COMM.
MB
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 14 mai 2025
Cassation partielle
M. MOLLARD, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 266 F-B
Pourvoi n° Y 23-21.296
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 MAI 2025
1°/ La société G7 Investissement, société par actions simplifiée,
2°/ la société G7 Tractions, société par actions simplifiée, anciennement dénommée G7 Bresse,
3°/ la société G7 Savoie, société par actions simplifiée,
toutes trois ayant leur siège [Adresse 5],
4°/ la société G7 Bourgogne, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],
5°/ la société MJ Synergie, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], en la personne de M. [I] et de M. [W], agissant en qualité de liquidateur de la société G7 Tractions, anciennement dénommée G7 Bresse,
6°/ la société AJ partenaires, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [U], agissant en qualité de commissiare à l'exécution du plan de la société G7 Investissement et de la société G7 Bourgogne,
7°/ M. [C] [G], domicilié [Adresse 4], agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société G7 Investissement et de la société G7 Bourgogne,
ont formé le pourvoi n° Y 23-21.296 contre l'arrêt rendu le 26 janvier 2023 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Groupe Rousselet, société par actions simplifiée,
2°/ à la société G7, société anonyme,
toutes deux ayant leur siège [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
Les sociétés Groupe Rousselet et G7 ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, quatre moyens de cassation.
Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bessaud, conseiller référendaire, les observations de la SAS Hannotin Avocats, avocat des sociétés G7 Investissement, G7 Tractions, G7 Savoie, G7 Bourgogne, MJ Synergie, ès qualités, AJ partenaires, ès qualités, et de M. [G], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés Groupe Rousselet et G7, après débats en l'audience publique du 18 mars 2025 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bessaud, conseiller référendaire rapporteur, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, et Mme Sezer, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 26 janvier 2023), la société Groupe Rousselet, anciennement dénommée G7, est titulaire des marques françaises suivantes :
– la marque verbale « G-7 » n° 1 573 624 (la marque n° 624), enregistrée le 30 avril 1965, désignant notamment, en classe 39, les services de « transport » ;
– la marque verbale « G7 » n° 95 584 381 (la marque n° 381), enregistrée le 10 août 1995, désignant notamment, en classe 39, les services de « transports de voyageurs ».
2. La société G7, filiale de la société Groupe Rousselet, bénéficie d'une licence non exclusive pour tout le territoire français de la marque n° 381.
3. Les sociétés G7 Savoie, G7 Bourgogne et G7 Tractions, anciennement dénommée G7 Bresse, respectivement dénommées jusqu'en 2014 Transports Guebey, N7 Froid et Transports frigorifiques Guebey, sont spécialisées dans le transport frigorifique de marchandises.
4. Elles ont adopté en 2014 la dénomination « G7 » et ont créé la société G7 investissement, qui exerce une activité de holding.
5. Le groupe Rousselet a assigné les sociétés G7 investissement, G7 Savoie, G7 Bourgogne et G7 Bresse en contrefaçon de marques et concurrence déloyale et parasitaire. La société G7 est intervenue volontairement à l'instance.
6. Les sociétés G7 investissement et G7 Bourgogne ont été mises en redressement judiciaire et sont représentées par la société AJ Partenaires, prise en la personne de M. [U], et M. [G], en qualité d'administrateurs.
7. La société G7 Tractions, anciennement G7 Bresse, a été mise en redressement puis en liquidation judiciaire. La société AJ Partenaires, représentée par M. [U], a été désignée en qualité d'administrateur et la société MJ Synergie, représentée par MM. [I] et [W], a été désignée en qualité de liquidateur.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
9. Les sociétés G7 investissement, G7 Tractions, G7 Savoie et G7 Bourgogne font grief à l'arrêt de rejeter leur demande en déchéance des marques n° 381 et n° 624 pour désigner respectivement les services de « transports de voyageurs » et de « transport », alors « qu'encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour chacun des produits et services visés dans l'enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans ; que si une marque a été enregistrée pour une catégorie de produits ou de services suffisamment large pour que puissent être distinguées, en son sein, plusieurs sous-catégories susceptibles d'être envisagées de manière autonome, la preuve de l'usage sérieux de la marque pour une partie de ces produits ou services n'emporte protection que pour la ou les sous-catégories dont relèvent les produits ou services pour lesquels la marque a été effectivement utilisée ; qu'en rejetant la demande en déchéance formée par les sociétés exposantes, sans constater, comme le lui avaient pourtant demandé ces sociétés, un usage sérieux de la marque G7" pour chacune des sous-catégories de services de la classe 39 relevant du transport, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 :
10. En vertu de ce texte, encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l'enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans. La déchéance peut être demandée en justice par toute personne intéressée. Si la demande ne porte que sur une partie des produits ou des services visés dans l'enregistrement, la déchéance ne s'étend qu'aux produits ou aux services concernés.
