LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
CL
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 7 mai 2025
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 242 F-D
Pourvoi n° G 23-50.032
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 MAI 2025
M. [N] [H], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 23-50.032 contre l'arrêt rendu le 10 octobre 2023 par la cour d'appel de Caen (première chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [F] [M],
2°/ à Mme [R] [I],épouse [M],
tous deux domiciliés [Adresse 5],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Baraké, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boullez, avocat de M. [H], de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. et Mme [M], après débats en l'audience publique du 25 mars 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Baraké, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 10 octobre 2023), M. [H] est propriétaire de deux près-marais qui, à la suite d'un remembrement ordonné par arrêté préfectoral du 18 avril 1989, constituent la parcelle cadastrée section ZI n° [Cadastre 3].
2. M. et Mme [M] sont propriétaires de parcelles cadastrées section ZI n° [Cadastre 2] et [Cadastre 4], qui correspondaient à deux mares séparées par une digue, leur titre d'acquisition du 7 avril 2010 mentionnant que leur parcelle ZI n° [Cadastre 2] est grevée d'une servitude de passage au profit, notamment, de la parcelle cadastrée section ZI n° [Cadastre 3].
3. Le 10 août 2010, le préfet de la Manche a déclaré ne pas s'opposer à la demande de M. et Mme [M] de réunir leurs deux plans d'eau, et ces derniers ont réalisé des travaux supprimant la digue et créant un nouveau passage empierré, sur leur parcelle cadastrée section ZI n° [Cadastre 4], pour accéder à la parcelle cadastrée section ZI n° [Cadastre 3].
4. M. [H] les a assignés en rétablissement de l'assiette et du mode de servitude antérieur.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. M. [H] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de rétablissement de l'assiette de la servitude de passage bénéficiant à son fonds, alors « que la modification de l'assiette de la servitude par application de l'article 701, alinéa 3, du code civil doit être préalablement autorisée par le juge, qui doit être saisi par le propriétaire du fonds servant d'une demande en ce sens ; qu'il s'ensuit que le propriétaire du fonds servant doit être condamné à rétablir les lieux en l'état lorsqu'il s'est fait justice à lui-même, en déplaçant de sa propre initiative l'assiette de la servitude de passage, sans avoir obtenu au préalable l'autorisation du juge, quand bien même les deux conditions de fond posées par l'article 701, alinéa 3 du code civil pour la modification de la servitude seraient réunies ; qu'en validant a posteriori la modification par M. et Mme [M] de l'assiette de la servitude de passage grevant leur fonds au profit de celui de M. [H], à défaut d'accord de sa part, sans avoir préalablement obtenu l'autorisation du juge, la cour d'appel a violé l'article 701, alinéa 3, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 701, alinéa 3, du code civil :
6. Selon ce texte, si l'assignation primitive de la servitude devient plus onéreuse au propriétaire du fonds assujetti, ou si elle l'empêche d'y faire des réparations avantageuses, le propriétaire du fonds assujetti peut offrir au propriétaire de l'autre fonds un endroit aussi commode pour l'exercice de ses droits, et celui-ci ne peut pas le refuser.
7. Il est jugé que ces dispositions, de portée générale, n'exigent pas un accord du propriétaire du fonds dominant, la modification pouvant être autorisée par un juge (3e Civ., 18 mars 1987, pourvoi n° 85-16.-69, Bull. n° 57), mais que le propriétaire d'un fonds servant, qui modifie l'assiette primitive d'une servitude, sans l'accord préalable du propriétaire du fonds dominant ou autorisation judiciaire, ne peut invoquer l'article 701 du code civil (3e Civ., 8 juillet 2009, pourvoi n° 08-15.763, Bull. n° 177), à moins qu'il n'ait préalablement rétabli l'assiette d'origine de la servitude de passage (3e Civ., 18 janvier 2023, pourvoi n° 22-10.700, publié).
8. Pour rejeter les demandes de M. [H], l'arrêt retient que les dispositions de l'article 701, alinéa 3, du code civil permettent la modification de l'assiette d'une servitude, sans que soit exigé un accord entre les propriétaires concernés, dès lors que les conditions posées par ce texte sont réunies, comme en l'espèce, l'ancienne assiette de la servitude litigieuse empêchant M. et Mme [M] de faire des réparations avantageuses, et le nouveau passage présentant une commodité équivalente au précédent.
9. En statuant ainsi, sans constater un accord donné par le propriétaire du fonds dominant ou une autorisation judiciaire pour effectuer les travaux de déplacement de l'assiette de la servitude de passage dont elle reconnaissait l'existence, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare sans objet l'appel incident de M. et Mme [M], l'arrêt rendu le 10 octobre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;
Condamne M. et Mme [M] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [M] et les condamne à payer à M. [H] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le sept mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.