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06/05/2025 | FRANCE | N°22-24.726

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale - formation restreinte hors rnsm/na, 06 mai 2025, 22-24.726


SOC.

CZ



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 6 mai 2025




Cassation


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 456 F-D

Pourvoi n° F 22-24.726




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 MAI 2025

M. [G] [W] né [L], domicilié [Adresse 1], a

formé le pourvoi n° F 22-24.726 contre l'arrêt rendu le 26 octobre 2022 par la cour d'appel de Montpellier (2e chambre sociale), dans le litige l'opposant à la Fondation apprenti...

SOC.

CZ



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 6 mai 2025




Cassation


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 456 F-D

Pourvoi n° F 22-24.726




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 MAI 2025

M. [G] [W] né [L], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° F 22-24.726 contre l'arrêt rendu le 26 octobre 2022 par la cour d'appel de Montpellier (2e chambre sociale), dans le litige l'opposant à la Fondation apprentis d'Auteuil, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Seguy, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [W] né [L], de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la Fondation apprentis d'Auteuil, après débats en l'audience publique du 25 mars 2025 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Seguy, conseiller rapporteur, Mme Panetta, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 26 octobre 2022), M. [W] né [L] a été engagé en qualité de psychologue, le 25 mars 2010, par la Fondation apprentis d'Auteuil (la fondation). En dernier lieu, il occupait les fonctions de psychologue à la Maison des familles à [Localité 6].

2. Licencié pour faute grave par lettre du 13 octobre 2016, il a saisi la juridiction prud'homale d'une contestation de la rupture de son contrat de travail.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de juger que son licenciement repose sur une faute grave et, en conséquence, de le débouter de toutes ses demandes, alors « que le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, sauf abus qui n'est caractérisé qu'en cas de propos injurieux, diffamatoire ou excessif ; qu'en l'espèce, le salarié écrivait, dans la lettre litigieuse du 15 septembre 2016 adressée à l'autorité de tutelle de la fondation, à titre personnel, en précisant qu'il prenait ''la responsabilité de cet écrit en qualité de psychologue'' et au regard de sa ''conscience'' et ''responsabilité de psychologue'', pour exprimer son opinion personnelle selon laquelle le nombre multiple d'intervenants autour du jeune [F] [D] était paradoxalement une limite et une gêne à la coopération, qu'il avait le sentiment d'avoir atteint un point où ses compétences ''ne peuvent plus aider ce jeune homme à grandir ni empêcher sa lente mais sûre bascule dans des processus qui me semblent pathologiques'' qu'il souhaitait que sa conscience et sa responsabilité de psychologue soient détachés d'objectifs institutionnels dont il partageait moins le sens et la visée et qu'il estimait que le jeune [F] [D] était ''en train de perdre pied'' et ne pouvait ''sans les soins adaptés à ses problématiques, basculer dans un registre d'actes que nous aurions à déplorer'' ; qu'en jugeant que la lettre du 15 septembre 2016 n'entrait pas dans '' le cadre de la liberté d'expression'' du salarié, aux motifs que ''si [le salarié] était libre de porter un jugement sur l'action des divers intervenants au regard de la situation d'un mineur en difficulté et ne pas partager les objectifs institutionnels de son employeur, les termes employés dans son écrit ne se limitaient pas à une simple critique ou à l'expression d'une opinion personnelle. En effet, en lui imputant faussement une réaction inadaptée à la situation d'un mineur en danger et en opposant la notion d'éthique aux objectifs de l'employeur sans que le moindre élément matériel ne vienne préciser ou corroborer un tel jugement moral aussi négatif de la part du salarié, ils étaient excessifs et diffamatoires en ce qu'ils imputaient à l'employeur des faits portant atteinte à son honneur et à sa considération et le dénigraient ouvertement'', quand le salarié avait seulement fait part dans cette lettre à son interlocuteur, par des termes mesurés, sans imputer à son employeur aucun fait précis et déterminé qui serait de nature à dénigrer ce dernier ou à porter atteinte à son honneur et à sa considération, de ses inquiétudes relatives aux limites de sa compétence personnelle, en qualité de psychologue, pour soigner [F] [D] et avait seulement implicitement suggéré qu'à son avis, il lui semblait que l'enfant devait bénéficier de soins médicaux ne relevant plus de ses compétences de psychologue, ce qui ne pouvait constituer un abus par le salarié de sa liberté d'expression et donc une faute a fortiori grave, la cour d'appel a violé les articles 10 de la Convention des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L. 1121-1, L. 1232-1, L. 1234 1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1121-1 du code du travail :

4. Il résulte de ce texte que, sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.

5. Le licenciement prononcé, même en partie, par l'employeur pour un motif lié à l'exercice non abusif par le salarié de sa liberté d'expression est nul.

