CIV. 2
CH10
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 22 mai 2025
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 499 F-B
Pourvoi n° V 22-22.416
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 22 MAI 2025
La société Paru, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° V 22-22.416 contre l'arrêt rendu le 25 juillet 2022 par la cour d'appel de Basse-Terre (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Batimap, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Paru, de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de la société Batimap, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 2 avril 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 25 juillet 2022), par un arrêt du 23 juin 2003, une cour d'appel a, dans un litige opposant la société Paru aux sociétés Batimap et Sodega, dit que ces dernières devraient régulariser un acte de vente portant sur des terrains et des immeubles, sous astreinte d'un certain montant par jour de retard, à première convocation du notaire.
2. Par acte du 19 janvier 2021, la société Paru a assigné la société Batimap devant un juge de l'exécution aux fins de liquidation de l'astreinte et d'allocation de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du défaut de signature de l'acte de vente pour la période de mars 2013 à janvier 2016.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en ses première et deuxième branches
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
4. La société Paru fait grief à l'arrêt, qui a infirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions - donc spécialement en ce qu'après avoir déclaré recevable sa demande de liquidation d'astreinte, il avait liquidé à la somme de 300 000 euros pour la période ayant couru du 13 mars 2013 au 27 janvier 2016 l'astreinte assortissant l'obligation mise à la charge de la société Batimap par les décisions des 8 janvier 1999 et 23 juin 2003 et, par suite, condamné la société Batimap à lui payer la somme de 300 000 euros au titre de l'astreinte liquidée - de, statuant à nouveau, déclarer sa demande de liquidation d'astreinte irrecevable, alors « que, en tout état de cause aussi, la dette d'astreinte de la société Batimap est constituée de la somme de ses dettes d'astreinte journalières, d'un montant de 300 euros chacune, nées successivement, chaque jour à compter du 26 mars 2013, date pour laquelle la société Batimap avait été convoquée afin de signature de l'acte de vente, et jusqu'au 27 janvier 2016, date à laquelle elle a enfin régularisé la vente ; que la prescription quinquennale de l'action en liquidation d'astreinte n'avait donc pas un point de départ unique, mais autant de points de départ que de jours compris entre le 26 mars 2015 et le 27 janvier 2016 ; que, dès lors, il convenait, pour déterminer si et dans quelle mesure cette action était prescrite, de se placer à la date de l'assignation en liquidation d'astreinte, soit au 19 janvier 2021, et de revenir 5 années en arrière ; qu'en retenant au contraire pour la prescription de l'action en liquidation d'astreinte un point de départ unique, qu'elle a fixé au 26 février 2013, date de la lettre portant convocation de la société Batimap par le notaire, et en disant qu'en conséquence le délai de prescription quinquennale de l'action en liquidation d'astreinte expirait le 26 février 2018, la Cour d'appel a derechef violé l'article 2224 du Code civil. »
Réponse de la Cour
5. L'action en liquidation d'une astreinte n'est pas soumise au délai de prescription prévu à l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution des titres exécutoires, mais au délai de prescription des actions personnelles et mobilières prévu à l'article 2224 du code civil (2e Civ., 21 mars 2019, pourvoi n° 17-22.241, publié).
6. Aux termes de l'article R. 131-1, alinéa 1er, du code des procédures civiles d'exécution, l'astreinte prend effet à la date fixée par le juge, laquelle ne peut pas être antérieure au jour où la décision portant obligation est devenue exécutoire.
7. La condamnation, assortie d'une astreinte, prononcée par un juge ne fait pas naître une action en paiement de sommes payables par années ou à des termes périodiques plus courts, mais confère à son bénéficiaire une action en liquidation de cette astreinte, à l'issue de laquelle celui-ci est susceptible de disposer d'une créance de somme d'argent.
8. Il en résulte que lorsqu'une obligation est assortie d'une astreinte fixée par jour de retard, la prescription de l'action en liquidation de cette astreinte ne court pas, de manière distincte, pour chaque jour de retard pendant lequel n'obligation n'a pas été exécutée, mais à compter du jour où l'astreinte a pris effet.
9. Ayant relevé que l'arrêt du 23 juin 2003, régulièrement signifié le 26 novembre 2008, avait fixé le point de départ de l'astreinte à la date de la première convocation par le notaire, le 26 février 2013, et que l'action en liquidation avait été introduite par assignation délivrée le 19 janvier 2021, la cour d'appel en a exactement déduit que l'action était prescrite.
