N° J 24-82.582 FS-B
N° 00515
SB4
13 MAI 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 MAI 2025
M. [L] [O], Mmes [E] [N], [M] [N], [F] [I], épouse [O], [K] [O], parties civiles, la société [2], partie intervenante, et M. [J] [G], ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry, chambre correctionnelle, en date du 21 février 2024, qui, dans la procédure suivie contre le dernier des chefs de blessures et homicide involontaire, aggravés, a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de Mme Hairon, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société [2], les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat M. [L] [O], Mmes [E] [N], [M] [N], [F] [I], épouse [O], [K] [O], les observations de la SCP Poulet-Odent, avocat de la [1], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 mars 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Hairon, conseiller rapporteur, MM. Sottet, Coirre, Busché, Mme Carbonaro, conseillers de la chambre, MM. Joly, Leblanc, Charmoillaux, Rouvière, conseillers référendaires, M. Quintard, avocat général, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. [H] [O] est décédé dans un accident de la circulation provoqué par M. [J] [G] qui a été condamné, notamment, du chef d'homicide involontaire aggravé par conducteur de véhicule terrestre à moteur et reconnu responsable du préjudice des parties civiles, reçues en leur constitution.
3. Par une décision ultérieure, le tribunal, statuant sur les actions civiles, a fixé les créances indemnitaires des parties civiles et déclaré recevable le recours subrogatoire du centre hospitalier métropole Savoie, employeur de Mme [E] [N], mère du défunt.
4. Les parties civiles et la société [2], assureur de M. [G], ont relevé appel de cette décision.
5. La [1], agissant en qualité de gérante de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales à laquelle est affiliée Mme [N], tiers payeur, est intervenue à la procédure devant la cour d'appel.
Déchéance du pourvoi formé par M. [J] [G]
6. M. [G] n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de le déclarer déchu de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.
Examen du pourvoi formé par M. [L] [O], Mme [M] [N] et Mmes [K] et [F] [O]
7. Par courrier reçu le 15 juillet 2024, la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, a fait connaître la volonté de M. [L] [O], Mme [M] [N] et Mmes [K] et [F] [O] de se désister de leur pourvoi formé contre l'arrêt susvisé.
8. Le désistement est régulier en la forme.
Examen des pourvois formés par Mme [E] [N] et la société [2]
Sur le premier moyen proposé pour la société [2] et le second moyen proposé pour Mme [N]
9. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur les deuxième et troisième moyens proposés pour la société [2]
Enoncé des moyens
10. Le deuxième moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevable le recours subrogatoire du centre hospitalier métropole Savoie, d'avoir infirmé le jugement en ce qu'il avait fixé la créance du centre hospitalier métropole Savoie à la somme globale de 100 841,73 euros, condamné M. [G] à payer au centre hospitalier métropole Savoie la somme de 100 841,73 euros en indemnisation des pertes subies consécutivement à l'accident survenu le 17 juillet 2016, et, statuant à nouveau, d'avoir condamné M. [G] à verser au centre hospitalier métropole Savoie, en réparation de ses préjudices, les sommes de 86 824,02 euros en remboursement du traitement brut de Mme [N] maintenu entre le 21 juillet 2016 et le 30 juin 2021, de 45 572,66 euros en remboursement des charges patronales versées entre le 21 juillet 2016 et le 30 juin 2021, et de 560 euros au titre des frais d'expertise, d'avoir dit qu'il y avait lieu de déduire de l'indemnisation allouée au centre hospitalier métropole Savoie au titre des maintiens des salaires et versements des charges patronales, la somme de 50 420,86 euros déjà versée par la société [2] au titre de l'exécution provisoire prononcée par jugement sur intérêts civils du tribunal d'Annecy du 20 septembre 2021, et d'avoir dit qu'il y avait lieu de déduire de l'indemnisation allouée au centre hospitalier métropole Savoie au titre des frais d'expertise, la somme de 500 euros déjà versée par la société [2] au titre de l'exécution provisoire prononcée par jugement sur intérêts civils du tribunal judiciaire d'Annecy du 20 septembre 2021, alors :
« 1°/ que devant les juridictions répressives, toute intervention volontaire ou
forcée doit avoir lieu avant la clôture des débats sur l'action publique ; qu'en jugeant recevable l'intervention volontaire du Centre hospitalier métropole Savoie, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que sa mise en cause était « intervenue postérieurement aux réquisitions du ministère public » (arrêt, p. 9, § 6), les pièces de la procédure établissant qu'il n'était partie ni au jugement du 8 septembre 2017 par lequel le tribunal correctionnel d'Annecy avait définitivement statué sur l'action publique, ni même à l'arrêt rendu le 21 novembre 2018 par la cour d'appel de Chambéry sur intérêts civils, et qu'il n'était intervenu à l'instance que lors de la procédure sur intérêts civils ayant donné lieu au jugement rendu le 20 septembre 2021 par le tribunal correctionnel d'Annecy, de sorte que son intervention, tardive, n'était pas recevable, la cour d'appel a violé l'article 3 du code de procédure pénale ;
2°/ que devant les juridictions répressives, toute intervention volontaire ou forcée doit avoir lieu avant la clôture des débats sur l'action publique ; qu'en jugeant, pour déclarer recevable l'intervention volontaire du Centre hospitalier métropole Savoie, que l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale prévoirait que « dans le cadre d'une procédure pénale, la déclaration en jugement commun ou l'intervention des caisses de sécurité sociale peut intervenir après les réquisitions du ministère public, dès lors que l'assuré s'est constitué partie civile et qu'il n'a pas été statué sur le fond de ses demandes », cependant que le Centre hospitalier métropole Savoie n'est pas une caisse de sécurité sociale, mais l'employeur de la victime, ce texte lui étant dès lors inapplicable, la cour d'appel a violé les articles 3 du code de procédure pénale et L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
