LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
AF1
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 28 mai 2025
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 516 F-D
Pourvoi n° C 23-23.370
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 28 MAI 2025
La société MR investissement, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 23-23.370 contre l'arrêt rendu le 19 septembre 2023 par la cour d'appel de Besançon (première chambre civile et commerciale), dans le litige l'opposant à la société Assurances du crédit mutuel IARD, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Chauve, conseiller, les observations écrites et orales de la SCP Doumic-Seiller, avocat de la société MR investissement, celles de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de la société Assurances du crédit mutuel IARD, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 avril 2025 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Chauve, conseiller rapporteur, Mme Isola, conseiller doyen, Mme Nicolétis, avocat général, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 19 septembre 2023), la société MR investissement (l'assurée), qui exploite deux fonds de commerce de café, restaurant, brasserie, a souscrit pour chacun d'eux auprès de la société Assurances du crédit mutuel IARD (l'assureur) un contrat d'assurance multirisque professionnelle dénommé « Acajou Signature » incluant une garantie « pertes d'exploitation ».
2. Un arrêté publié au Journal officiel le 15 mars 2020, portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, a édicté, notamment, l'interdiction pour les restaurants d'accueillir du public du 15 mars 2020 au 15 avril 2020, prorogée jusqu'au 2 juin 2020 par décret du 14 avril 2020. Par décret du 29 octobre 2020, il a de nouveau été fait interdiction aux restaurants d'accueillir du public à partir du 30 octobre 2020. Cette interdiction a pris fin le 19 mai 2021.
3. Soutenant avoir subi des pertes d'exploitation du fait de ces interdictions, l'assurée a effectué une déclaration de sinistre auprès de l'assureur, qui a refusé sa garantie.
4. L'assurée l'a assigné devant un tribunal de commerce à fin de garantie.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et troisième branches
Enoncé du moyen
5. L'assurée fait grief à l'arrêt de dire que les conditions de mise en oeuvre de la garantie « pertes d'exploitation » ne sont pas réunies et de la débouter de l'ensemble de ses demandes, alors :
« 1°) que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la garantie pertes d'exploitation dont la mobilisation était régie par l'article 17 des conditions générales « Acajou Signature » applicables aux deux contrats souscrits auprès de la société ACM et que l'article 17.1 relatif à la définition de la garantie de base, stipulait : « Nous garantissons les pertes pécuniaires que vous pouvez subir du fait de l'interruption ou de la réduction de votre activité résultant, soit : - (?) ; - d'une mesure d'interdiction d'accès émanant des autorités administratives ou judiciaires, prises à la suite d'un événement extérieur à votre activité ou aux locaux dans lesquels vous l'exercez ; (?) » ; que partant en considérant que « la formulation générale », selon laquelle sont garanties les pertes subies du fait de l'interruption ou de la réduction de l'activité, « ne pose pas le principe d'une prise en charge nécessaire du dommage en cas de réduction d'activité, mais introduit simplement les cas d'ouverture de la garantie, dont le détail est exposé à la suite, et dont certains couvrent seulement la réduction de l'activité, alors que d'autres, au rang desquels figure en particulier celui dont la mobilisation est sollicitée, supposent son interruption totale », quand le risque assuré était l'interruption ou la réduction de l'activité de l'entreprise, dans les quatre hypothèses visées, dont celle d'une mesure d'interdiction d'accès émanant des autorités administratives ou judiciaires, prises à la suite d'un événement extérieur à l'activité de l'entreprise ou aux locaux dans lesquels elle l'exerce, la cour d'appel a violé l'article 1103 du code civil ;
