CIV. 2
CH10
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 22 mai 2025
Cassation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 484 F-B
Pourvoi n° Z 22-15.566
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 22 MAI 2025
M. [Z] [X] [Y], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 22-15.566 contre l'arrêt rendu le 3 mars 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 10), dans le litige l'opposant à M. [L] [B], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur les rapports de M. Cardini, conseiller référendaire et de M. Calloch, conseiller de la chambre commerciale, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [X] [Y], de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [B], et les avis de MM. de Monteynard et Adida-Canac, avocats généraux, après débats en l'audience publique du 2 avril 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Calloch, conseiller rapporteur, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 mars 2022), à la suite d'un protocole transactionnel conclu entre M. [X] [Y] et M. [B], le premier a remis au second un chèque, daté du 29 mars 2019, d'un certain montant.
2. M. [X] [Y] a formé opposition au chèque pour perte, mais ce dernier a été porté à l'encaissement en décembre 2019. Par une ordonnance de référé du 23 juin 2020, confirmée par un arrêt du 7 janvier 2021, la mainlevée de l'opposition a été ordonnée.
3. Le chèque étant revenu impayé, la banque tirée a émis un certificat de non-paiement en date du 7 octobre 2020, signifié le 8 octobre 2020 à M. [X] [Y].
4. Le 26 octobre 2020, un huissier de justice a dressé un titre exécutoire qui a été signifié le jour même à M. [X] [Y].
5. Le 27 octobre 2020, M. [B] a fait pratiquer, sur le fondement de ce titre, une saisie-attribution au préjudice de M. [X] [Y] qui a saisi un juge de l'exécution d'une contestation.
6. Par un jugement du 6 avril 2021, dont M. [B] a interjeté appel, le juge de l'exécution a prononcé la nullité du chèque, du titre exécutoire émis le 26 octobre 2020 et du procès-verbal de saisie-attribution et a ordonné la mainlevée.
7. Par un arrêt du 3 mars 2022, une cour d'appel a infirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, débouté M. [X] [Y] de ses prétentions.
8. Ce dernier a formé un pourvoi contre cet arrêt.
9. Par un arrêt du 28 mars 2024 (2e civ., 28 mars 2024, pourvoi n° 22-15.566), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a renvoyé l'affaire, en application de l'article 1015-1 du code de procédure civile, à la chambre commerciale pour avis sur les questions suivantes :
1/ Le tireur d'un chèque peut-il, pour contester une mesure d'exécution forcée pratiquée à son encontre, par le bénéficiaire du chèque impayé, en recouvrement des sommes dues en vertu du titre exécutoire délivré en application de l'article L. 131-73 du code monétaire et financier, soulever, devant le juge de l'exécution, une exception tirée de ce que le chèque est dépourvu de cause ?
2/ En l'état de sa compétence exclusive consacrée à l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, le juge de l'exécution peut-il connaître d'une telle contestation ?
10. La chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu son avis le 20 novembre 2024.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
11. M. [X] [Y] fait grief à l'arrêt de le débouter de toutes ses demandes tendant à l'annulation du chèque litigieux, du titre exécutoire émis le 26 octobre 2020 par l'huissier de justice et du procès-verbal de saisie-attribution dressé le 27 octobre 2020, alors « que le juge de l'exécution connaît des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit ; qu'en retenant, pour rejeter les contestations formées par M. [X] [Y] à l'encontre du titre exécutoire émis le 26 octobre 2020 par l'huissier de justice, servant de fondement aux poursuites, que le juge de l'exécution n'a pas le pouvoir de le remettre en cause, « bien qu'il ne s'agisse pas ici d'une décision de justice », quand il relève au contraire de ses pouvoirs de se prononcer sur la validité des droits et obligations consacrés par ledit titre exécutoire, émis par un huissier de justice en application de l'article L. 131-73 du code monétaire et financier, dès lors que ce titre n'est pas une décision de justice, la cour d'appel a violé l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 131-25 et L. 131-73 du code monétaire et financier, l'article L. 111-3, 5°, du code des procédures civiles d'exécution et l'article L. 213-6, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire :
12. Aux termes du premier de ces textes, les personnes actionnées en vertu du chèque ne peuvent pas opposer au porteur les exceptions fondées sur leurs rapports personnels avec le tireur ou avec les porteurs antérieurs, à moins que le porteur, en acquérant le chèque, n'ait agi sciemment au détriment du débiteur.