11. Ce texte doit être lu à la lumière des articles 12 et 13 de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, dont il assure la transposition en droit français.
12. Dans son arrêt du 22 octobre 2020, Ferrari, C-720/18 et C-721/18, la Cour de justice de l'Union européenne a interprété ces articles comme suit :
« 37 S'agissant de la notion de partie des produits ou services" visée à l'article 13 de la directive 2008/95, il y a lieu de relever que le consommateur désireux d'acquérir un produit ou un service relevant d'une catégorie de produits ou de services ayant été définie de façon particulièrement précise et circonscrite, mais à l'intérieur de laquelle il n'est pas possible d'opérer des divisions significatives, associera à une marque enregistrée pour cette catégorie de produits ou de services l'ensemble des produits ou des services appartenant à celle-ci, de telle sorte que cette marque remplira sa fonction essentielle de garantir l'origine pour ces produits ou ces services. Dans ces circonstances, il est suffisant d'exiger du titulaire d'une telle marque d'apporter la preuve de l'usage sérieux de sa marque pour une partie des produits ou des services relevant de cette catégorie homogène (voir, par analogie, arrêt du 16 juillet 2020, ACTC/EUIPO, C-714/18 P, [...] point 42).
38 En revanche, en ce qui concerne des produits ou des services rassemblés au sein d'une catégorie large, susceptible d'être subdivisée en plusieurs sous-catégories autonomes, il est nécessaire d'exiger du titulaire d'une marque enregistrée pour cette catégorie de produits ou de services d'apporter la preuve de l'usage sérieux de sa marque pour chacune de ces sous-catégories autonomes, à défaut de quoi il sera susceptible d'être déchu de ses droits à la marque pour les sous-catégories autonomes pour lesquelles il n'a pas apporté une telle preuve (voir, par analogie, arrêt du 16 juillet 2020, ACTC/EUIPO, C-714/18 P, [...] point 43).
39 En effet, si le titulaire d'une marque a enregistré sa marque pour une large gamme de produits ou de services qu'il pourrait éventuellement commercialiser, mais qu'il ne l'a pas fait pendant une période ininterrompue de cinq ans, son intérêt à bénéficier de la protection de sa marque pour ces produits ou services ne saurait prévaloir sur l'intérêt des concurrents à utiliser un signe identique ou similaire pour lesdits produits ou services, voire de demander l'enregistrement de ce signe en tant que marque (voir, par analogie, arrêt du 16 juillet 2020, ACTC/EUIPO, C-714/18 P, [...] point 43). »
13. La Cour de justice a encore énoncé qu' « [e]n ce qui concerne le critère pertinent ou les critères pertinents à appliquer aux fins de l'identification d'une sous-catégorie cohérente de produits ou de services susceptible d'être envisagée de manière autonome, le critère de la finalité et de la destination des produits ou des services en cause constitue le critère essentiel aux fins de la définition d'une sous-catégorie autonome de produits » et qu' « [i]l importe, dès lors, d'apprécier de manière concrète, principalement au regard des produits ou des services pour lesquels le titulaire d'une marque a apporté la preuve de l'usage de sa marque, si ceux-ci constituent une sous-catégorie autonome par rapport aux produits et aux services relevant de la classe de produits ou de services concernée, de manière à mettre en relation les produits ou les services pour lesquels l'usage sérieux de la marque a été prouvé avec la catégorie des produits ou des services couverts par l'enregistrement de cette marque » (CJUE, arrêt Ferrari, précité, points 40 et 41).