3°) que dans le but de lutter contre la propagation du virus Covid-19, le gouvernement a confiné la population française et a interdit aux restaurants et débits de boissons d'accueillir du public ; qu'en l'espèce, l'article 17.1 des conditions générales « Acajou Signature », relatif à la définition de la garantie de base prévoit que sont garanties les pertes pécuniaires que l'entreprise peut subir du fait de l'interruption ou de la réduction de son activité résultant d'une mesure d'interdiction d'accès émanant des autorités administratives ou judiciaires, prises à la suite d'un événement extérieur à son activité ou aux locaux dans lesquels elle l'exerce ; qu'en retenant cependant que « si le dirigeant de celle-ci était libre de fermer totalement les portes de ses établissements pendant ces périodes (de confinement), en choisissant de ne pas poursuivre son activité par la mise en place d'un service de vente à emporter, cette option résulte d'une considération tenant, non pas à l'impossibilité d'accéder aux locaux, seule susceptible d'ouvrir droit à garantie, mais à une difficulté dans l'exploitation de l'activité, de sorte qu'au final la fermeture des établissements n'est pas la conséquence d'une mesure administrative d'interdiction d'accès, mais celle d'un choix stratégique opéré par la société elle-même en présence d'une situation la contraignant à une réduction d'activité », quand il est constant que la société MR Investissement avait été contrainte de fermer ses deux établissements à la suite des mesures de confinement prises par le gouvernement et de l'interdiction pour les restaurants et débits de boissons d'accueillir du public, sauf pour la vente à emporter, la cour d'appel a de nouveau violé l'article 1103 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1103 du code civil :
6. Aux termes de ce texte, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
7. Pour rejeter les demandes présentées par l'assurée, après avoir rappelé que les conditions générales du contrat prévoient la garantie des pertes d'exploitation que pourrait subir l'assurée du fait de l'interruption ou de la réduction de son activité « résultant d'une mesure d'interdiction d'accès émanant des autorités administratives ou judiciaires, prises à la suite d'un événement extérieur à votre activité ou aux locaux dans lesquels vous l'exercez », l'arrêt énonce que la mise en oeuvre de cette garantie est subordonnée à une interdiction d'accès, notion claire, qui consiste en une défense absolue de pénétrer dans les locaux assurés et ne peut donner lieu à interprétation.
8. Il relève, ensuite, qu'en application des arrêtés et décrets, adoptés successivement à compter du 14 mars 2020, puis du 29 octobre 2020, les restaurants et débits de boisson n'ont plus pu recevoir du public à compter du 15 mars 2020 jusqu'au 1er juin 2020, puis à compter du 30 octobre 2020, mais que les activités de livraison et de vente à emporter restaient toutefois autorisées.
9. L'arrêt retient que certains cas d'ouverture de la garantie couvrent seulement la réduction de l'activité, alors que d'autres, au rang desquels figure en particulier celui dont la mobilisation est sollicitée, supposent son interruption totale.
10. Il ajoute, d'une part, que les mesures de restrictions prises n'étaient pas constitutives de mesures d'interdiction d'accès aux locaux des restaurants puisque celui-ci était toujours possible pour les dirigeants, les salariés et les fournisseurs, et que l'accès de la clientèle aux locaux restait autorisé pour l'activité de vente à emporter, d'autre part, que la fermeture des établissements résulte d'un choix stratégique opéré par la société qui a décidé de ne pas mettre en place une activité de vente à emporter, en présence d'une situation la contraignant à une réduction d'activité, et en déduit, enfin, que la garantie pertes d'exploitation sollicitée n'est pas mobilisable.
11. En statuant ainsi, alors, d'une part, qu'il résultait des termes clairs du contrat que la garantie était due en cas de réduction de l'activité résultant d'une mesure d'interdiction d'accès émanant des autorités administratives ou judiciaires, prises à la suite d'un événement extérieur à l'activité ou aux locaux dans lesquels l'assurée l'exerçait, d'autre part, qu'elle constatait que les décrets du 15 mars 2020 et du 29 octobre 2020 avaient interdit aux restaurants d'accueillir du public, ce qui constituait, au sens de la stipulation contractuelle, une mesure d'interdiction d'accès aux locaux dans lesquels l'assurée exploitait ses fonds de commerce émanant des autorités administratives, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement en tant qu'il a déclaré recevable la demande de la société MR investissement, l'arrêt rendu le 19 septembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne la société Assurances du crédit mutuel IARD aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Assurances du crédit mutuel IARD et la condamne à payer à la société MR investissement la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le vingt-huit mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.