CIV. 2
AF1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 22 mai 2025
Annulation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 492 F-B
Pourvoi n° M 22-22.868
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 22 MAI 2025
1°/ M. [L] [W],
2°/ Mme [E] [P], épouse [W],
tous deux, domiciliés [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° M 22-22.868 contre l'arrêt rendu le 22 septembre 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-4), dans le litige les opposant à M. [T] [V], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Caillard, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. et Mme [W], de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de M. [V], et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 2 avril 2025 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Caillard, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 22 septembre 2022), rendu sur renvoi après cassation (Com., 14 avril 2021, pourvoi n° 19-15.077), la société AZ Concept (la société) a été condamnée, par un arrêt du 16 juin 2016, à payer diverses sommes à M. et Mme [W] au titre de sa responsabilité contractuelle.
2. La société a été dissoute le 21 juillet 2013, M. [V] étant désigné en qualité de liquidateur amiable. Puis, la société a été placée en liquidation judiciaire le 28 mars 2017.
3. Reprochant à M. [V] plusieurs fautes, M. et Mme [W] ont recherché sa responsabilité et demandé sa condamnation au paiement des sommes dues par la société.
4. Par déclaration du 1er mars 2018, ils ont relevé appel du jugement du 15 janvier 2018 qui les a déboutés de leurs demandes et par un arrêt du 29 novembre 2018, une cour d'appel a confirmé le jugement.
5. Cet arrêt ayant été cassé par un arrêt de la Cour de cassation du 14 avril 2021, M. et Mme [W] ont saisi la cour d'appel de renvoi par une déclaration du 19 mai 2021.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
6. M. et Mme [W] font grief à l'arrêt de confirmer le jugement du 15 janvier 2018 du tribunal de grande instance de Toulon, alors « qu'est interdite l'application immédiate d'une règle de procédure, résultant d'une interprétation nouvelle des articles 542 et 954 du code de procédure civile, à une instance introduite par une déclaration d'appel antérieure à sa formulation, lorsque cette application immédiate a été expressément exclue par la Cour de cassation ; qu'en retenant qu'il résultait des dispositions combinées des articles 542 et 954 du code de procédure civile qu'à défaut de demande de réformation du jugement déféré, la cour d'appel ne pouvait que le confirmer et que ces dispositions applicables depuis le 1er septembre 2017, avaient été rappelées par l'arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 2020, qui était donc antérieur à la saisine après cassation de la Cour par M. et Mme [W] laquelle était en date du 19 mai 2021, sans rechercher si la date de la déclaration d'appel de M. et Mme [W] n'était pas antérieure à l'arrêt du 17 septembre 2020, ce qui excluait l'application au litige de l'interprétation nouvelle retenue par cet arrêt, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 542 et 954 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 542, 631 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
7. Il résulte des premier et troisième de ces textes que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement. Cependant, l'application immédiate de cette règle de procédure, qui a été affirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626) pour la première fois dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.
8. Il résulte du deuxième que devant la juridiction de renvoi, l'instruction est reprise en l'état de la procédure non atteinte par la cassation. Par conséquent, c'est la même instance d'appel qui reprend et se poursuit devant la cour d'appel de renvoi.
9. Il découle de ce qui précède que la déclaration de saisine de la juridiction de renvoi après cassation n'est pas une déclaration d'appel et n'introduit pas une nouvelle instance mais entraîne la poursuite de l'instance d'appel initiale. En conséquence, lorsque cette instance a été introduite par une déclaration d'appel antérieure à l'arrêt du 17 septembre 2020, la règle de procédure nouvelle énoncée pour la première fois par cet arrêt ne peut recevoir application, quand bien même la déclaration de saisine serait postérieure au 17 septembre 2020.
10. Pour confirmer le jugement du 15 janvier 2018, l'arrêt retient qu'alors que M. et Mme [W] ont visé, dans leur acte de saisine après cassation, le jugement du tribunal de grande instance de Toulon du 15 janvier 2018, ils sollicitent, dans leurs écritures après cassation, la réformation du jugement rendu par ce même tribunal le 13 janvier 2014, et qu'il résulte des dispositions combinées des articles 542 et 954 du code de procédure civile qu'à défaut de demande de réformation du jugement déféré, la cour d'appel ne peut que le confirmer, ces dispositions ayant été rappelées par l'arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 2020, qui est antérieur à la saisine après cassation de la cour d'appel par M. et Mme [W], laquelle est datée du 19 mai 2021.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle elles ont relevé appel, soit le 1er mars 2018, une telle portée résultant de l'interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'application de cette règle de procédure dans l'instance en cours aboutissant à priver M. et Mme [W] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne M. [V] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [V] et le condamne à payer à M. et Mme [W] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le vingt-deux mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.