14. Lorsque le demandeur à la déchéance soutient que la catégorie de produits ou de services pour laquelle la marque a été enregistrée se subdivise en sous-catégories et invoque un défaut d'usage sérieux pour certaines de ces sous-catégories, le juge doit rechercher si la catégorie visée à l'enregistrement de la marque peut être divisée, de manière objective et non arbitraire, en sous-catégories autonomes et cohérentes, et ce, même en l'absence d'identification de telles sous-catégories par le titulaire de la marque lors de l'enregistrement de celle-ci ou au cours de l'instance en déchéance.
15. Aux fins de cette appréciation, le juge doit prendre en compte le critère essentiel de finalité ou de destination des produits ou services, sans être tenu de se limiter aux indications de produits et de services figurant explicitement dans la classification de Nice, qui ne sont qu'un simple indice de l'existence de sous-catégories autonomes.
16. Pour rejeter la demande en déchéance des droits sur la marque n° 624 pour les services de transport et sur la marque n° 381 pour les services de transport de voyageurs, l'arrêt retient la preuve d'un usage sérieux de ces marques pour ces services.
17. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les preuves d'usage qu'elle retenait, qui ne concernaient que le seul service de taxis, ne se rapportaient pas à une sous-catégorie autonome moins large que les catégories de « transports » et « transports de voyageurs », de sorte que cet usage ne pouvait justifier le rejet de la demande de déchéance pour la totalité des services relevant de ces catégories, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
18. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif rejetant la demande de déchéance des marques n° 381 et n° 624 emporte par voie de conséquence la cassation des chefs de dispositif disant que les sociétés G7 investissement, G7 Tractions, G7 Savoie et G7 Bourgogne ont commis des actes de contrefaçon de ces marques, leur faisant interdiction sous astreinte de poursuivre quelque usage que ce soit du signe G7, et les condamnant ou fixant à leur passif des sommes à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique des sociétés Groupe Rousselet et G7, dès lors que la cour d'appel s'est fondée, pour retenir l'existence d'actes de contrefaçon, sur la similarité des services « transport » et « transport de voyageurs », pour lesquels lesdites marques ont été enregistrées, d'une part, avec les services « transport de marchandises », d'autre part.
19. En application du même article, la cassation du chef de dispositif qui retient l'existence d'actes de contrefaçon et condamne leur auteur à des dommages et intérêts entraîne, par voie de conséquence, la cassation des chefs de dispositif de cet arrêt retenant des actes de concurrence déloyale, condamnant la société G7 Savoie à verser aux sociétés Groupe Rousselet et G7 la somme de 10.000 euros et fixant au passif des sociétés G7 Traction, G7 Investissement, G7 Bourgogne la somme de 10.000 euros au profit des sociétés Groupe Rousselet et G7 en réparation du préjudice subi au titre de la concurrence déloyale. En effet, dès lors que l'action en concurrence déloyale doit être fondée sur des actes distincts de ceux sanctionnés au titre de la contrefaçon, la nouvelle appréciation portée sur la demande en contrefaçon supposera une nouvelle appréciation sur l'existence de faits distincts sanctionnés par l'arrêt au titre de la concurrence déloyale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes au titre de la marque de renommée et du parasitisme et en ce qu'il déboute les parties de leurs autres demandes, l'arrêt rendu le 26 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne la société Groupe Rousselet et la société G7 aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Groupe Rousselet et la société G7 et les condamne à payer in solidum aux sociétés G7 investissement et G7 Bourgogne, représentées par la société AJ Partenaires, prise en la personne de M. [U], et M. [G], en leur qualité d'administrateurs judiciaires de ces sociétés, à la société MJ Synergie, représentée par MM. [I] et [W], en sa qualité de liquidateur de la société G7 Tractions, et à la société G7 Savoie la somme de 1 000 euros à chacune ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé publiquement le quatorze mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par le président, le conseiller référendaire rapporteur et Mme Sara greffier présente lors de la mise à disposition.