N° Y 23-83.626 F-D
N° 00575
SL2
7 MAI 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 MAI 2025
M. [G] [Y]-[O] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 9e chambre, en date du 9 mai 2023, qui, pour envoi par la voie des communications électroniques de messages malveillants, l'a condamné à huit mois d'emprisonnement, trois ans d'interdiction d'entrer en relation avec la victime et de paraître à son domicile, et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, ampliatif et personnel, et un mémoire en défense ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Laurent, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés et de la SCP Françoise Fabiani-François Pinatel, avocats de M. [G] [Y]-[O], les observations de Me Brouchot, avocat de Mme [W] [E], et les conclusions de M. Micolet, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 mars 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Laurent, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [G] [Y]-[O] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel sous la prévention d'appels téléphoniques et envoi de messages par la voie des communications électroniques, malveillants et réitérés, au préjudice de Mme [W] [E].
3. Par jugement du 22 juin 2022, ce tribunal l'a déclaré coupable, condamné à six mois d'emprisonnement, dont trois mois avec sursis probatoire, et a prononcé sur les intérêts civils.
4. La partie civile, le prévenu et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen de la recevabilité des mémoires personnels de M. [Y]-[O] et Mme [E]
5. Le pourvoi ayant été formé le 11 mai 2023, le mémoire personnel de M. [Y]-[O], reçu le 23 octobre 2023, est irrecevable en application de l'article 585-1 du code de procédure pénale.
6. Le mémoire de Mme [E], défenderesse au pourvoi, n'est pas signé par un avocat à la Cour de cassation. Il est, dès lors, irrecevable par application de l'article 585 du code de procédure pénale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du mémoire proposé par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés
7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen du mémoire proposé par la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il n'a pas informé M. [Y]-[O] de son droit d'obtenir le renvoi de l'affaire à une formation collégiale de la chambre des appels correctionnels et l'a en conséquence déclaré coupable et condamné à la peine de huit mois d'emprisonnement, alors « que le prévenu doit être informé, au début de l'audience, du droit d'obtenir le renvoi de l'affaire à une formation collégiale de la chambre des appels correctionnels, lorsqu'il n'en a pas été avisé dans le formulaire de la déclaration d'appel ; qu'en statuant à juge unique sur l'appel formé par M. [Y]-[O], cependant que celui-ci n'avait pas été avisé dans le formulaire de la déclaration d'appel de son droit d'obtenir le renvoi de l'affaire à une formation collégiale et que cette information n'avait pu lui être délivrée au début de l'audience, dès lors qu'il n'était pas comparant du fait du rejet de sa demande de renvoi, ce dont il résulte une atteinte à ses intérêts, la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel a méconnu les articles 16 de la Déclaration de 1789, 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, préliminaire, 510, 592, 802 et D. 45-23 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
9. Il résulte de l'article 510 du code de procédure pénale que, lorsque le jugement attaqué a été rendu selon les modalités prévues au troisième alinéa de l'article 398 du même code, ce qui est le cas s'agissant des délits prévus par l'article 222-16 du code pénal, qui figurent dans l'énumération de l'article 398-1 du code de procédure pénale, la chambre des appels correctionnels est composée d'un seul magistrat exerçant les pouvoirs confiés au président de chambre, sauf si l'appelant demande expressément que l'affaire soit examinée par une formation collégiale.
10. L'article D. 45-23 du code de procédure pénale précise que le président de la chambre des appels correctionnels doit, en début d'audience, informer la partie appelante de son droit de demander le renvoi de l'affaire à une formation collégiale, lorsque celle-ci, comme en l'espèce, n'en a pas été informée par le formulaire de sa déclaration d'appel.
11. Cependant, le demandeur ne saurait se faire un grief de ce qu'il n'a pas reçu cette information, dès lors que, régulièrement cité devant la cour d'appel, il n'était ni comparant ni représenté à l'audience des débats et s'est donc mis dans l'impossibilité d'en être destinataire.
12. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen du mémoire proposé par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés et le deuxième moyen du mémoire proposé par la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel
Enoncé des moyens
13. Le premier de ces moyens critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [Y]-[O] coupable d'envois réitérés de messages malveillants au préjudice de Mme [E] du 8 septembre 2018 au 11 octobre 2018 et du 6 au 7 août 2021, l'a condamné à la peine de huit mois d'emprisonnement ferme et a prononcé sur les intérêts civils, alors :
« 1°/ que le délit prévu par l'article 222-16 du code pénal n'est caractérisé que si les messages réitérés ont présenté un caractère malveillant ; qu'en retenant que les mails envoyés par M. [Y]-[O] à Mme [E] avaient seulement pour objet les affaires judiciaires le concernant, la cour d'appel n'a pas caractérisé leur malveillance et ne pouvait dès lors sans violer les articles 222-16 du code pénal et 593 du code de procédure pénale, entrer en voie de condamnation ;
2°/ qu'en semblant déduire le caractère malveillant du nombre de mails envoyés, soit environ une cinquantaine, la cour d'appel a méconnu l'article précité qui impose de relever, d'une part, la réitération, d'autre part, la malveillance, l'une ne se déduisant pas de l'autre ;
3°/ que le délit prévu par l'article 222-16 du code pénal n'est caractérisé que si les messages réitérés ont présenté un caractère malveillant ce dont avait conscience leur auteur ; qu'en se bornant à déduire du nombre de mails envoyés, qui avaient seulement pour sujet les tribulations judiciaires de M. [Y] [O], la volonté de ce dernier de nuire à Mme [E], la cour d'appel n'a pas caractérisé l'intention délictueuse et a méconnu les articles 222-16 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »
14. Le second de ces moyens critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [Y]-[O] coupable d'envois réitérés de messages malveillants émis par la voie de communication électroniques au préjudice de Mme [E] commis du 8 septembre 2018 au 11 octobre 2018 et du 6 août 2021 au 7 août 2021 à [Localité 1] (Pas-de-Calais) et l'a en conséquence condamné à la peine de huit mois d'emprisonnement, alors « que le délit d'envois réitérés de messages malveillants par voie électronique n'est caractérisé que si les envois ont présenté un caractère malveillant ; qu'en déclarant M. [Y]-[O] coupable du délit d'envois réitérés de messages malveillants émis par la voie de communication électronique, aux motifs que le caractère malveillant des messages était démontré par le nombre de mails très important émis et ce indépendamment même de leur contenu (p. 7), sans caractériser en quoi ces messages caractérisaient la volonté du prévenu de nuire à Mme [E] et constituaient donc des messages malveillants, la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 222-16 et 121-3 du code pénal, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
15. Les moyens sont réunis.
Vu l'article 222-16 du code pénal :
16. Le délit prévu par ce texte n'est caractérisé que si les messages envoyés par la voie des communications électroniques ont été réitérés et ont présenté un caractère malveillant.
17. Pour déclarer le prévenu coupable d'envois réitérés de messages malveillants émis par la voie des communications électroniques, commis du 8 septembre au 11 octobre 2018 et du 6 au 7 août 2021, l'arrêt attaqué énonce, notamment, qu'indépendamment même de leur contenu, le nombre très important des courriels émis démontre leur caractère malveillant et la volonté du prévenu de nuire à leur destinataire.
18. En se déterminant ainsi, par des motifs qui n'établissent pas le caractère malveillant des messages envoyés, lequel ne pouvait se déduire de la seule réitération des envois, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
19. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
20. La cassation prononcée, sur le seul pourvoi du prévenu, n'affectera pas les dispositions de l'arrêt le relaxant partiellement, lesquelles lui resteront acquises.
21. Il n'y a pas lieu d'examiner les autres moyens de cassation proposés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Douai, en date du 9 mai 2023, en toutes ses dispositions, à l'exception de celles relaxant partiellement M. [Y]-[O], lesquelles sont expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Douai, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du sept mai deux mille vingt-cinq.