SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 6 mai 2025
Cassation partielle
sans renvoi
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 463 F-D
Pourvoi n° M 23-10.958
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 MAI 2025
La société Towercast, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° M 23-10.958 contre l'arrêt rendu le 7 décembre 2022 par la cour d'appel de Lyon (chambre sociale A), dans le litige l'opposant à M. [I] [F], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Towercast, après débats en l'audience publique du 26 mars 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, Mme Sommé, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 7 décembre 2022), M. [F] a été engagé en qualité de technicien Hot Line par la société NRJ, aux droits de laquelle vient la société Towercast, à compter du 1er mars 1993.
2. Au dernier état de la relation de travail, le salarié occupait le poste de chargé des supports techniques HF, statut cadre.
3. Par acte du 18 août 2016, il a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et a demandé sa condamnation à lui payer certaines sommes à titre de rappel de salaire et congés payés afférents, dommages-intérêts pour harcèlement moral, manquement à l'obligation de sécurité, discrimination syndicale et exécution fautive du contrat de travail, dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité légale de licenciement, indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents.
4. Par lettre du 23 octobre 2021, le salarié a fait valoir ses droits à la retraite. Le contrat de travail a pris fin le 31 janvier 2022, à l'issue du délai de préavis.
5. Devant la cour d'appel, le salarié a formé une demande nouvelle de solde d'indemnité de départ à la retraite en invoquant les dispositions de l'article 4.4.2 de la convention collective nationale des télécommunications du 26 avril 2020.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. La société fait grief à l'arrêt de déclarer recevable la demande en paiement d'un rappel d'indemnité de départ à la retraite et de la condamner en conséquence à payer au salarié la somme de 22 610,14 euros en deniers et quittances à titre d'indemnité de départ à la retraite, sous déduction de la somme déjà payée à ce titre par l'employeur, alors :
« 1°/ qu'une demande nouvelle née d'un fait nouveau sans lien avec le litige initial et qui ne tend pas aux mêmes fins que les demandes présentées en première instance ne saurait être présentée pour la première fois en cause d'appel mais doit faire l'objet d'une nouvelle instance ; qu'en jugeant recevable la demande portant sur l'indemnité de départ à la retraite présentée pour la première fois en cause d'appel cependant que les indemnités demandées par le salarié en première instance n'avaient pas les mêmes fins, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 564 et 566 du code de procédure civile ;
2°/ que si le départ à la retraite du salarié modifie la situation administrative et sociale de l'intéressé, cette modification n'a toutefois pas de lien avec le litige initial ni d'effet sur la résolution de ce dernier ; qu'en retenant que la demande en rappel d'indemnité de départ à la retraite constituait une question née de la survenance d'un fait nouveau pour justifier par ce seul motif sa recevabilité, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 564 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
8. Après avoir retenu que, le salarié ayant fait valoir ses droits à la retraite à effet du 31 janvier 2022, sa demande initiale de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur était devenue sans objet, la cour d'appel qui en a déduit que la demande d'un solde d'indemnité de départ à la retraite constituait une question née de la survenance d'un fait et fait ressortir que cette demande présentait un lien avec les demandes initiales au titre de la rupture du contrat de travail, a légalement justifié sa décision.
Mais sur le second moyen, pris en ses première et troisième branches
Enoncé du moyen
9. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié la somme de 22 610,14 euros en deniers et quittances à titre d'indemnité de départ à la retraite, sous déduction de la somme déjà payée à ce titre par l'employeur, alors :
« 1°/ que le départ à la retraite, acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail, ne saurait ouvrir droit au versement d'une indemnité légale de licenciement ; que seule l'indemnité légale ou conventionnelle de départ à la retraite est due alors au salarié ; qu'il n'était pas contesté que le salarié a bien décidé unilatéralement de faire valoir ses droits à la retraite ; que, dès lors, en jugeant ce salarié fondé à solliciter le montant de l'indemnité légale de licenciement plus avantageuse que l'indemnité conventionnelle de retraite, la cour d'appel a violé tant les dispositions de l'article 4.4.2 de la convention collective nationale des télécommunications dont elle a fait une fausse interprétation, que les dispositions des articles L. 1237-4 et L. 1237-9 du code du travail ;
