique à but non lucratif financée par des dotations de fonds publics, faisait valoir que le montant de l'indemnité contractuelle de rupture prévue par le contrat de travail du salarié, équivalent à 24 mois de salaires soit 224 000 euros, était manifestement très excessif et sollicitait de la cour d'appel qu'elle soit réduite au montant de l'indemnité conventionnelle de licenciement, soit 34 808 euros ; qu'en refusant néanmoins d'examiner le caractère excessif de l'indemnité contractuelle de rupture prévue par le contrat de travail du salarié aux motifs que ''l'article 12 du contrat de travail prévoit qu'une indemnité de 24 mois de salaire brut et au prorata du temps passé, en sus des indemnités légales, sera accordée [au salarié] dans les cas suivants : - licenciement, sauf en cas de faute grave ou lourde, - démission en cas de changement du directeur général Mme [S] [G]. L'ICAN ne soulève explicitement aucun vice du consentement ou irrégularité affectant la validité même du contrat de travail. Il importe donc peu que cette clause ait assuré [au salarié] de façon excessive une protection solidaire « intuitu personae » avec Mme [G], directrice générale, ainsi que l'intimé le reproche. La clause apparaît donc parfaitement opposable à l'employeur. [
] L'indemnité contractuelle, visant à dédommager le préjudice résultant de la rupture du contrat de travail, ne saurait ainsi être analysée en une clause pénale susceptible de faire l'objet de la modération sollicitée par l'intimé, en application de l'article 1152 ancien du code civil. En conséquence, infirmant le jugement déféré, la cour fait droit à la demande de paiement de l'indemnité contractuelle de licenciement à hauteur de 228 000 euros sans réduction'', cependant qu'il ressortait de ses propres constatations que cette indemnité contractuelle de licenciement constituait une clause pénale qu'elle avait le pouvoir de modérer, la cour d'appel a violé les articles 1152 et 1134 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (devenus les articles 1152, 1104 et 1193 du code civil), ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1193 et 1231-5 du code civil :
6. Aux termes du premier de ces textes, les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise.
7. Selon le second, lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.
8. Constitue une clause pénale la clause d'un contrat par laquelle les parties évaluent forfaitairement et d'avance l'indemnité à laquelle donnera lieu l'inexécution de l'obligation contractée.
9. Pour condamner la fondation, qui en sollicitait la réduction par application de l'article 1152 ancien du code civil, à verser au salarié la somme demandée à titre d'indemnité contractuelle de licenciement, l'arrêt retient que, celle-ci visant à dédommager le préjudice résultant de la rupture du contrat de travail, elle ne saurait être analysée en une clause pénale susceptible de faire l'objet de la modération sollicitée.
10. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que le contrat de travail prévoyait le versement d'une indemnité de vingt-quatre mois de salaire brut et au prorata du temps passé, en sus des indemnités légales, en cas de démission consécutive au changement du directeur général de la fondation et en cas de licenciement, sauf en cas de faute grave ou lourde et que le salarié avait été licencié sans cause réelle et sérieuse, de sorte qu'il lui appartenait de vérifier si l'indemnité contractuelle de licenciement ainsi stipulée, qui avait le caractère d'une clause pénale, présentait un caractère manifestement excessif, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
11. La cassation des chefs de dispositif condamnant l'employeur à verser au salarié une somme à titre d'indemnité contractuelle de licenciement n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la fondation aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci.
PAR CES MOTIFS , et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi incident, qui n'est qu'éventuel, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne l'ICAN, devenue la Fondation cardiométabolisme et nutrition, à verser à M. [N] la somme de 228 000 euros brut à titre d'indemnité contractuelle de licenciement, l'arrêt rendu le 21 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le six mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.