LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
FC
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 7 mai 2025
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 235 F-D
Pourvoi n° R 24-11.173
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 MAI 2025
1°/ Mme [E] [Z], veuve [M],
2°/ M. [K] [A] [O] [M],
3°/ M. [R] [J] [X] [M],
tous trois domiciliés [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° R 24-11.173 contre l'arrêt rendu le 16 novembre 2023 par la cour d'appel de Rouen (chambre de la proximité section paritaire), dans le litige les opposant à Mme [F] [B], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Bosse-Platière, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme [M] et de MM. [K] et [R] [M], de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de Mme [B], après débats en l'audience publique du 25 mars 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Bosse-Platière, conseiller rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 16 novembre 2023), par acte du 10 avril 1996, M. [P] [B] et Mme [V] [B], aux droits desquels est venue Mme [F] [B] (la bailleresse), ont donné à bail à ferme à [T] [M] et à Mme [E] [M] diverses parcelles que ces derniers ont mises à la disposition du groupement agricole d'exploitation en commun de la Croix Mahieu, devenu l'exploitation agricole à responsabilité limitée de la Croix Mahieu (l'EARL).
2. [T] [M] est décédé le 24 juin 2018 et ses fils, MM. [K] et [R] [M], sont désormais les seuls associés de l'EARL.
3. Le 23 mars 2021, la bailleresse a délivré à Mme [M] un congé partiel pour reprise aux fins d'exploitation personnelle à effet au 30 septembre 2022.
4. Le 25 juin 2021, Mme [M] et MM. [K] et [R] [M] (les consorts [M]) ont saisi un tribunal paritaire des baux ruraux en nullité du congé. La bailleresse a demandé, à titre reconventionnel, la résiliation du bail pour cession prohibée.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Les consorts [M] font grief à l'arrêt de prononcer la résiliation du bail, alors « que, en cas de pluralité de preneurs, le fait pour l'un d'entre eux seulement de ne pas disposer de la qualité d'associé de la société à objet principalement agricole au profit de laquelle les terres données à bail ont été mises à disposition ne caractérise pas une cession prohibée ; qu'en retenant, pour prononcer la résiliation du bail, que le fait pour Mme [M], copreneur, de s'être retirée de l'Earl de la Croix Mahieu, bénéficiaire de la mise à disposition des parcelles données à bail, à laquelle elle avait adhéré en qualité d'associée en décembre 2016, constituait une cession prohibée, après avoir constaté que les deux autres copreneurs, MM. [R] et [K] [M], étaient associés-exploitants de cette société, la cour d'appel a violé les articles L. 411-31, II, 1° et 3°, L. 411-35 et L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 411-31, II, 1° et 3°, L. 411-35 et L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime :
6. Selon le deuxième de ces textes, toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l'agrément du bailleur, au profit du conjoint ou du partenaire d'un pacte civil de solidarité du preneur participant à l'exploitation ou aux descendants du preneur.
7. Selon le dernier, le preneur associé d'une société à objet principalement agricole peut mettre à la disposition de celle-ci, pour une durée qui ne peut excéder celle pendant laquelle il reste titulaire du bail, tout ou partie des biens dont il est locataire, sans que cette opération puisse donner lieu à l'attribution de parts. Il doit, à peine de résiliation, continuer à se consacrer à l'exploitation du bien loué mis à disposition, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation.
8. Selon le premier, le bailleur peut demander la résiliation du bail s'il justifie soit d'une contravention aux dispositions de l'article L. 411-35, soit, si elle est de nature à porter préjudice au bailleur, d'une contravention aux obligations dont le preneur est tenu en application de l'article L. 411-37.
9. Il est jugé que le preneur ou, en cas de cotitularité, l'un ou les copreneurs, qui mettent les biens loués à la disposition d'une société dont ils ne sont pas associés mais qui continuent à se consacrer à l'exploitation de ceux-ci, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, n'abandonnent pas la jouissance du bien loué à cette société et ne procèdent donc pas à une cession prohibée du bail. Il en résulte que, dans ce cas, le bailleur ne peut solliciter la résiliation du bail que sur le fondement de l'article L. 411-31, II, 3°, du code rural et de la pêche maritime et est donc tenu de démontrer que le manquement est de nature à lui porter préjudice (3e Civ., 26 septembre 2024, pourvoi n° 23-12.967, publié).
10. Pour prononcer la résiliation du bail, l'arrêt retient, d'une part, que, si MM. [R] et [K] [M] sont copreneurs avec leur mère, Mme [M], à la suite du décès de leur père, dès lors qu'ils justifient des conditions de poursuite du bail posées par l'article L. 411-34 du code rural et de la pêche maritime, les terres sont mises à disposition d'une EARL, dont aucun des deux copreneurs originels n'était associé au jour de la saisine du tribunal paritaire des baux ruraux, [T] [M] étant décédé en 2018 et Mme [M] ne contestant pas s'être retirée de la société agricole, à laquelle elle avait initialement adhéré en qualité d'associée, d'autre part, que ces faits sont constitutifs d'une cession prohibée.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen autrement composée ;
Condamne Mme [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [B] et la condamne à payer à Mme [M] et MM. [K] et [R] [M] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le sept mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.