3°/ qu'une convention collective, lorsqu'elle manque de clarté, doit être interprétée comme la loi, c'est à dire en respectant la lettre du texte, ensuite en tenant compte d'un éventuel texte législatif ayant le même objet et, en dernier recours, en utilisant la méthode téléologique consistant à rechercher l'objectif social du texte ; que la cour d'appel devait interpréter l'article 4.4.2 de la convention collective des télécommunications en tenant compte des articles L. 1237-7 et L. 1237-9 du code du travail d'où il résulte que seule la mise à la retraite d'un salarié à l'initiative de l'employeur ouvre droit au versement d'une indemnité au moins égale à l'indemnité légale de licenciement tandis que le départ à la retraite à l'initiative du salarié ouvre droit à une indemnité spécifique de nature salariale calculée en fonction de l'ancienneté du salarié ; qu'il en résulte que l'article 4.4.2 de la convention collective devait être interprété comme prévoyant une indemnité calculée en fonction de l'ancienneté du salarié, d'une manière identique en cas de départ à la retraite comme en cas de mise à la retraite, en étant sur ce point plus favorable au salarié que les dispositions légales et réglementaires applicables ; qu'en revanche, seul le salarié mis à la retraite pourra percevoir soit l'indemnité de retraite ainsi calculée, soit, si cette solution est plus avantageuse pour lui, l'indemnité légale de licenciement ; qu'une telle option ne saurait être étendue au salarié ayant décidé unilatéralement de son départ à la retraite dans les conditions prévues par l'article L. 1237-9 du code du travail ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé l'article 4.4.2 de la convention collective nationale des télécommunications, ensemble les articles L. 1237-7 et L. 1237-9 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1237-4 et L. 1237-9 du code du travail et l'article 4.4.2 de la convention collective nationale des télécommunications du 26 avril 2020 :
10. Une convention collective, si elle manque de clarté, doit être interprétée comme la loi, c'est à dire d'abord en respectant la lettre du texte, ensuite en tenant compte d'un éventuel texte législatif ayant le même objet et, en dernier recours, en utilisant la méthode téléologique consistant à rechercher l'objectif social du texte.
11. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 1237-4 du code du travail, les stipulations relatives au départ à la retraite des salariés prévues par une convention collective, un accord collectif de travail ou un contrat de travail sont applicables sous réserve qu'elles ne soient pas contraires aux dispositions légales.
12. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 1237-9 du même code, tout salarié quittant volontairement l'entreprise pour bénéficier d'une pension de vieillesse a droit à une indemnité de départ à la retraite.
13. Il en résulte que l'indemnité de départ à la retraite ne peut se cumuler avec l'indemnité de licenciement.
14. Selon l'article 4.4.2 de la convention collective susvisée, deux situations peuvent se présenter, le départ en retraite à l'initiative du salarié, auquel cas ce dernier percevra lors de son départ l'indemnité de départ en retraite, et la mise à la retraite du salarié à l'initiative de l'employeur. Au moment de son départ, le salarié percevra l'indemnité de retraite prévue ou, si cette solution est plus avantageuse pour lui, l'indemnité légale de licenciement.
15. Eu égard aux articles L. 1237-4 et L. 1237-9 du code du travail susvisés, l'article 4.4.2 de la convention collective doit être interprété comme réservant au salarié mis à la retraite à l'initiative de l'employeur le bénéfice du choix à effectuer, au moment de son départ, entre l'indemnité de retraite ou, si cette solution est plus avantageuse pour lui, l'indemnité légale de licenciement.
16. Pour faire droit à la demande du salarié et condamner la société à lui payer une certaine somme en deniers et quittances à titre d'indemnité de départ à la retraite, sous déduction de la somme déjà payée à ce titre par l'employeur, l'arrêt retient que si l'article 4.4.2 de la convention collective prévoit le départ à la retraite à l'initiative du salarié et la mise à la retraite à l'initiative de l'employeur, sa rédaction ne permet de distinguer ces deux situations qu'en ce qui concerne les modalités de notification de la décision, mais que l'option entre l'indemnité conventionnelle de retraite et le montant de l'indemnité légale de licenciement, si cette solution est plus avantageuse, est ouverte au salarié au moment de son départ, dans les deux cas. Il en déduit que le salarié est fondé à solliciter le montant de l'indemnité légale de licenciement qui est plus avantageuse que l'indemnité conventionnelle de retraite.
17. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
18. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
19. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
20. La cassation du chef de la condamnation de la société au paiement d'un solde d'indemnité de départ à la retraite n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt disant n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et disant que chacune des parties conserve la charge de ses dépens de première instance et d'appel, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Towercast à payer à M. [F] la somme de 22 610,14 euros en deniers et quittances à titre d'indemnité de départ à la retraite, sous déduction de la somme déjà payée à ce titre par l'employeur, l'arrêt rendu le 7 décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déboute M. [F] de sa demande de condamnation de la société Towercast au paiement de la somme de 22 610,14 euros en deniers et quittances à titre d'indemnité de départ à la retraite, sous déduction de la somme déjà payée à ce titre par l'employeur ;
Condamne M. [F] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Towercast ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le six mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.