13. Selon le deuxième, le banquier tiré peut, après avoir informé par tout moyen approprié mis à disposition par lui le titulaire du compte des conséquences du défaut de provision, refuser le paiement d'un chèque pour défaut de provision suffisante. Un certificat de non-paiement est délivré à la demande du porteur, au terme d'un délai de trente jours, à compter de la première présentation d'un chèque impayé dans le cas où celui-ci n'a pas été payé lors de sa seconde présentation ou si une provision n'a pas été constituée, pour en permettre le paiement dans ce même délai. Ce certificat est délivré par le tiré lorsque au-delà du délai de trente jours une nouvelle présentation s'avère infructueuse. La notification effective ou, à défaut, la signification du certificat de non-paiement au tireur par ministère d'huissier vaut commandement de payer. L'huissier de justice qui n'a pas reçu justification du paiement du montant du chèque et des frais dans un délai de quinze jours à compter de la réception de la notification ou de la signification délivre, sans autre acte de procédure ni frais, un titre exécutoire.
14. Selon le troisième, constitue un titre exécutoire le titre délivré par l'huissier de justice en cas de non-paiement d'un chèque.
15. Il ressort de l'avis de la chambre commerciale les éléments suivants :
16. « Le principe d'inopposabilité des exceptions énoncé à l'article L. 131-25 du code monétaire et financier ne s'applique pas dans les rapports entre le tireur et la personne à qui ce dernier a remis le chèque en qualité de bénéficiaire.
17. Le titre exécutoire délivré après établissement par le tiré d'un certificat de non paiement n'est pas une décision de justice. Ce titre ne fait que certifier l'absence de provision du chèque.
18. Il en résulte que le tireur, qui conteste les mesures d'exécution forcée pratiquées par le bénéficiaire sur le fondement de ce titre, peut opposer à ce dernier les exceptions nées du rapport fondamental qui les lie et, partant, l'absence de cause du chèque. »
19. La chambre commerciale est d'avis :
1°/ que le tireur d'un chèque impayé peut, pour contester une mesure d'exécution forcée pratiquée à son encontre, par la personne à qui ce dernier a remis le chèque en qualité de bénéficiaire, en recouvrement des sommes dues en vertu du titre exécutoire délivré en application de l'article L. 131-73 du code monétaire et financier, soulever une exception tirée de l'absence de cause de ce chèque.
2°/ que l'article L. 131-73 du code monétaire et financier ne déroge pas à l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire.
20. Il en résulte que le juge de l'exécution a le pouvoir de trancher une contestation portant sur la validité du titre exécutoire délivré en application de l'article L. 131-73 du code monétaire et financier.
21. Pour débouter M. [X] [Y] de ses prétentions, l'arrêt retient, après avoir relevé que la banque tirée a émis un certificat de non-paiement et que l'huissier de justice a établi un titre exécutoire, que le juge de l'exécution n'a pas le pouvoir de remettre en cause ce titre exécutoire qui sert de fondement aux poursuites, bien qu'il ne s'agisse pas ici d'une décision de justice. Il en déduit qu'il ne peut pas accueillir la contestation portant sur la régularité du chèque, ou sur l'existence de la dette qu'il est censée régler et que, dans ces conditions, si M. [X] [Y] conteste l'existence ou le montant de la dette, ce qui reste toujours possible même après son paiement, il ne peut utilement faire valoir devant le juge de l'exécution des moyens à ce sujet pour contester, au travers de la saisie-attribution, le titre lui même.
22. En statuant ainsi, alors que le juge de l'exécution avait le pouvoir de statuer sur l'exception tirée de l'absence de cause du chèque soulevée par M. [X] [Y], la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne M. [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [B] et le condamne à payer à M. [X] [Y] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le vingt-deux mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.