3°/ qu'en toute hypothèse, la décision du juge pénal statuant sur intérêts civils est revêtue de l'autorité de la chose jugée dans les conditions prévues à l'article 1355 du code civil ; qu'en jugeant, pour admettre le recours subrogatoire du Centre hospitalier métropole Savoie, que Mme [N] avait été victime d'une « dépression réactionnelle majeure » l'ayant conduite à cesser définitivement toute activité professionnelle (arrêt, p. 15 à 17), cependant qu'il résultait de ses propres constatations que « l'existence d'un deuil pathologique a été rejetée par une décision de justice ayant autorité de la chose jugée, s'agissant de l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry du 21 novembre 2018 » (arrêt, p. 17, § 6), de sorte que ni Mme [N], ni son employeur subrogé dans ses droits, ne pouvaient prétendre être indemnisés
des conséquences patrimoniales d'un deuil pathologique qui avait été définitivement écarté par une précédente décision, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble le principe de l'autorité de la chose jugée ;
4°/ qu'en toute hypothèse, le droit de la victime à obtenir l'indemnisation de
son préjudice corporel peut être réduit lorsque celui-ci a été facilité dans sa survenance ou aggravé dans ses effets par une prédisposition pathologique dont les effets néfastes s'étaient déjà révélés avant la survenance du fait dommageable ; qu'en indemnisant l'intégralité du préjudice invoqué par Mme [N] et son employeur subrogé dans ses droits, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que la partie civile présentait « un état de fragilité antérieur matérialisé par des souffrances psychologiques pendant l'enfance » (arrêt, p. 15, § 3), de sorte que les prédispositions pathologiques dont Mme [N] était atteinte n'étaient pas latentes, mais patentes, pour avoir d'ores et déjà développé par le passé des effets néfastes, et devaient dès lors être prises en compte pour apprécier le lien de causalité entre l'infraction et le dommage, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit. »
11. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré recevable le recours subrogatoire de la [1], a condamné M. [G] à lui verser, au titre du paiement des pensions échues et à échoir, la somme de 175 739,26 euros et a dit que le recours subrogatoire de la [1] pour ces prestations s'exercerait sur le poste « perte de revenus entre le 1er juillet 2021 et le 11 juin 2039 de [E] [N] », alors :
« 1°/ que la règle du double degré de juridiction interdit à celui qui n'était pas partie en première instance d'intervenir en appel ; qu'en jugeant recevable l'intervention volontaire en cause d'appel de la [1], qui n'était pas partie aux deux décisions de première instance ayant successivement statué sur l'action publique et sur l'action civile, la cour d'appel a violé les articles 3, 421 et 515 du code de procédure pénale ;
2°/ que la règle du double degré de juridiction interdit à celui qui n'était pas partie en première instance d'intervenir en appel ; qu'en jugeant que les dispositions de l'article 554 du code de procédure civile autorisaient la [1] à intervenir pour la première fois devant elle, cependant que ce texte n'est pas applicable devant les juridictions répressives, la cour d'appel l'a violé, ensemble les articles 3, 421 et 515 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
12.Les moyens sont réunis.
Vu les articles 421 du code de procédure pénale, 1er et 2 de l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 :
13. Il résulte du premier de ces textes, selon lequel la déclaration de partie civile, à l'audience, doit, à peine d'irrecevabilité, être faite avant les réquisitions du ministère public sur le fond, et qui est applicable à la [1] et aux collectivités publiques exerçant les actions subrogatoires prévues par les deuxième et troisième, que ces personnes publiques ne sont pas recevables à intervenir après la clôture des débats sur l'action publique.
14. L'arrêt attaqué, qui a reçu l'intervention du centre hospitalier métropole Savoie et de la [1] et a condamné M. [G] à leur verser diverses sommes, cependant que ces deux personnes morales sont intervenues, l'une après le jugement statuant sur la culpabilité, l'autre en cause d'appel, a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé pour les motifs qui suivent.
15. En premier lieu, ces tiers payeurs, qui ne sont pas des caisses de sécurité sociale au sens de l'article L. 376-1, alinéa 8, du code de la sécurité sociale, ne bénéficient pas de la dérogation prévue par ce texte, et ne sauraient avoir plus de droits que le subrogeant.
16. En second lieu, les articles 554 et 559 du code de procédure civile ne sont pas applicables devant la juridiction pénale.
17. La cassation est par conséquent encourue, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.
Portée et conséquences de la cassation
18. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions ayant déclaré recevables les recours subrogatoires du centre hospitalier métropole Savoie et de la [1] et statué sur les postes de préjudices sur lesquels ont été imputés des prestations versées par ces tiers payeurs.
19. En raison de la cassation prononcée, il n'y a pas lieu d'examiner le premier moyen proposé pour Mme [N].
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur le pourvoi formé par M. [G] :
CONSTATE la déchéance du pourvoi ;
Sur le pourvoi formé par M. [L] [O], Mme [M] [N] et Mmes [K] et [F] [O] :
DONNE ACTE à M. [L] [O], Mme [M] [N] et Mmes [K] et [F] [O] de leur désistement ;
DIT n'y avoir lieu à statuer sur leur pourvoi ;
Sur les pourvois formés par la société [2] et Mme [N] :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Chambéry, en date du 21 février 2024, mais en ses seules dispositions ayant déclaré recevables les recours subrogatoires du Centre hospitalier métropole Savoie et de la [1] et statué sur les postes de préjudices sur lesquels ont été imputées des prestations versées par ces tiers payeurs ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Grenoble, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Chambéry et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du treize mai deux mille vingt-cinq.