10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
11. La société Paru fait grief à l'arrêt, qui a infirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions - donc spécialement en ce que le juge de l'exécution s'était déclaré compétent pour statuer sur sa demande de dommages et intérêts formée, avait déclaré cette demande recevable et avait condamné la société Batimap à lui payer la somme de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts - de, statuant à nouveau, dire le juge de l'exécution incompétent pour statuer sur sa demande de dommages et intérêts, alors « que le juge de l'exécution a le pouvoir de condamner le débiteur à des dommages-intérêts en cas de résistance abusive ; que cette compétence est d'ordre public ; qu'au soutien de sa demande tendant à la condamnation de la SA Batimap à lui verser des dommages et intérêts, la société Paru se prévalait expressément, dans ses conclusions d'appel, de ce que l'arrêt de la Cour d'appel de Basse-Terre en date du 23 juin 2003 (production d'appel n° 3 de la SCI Paru), dûment signifié à la SA Batimap le 26 novembre 2003 (production d'appel n° 10 de la SCI Paru) et devenu définitif par suite de la décision de la Cour de cassation, en date du 1er février 2005, de non-admission du pourvoi de la société Batimap, avait condamné celle-ci à régulariser l'acte de vente des terrains et des immeubles en cause « à première convocation du notaire sous astreinte de 300 euros par jour de retard » ; qu'elle ajoutait, preuves à l'appui, que la société Batimap, quoique dûment convoquée dans ce but par courrier RAR du notaire en date du 26 février 2013 (production d'appel n° 6 de la SCI Paru), avait refusé de déférer à cette convocation et n'avait finalement accepté de régulariser l'acte qu'en 2016 ; qu'en s'abstenant de soulever d'office le moyen de pur droit tiré de sa compétence pour statuer sur la demande de dommages et intérêts de la SCI Paru à raison de la résistance abusive de la société Batimap à l'exécution de sa condamnation résultant du titre exécutoire constitué par l'arrêt du 23 juin 2003, la Cour d'appel a violé l'article L. 121-3 du Code des procédures civiles d'exécution, ensemble les articles 12 du Code de procédure civile et R. 121-4 du Code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 213-6, alinéa 6, du code de l'organisation judiciaire, L. 121-3, R. 121-1 et R. 121-4 du code des procédures civiles d'exécution et l'article 12 du code de procédure civile :
12. Selon le premier de ces textes, le juge de l'exécution exerce les compétences particulières qui lui sont dévolues par le code des procédures civiles d'exécution.
13. Aux termes du deuxième, le juge de l'exécution a le pouvoir de condamner le débiteur à des dommages-intérêts en cas de résistance abusive.
14. Selon le troisième, en matière de compétence d'attribution, tout juge autre que le juge de l'exécution doit relever d'office son incompétence.
15. Selon le quatrième, les règles de compétence prévues au code des procédures civiles d'exécution sont d'ordre public.
16. Il résulte de la combinaison de ces textes que lorsqu'il est saisi d'une demande de dommages et intérêts formée à l'encontre du débiteur en raison du défaut d'exécution d'un titre exécutoire, le juge de l'exécution est tenu de trancher le litige en faisant application, le cas échéant d'office, des dispositions d'ordre public de l'article L. 121-3 du code des procédures civiles d'exécution.
17. Pour dire que le juge de l'exécution est incompétent pour statuer sur la demande de dommages et intérêts, l'arrêt retient qu'il résulte du quatrième alinéa de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire que le juge de l'exécution n'est compétent pour statuer sur une demande de dommages et intérêts que lorsqu'elle est incidente à une mesure d'exécution forcée, qu'il est constant que l'astreinte ne constitue ni une mesure d'exécution forcée, ni une mesure conservatoire, mais une mesure comminatoire et qu'il résulte des conclusions de la société Paru que le préjudice allégué ne résulte pas de l'exécution ou l'inexécution d'une mesure d'exécution forcée, mais de l'absence de signature de l'acte de vente pour une période donnée.
18. En statuant ainsi, alors que la demande dont elle était saisie était fondée sur le défaut d'exécution de l'arrêt du 23 juin 2003, la cour d'appel, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare la demande de liquidation d'astreinte de la société Paru irrecevable, l'arrêt rendu le 25 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre autrement composée ;
Condamne la société Batimap aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Batimap et la condamne à payer à la société Paru la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le vingt-deux mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.