6. Pour rejeter les demandes du salarié au titre de son licenciement, l'arrêt constate qu'il a adressé, le 15 septembre 2016, à la direction générale adjointe des solidarités du département, une lettre ayant pour objet « alerte mineur en danger et/ou susceptible de mettre son entourage en danger » contenant les termes suivants : « Je me permets de vous alerter par rapport à la situation du jeune [F] [D], né le [Date naissance 2]/1999 et confié par l'ASE à l'établissement [5] depuis le mois de février 2015, suite à la dégradation très significative de son comportement et à la manifestation de troubles de celui-ci conduisant à des passages à l'acte (auto et hétéro agressifs) nombreux, le mettant en danger dans son intégrité psychologique et physique mais mettant également en difficulté voire en insécurité les professionnels qui assurent son accompagnement. Je prends la responsabilité de cet écrit, en qualité de psychologue référent sur le site de la [5] et sur ce que je peux observer de lui, échanger avec lui et dont j'ai été ou suis témoin, en lien avec les membres de l'équipe éducative du service « adolescents » auquel il est affilié. Ceci étant, je dois vous préciser qu'autour de lui, le réseau des partenaires est multiple (Conseil Départemental, [5], ITEP, PJJ, Réseau Ado66 ...) et traversé d'intentions vraies de coopération mais sa densité en constitue paradoxalement les limites et la gêne, chaque acteur obéissant à des contraintes et des objectifs qui parfois se recoupent mais souvent s'excluent les uns les autres. Dans l'exercice de ma fonction, je ne peux demeurer spectateur de cette dégradation, ne pas reconnaître que j'ai atteint un point où mes compétences ne peuvent plus aider ce jeune homme à grandir ni empêcher sa lente mais sûre bascule dans des processus qui me semblent pathologiques. Je souhaite également que ma conscience et ma responsabilité de psychologue soient détachées d'objectifs institutionnels dont je partage moins le sens ainsi que la visée. Malgré les efforts qu'il a faits et qu'il fait pour tenter de contenir ses tensions internes, sa colère et sa douleur, il est en train de perdre pied et peut, sans les soins adaptés à ses problématiques, basculer dans un registre d'actes que nous aurions tous à déplorer. Je reste naturellement disponible pour tout complément d'information et prêt à me déplacer dans votre service, au besoin ».

7. Il retient que cette lettre d'alerte est, par les commentaires qu'elle contient, une critique non équivoque de l'action de l'employeur dans son domaine d'activité et adressée à l'autorité publique, alors qu'elle a été volontairement tronquée dans ses éléments d'appréciation et de critique, puisqu'il résulte des mails produits aux débats par l'employeur que le salarié savait, au moment où il avait adressé la lettre, d'une part, que les informations qu'il transmettait sur les circonstances et les risques présentés par le mineur à la suite des dégradations commises par lui sur le site du [Adresse 4] au cours du week-end du 9 au 11 septembre 2016 étaient délibérément parcellaires, d'autre part, que sa direction avait pris de très nombreuses mesures, dont la nature et les effets attendus étaient totalement adaptés et proportionnés à la situation, ce dont le salarié, de par ses fonctions de chef de service et son appartenance à l'équipe éducative en tant que psychologue, avait parfaitement conscience, de sorte qu'aucun des éléments versés aux débats ne l'autorisait objectivement à penser ou à craindre que de telles mesures étaient insuffisantes ou inappropriées à la situation.

8. Il énonce également que le salarié était allé jusqu'à taire sciemment l'existence de ces mesures et avait préféré se livrer à une critique générale, brutale et sans nuance de l'action de l'employeur en laissant supposer une absence de réaction ou à tout le moins une absence de prise de conscience de la gravité de la situation de la part de ce dernier, ce qui n'était manifestement pas le cas. Il ajoute, qu'alors qu'il lui avait été rappelé, par un mail du 12 septembre 2016, la nécessité de réfléchir en interne à la stratégie de communication auprès des partenaires avant d'envoyer des messages, le salarié était volontairement passé outre cette consigne en adressant la lettre incriminée à l'insu de son employeur lequel n'avait appris son existence que plus tard par le destinataire de la lettre.

9. Il conclut que les critiques et commentaires du salarié n'entraient pas dans le cadre de la liberté d'expression dès lors que les termes employés dans son écrit ne se limitaient pas à une simple critique ou à l'expression d'une opinion personnelle et qu'en imputant faussement à l'employeur une réaction inadaptée à la situation d'un mineur en danger et en opposant la notion d'éthique aux objectifs de l'employeur, sans que le moindre élément matériel ne vienne préciser ou corroborer un tel jugement moral aussi négatif, ils étaient excessifs et diffamatoires en ce qu'ils imputaient à l'employeur des faits portant atteinte à son honneur et à sa considération et le dénigraient ouvertement.

10. En statuant ainsi, alors que la lettre litigieuse, adressée à l'autorité publique chargée de l'aide sociale à l'enfance par le salarié, en sa qualité de psychologue référent, était destinée à exprimer ses réserves sur le caractère suffisant et adapté des mesures prises à l'égard d'un mineur en grande difficulté et à signaler les risques pouvant en découler, ce qui participait de sa liberté d'expression, et était rédigée en des termes qui n'étaient ni injurieux, ni diffamatoires ou excessifs, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

Condamne la Fondation apprentis d'Auteuil aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Fondation apprentis d'Auteuil et la condamne à payer à M. [W] né [L] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;




Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le six mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre sociale - formation restreinte hors rnsm/na
Numéro d'arrêt : 22-24.726
Date de la décision : 06/05/2025
Sens de l'arrêt : Cassation

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Montpellier 40


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc. - formation restreinte hors rnsm/na, 06 mai. 2025, pourvoi n°22-24.726


Origine de la décision
Date de l'import : 11/05/2025
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:22.24.726
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