N° P 24-81.022 F-D
N° 00707
ECF
28 MAI 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 28 MAI 2025
L'administration des douanes, partie poursuivante, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Reims, chambre correctionnelle, en date du 13 février 2024, qui, dans la procédure suivie contre M. [D] [V] des chefs de transfert de capitaux sans déclaration et contravention douanière, a prononcé l'annulation partielle des poursuites et a condamné ce dernier à une amende douanière et une confiscation.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Bloch, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la [1], les observations de la SCP Poupet & Kacenelenbogen, avocat de M. [D] [V], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 avril 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Bloch, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Pinna, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Au cours de l'année 2016, les services des douanes ont été informés que M. [D] [V], gérant d'une station-service en Belgique, aurait procédé régulièrement à des livraisons de fioul domestique à des particuliers domiciliés en France, moyennant un paiement en espèces.
3. Le 6 mai 2019, l'administration des douanes a fait citer M. [V] devant le tribunal correctionnel des chefs de transfert de capitaux sans déclaration et de la contravention douanière de deuxième classe de manoeuvres ayant pour but ou pour résultat de faire bénéficier indûment son auteur ou un tiers d'une exonération, d'un dégrèvement ou d'une taxe réduite portant sur un produit énergétique.
4. Une nouvelle citation lui a été adressée le 3 septembre 2021, précisant la nouvelle qualification de la contravention douanière suite à l'abrogation du g) du § 2 de l'article 411 du code des douanes par la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020, comme étant constituée d'une irrégularité ayant pour résultat d'éluder ou de compromettre le recouvrement d'un droit ou d'une taxe.
5. Par jugement du 16 mai 2022, le tribunal correctionnel a annulé la citation.
6. L'administration des douanes a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le second moyen
7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement déféré qui a annulé la citation délivrée par l'administration des douanes concernant les poursuites au titre des infractions consistant en des manuvres ayant pour but ou pour résultat de faire bénéficier indûment son auteur ou un tiers d'une exonération, d'un dégrèvement ou d'une taxe réduite prévus en ce qui concerne les produits énergétiques mentionnés aux articles 265, 266 quinquies et 266 quinquies B, alors :
« 1°/ qu'en relevant, pour considérer que la citation qui avait été délivrée le 3 septembre 2021 par l'administration des douanes à Monsieur [V] devait être annulée en ce qui concernait les poursuites du chef des « manuvres ayant pour but ou pour résultat de faire bénéficier indûment son auteur ou un tiers d'une exonération, d'un dégrèvement ou d'une taxe réduire prévus en ce qui concerne les produits énergétiques », qu'elle ne visait que l'article 411 §2 g) du code des douanes prévoyant cette infraction qui avait été pourtant abrogé par l'article 30 de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 et remplacé, désormais, par l'article 411 §1 du code des douanes, texte plus sévère réprimant « toute infraction aux dispositions des lois et règlements que l'administration des douanes est chargée d'appliquer lorsque cette irrégularité a pour résultat d'éluder ou de compromettre le recouvrement d'un droit ou d'une taxe quelconque », quand la citation ne devait mentionner que l'article 411 §2 g) du code des douanes qui correspondait au texte de loi en vigueur à la date des faits poursuivis qui avaient été commis du 23 novembre 2013 au 23 novembre 2016 et non le texte de loi plus sévère qui l'avait remplacé et qui n'était pas rétroactivement applicable, la cour d'appel a violé l'article 112-1 du code pénal et les articles 551, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en toute hypothèse, en relevant, pour considérer que la citation qui avait été délivrée le 3 septembre 2021 par l'administration des douanes à Monsieur [V] devait être annulée en ce qui concernait les poursuites du chef des « manuvres ayant pour but ou pour résultat de faire bénéficier indûment son auteur ou un tiers d'une exonération, d'un dégrèvement ou d'une taxe réduire prévus en ce qui concerne les produits énergétiques », qu'elle ne visait que le code « NATINF » de l'infraction poursuivie, issu d'une nomenclature administrative inopposable à Monsieur [V], sans rechercher si la citation ne mentionnait pas également la nature exacte de la nouvelle infraction ayant remplacé celle qui était antérieurement incriminée par l'article 411 §2 g) du code des douanes, en précisant qu'il s'agissait du « non respect des dispositions d'un texte que l'administration des douanes est chargée d'appliquer : irrégularité ayant pour résultat d'éluder ou de compromettre le recouvrement d'un droit ou d'une taxe », ce qui correspondait très exactement à la définition des infractions prévues par l'article 411 §1 du code des douanes visant « toute infraction aux dispositions des lois et règlements que l'administration des douanes est chargée d'appliquer lorsque cette irrégularité a pour résultat d'éluder ou de compromettre le recouvrement d'un droit ou d'une taxe quelconque », ce dont il résultait que Monsieur [V] avait été clairement informé de la nouvelle qualification pénale de l'infraction pour laquelle il était poursuivi et avait, ainsi, été en mesure de préparer utilement sa défense sur ce point en pleine connaissance de cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 551, 565, 591, 593 et 802 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 551 du code de procédure pénale :
9. Selon ce texte, la citation énonce le fait poursuivi et vise le texte de loi qui le réprime.
10. Pour faire droit au moyen de nullité de la citation du chef de manoeuvre tendant à bénéficier indûment d'une exonération, d'un dégrèvement ou d'une taxe portant sur un produit énergétique, l'arrêt attaqué retient que le seul texte de répression visé par la citation pour cette infraction, l'article 411, § 2, g) du code des douanes, a été abrogé par l'article 30 de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020.
11. Les juges ajoutent qu'il importe peu que l'article 411 du code des douanes, qui n'est pas visé par la citation, n'ait pas lui-même été abrogé, et observent qu'il a aggravé le sort du prévenu en supprimant toute notion d'intention et de manoeuvre dans la commission de l'infraction.
12. Ils retiennent également que le procès-verbal du 16 avril 2018, annexé à la citation, ne vise lui aussi comme texte répressif que l'article 411, § 2, g) du code des douanes, et que la seule référence au code NATINF de l'infraction n'est pas suffisante pour satisfaire aux dispositions de l'article 551 du code de procédure pénale.
13. Ils en concluent que l'abrogation du g) du § 2 de l'article 411 ayant eu pour conséquence d'aggraver la situation du prévenu, la citation devait mentionner le texte en vigueur au moment des faits et le texte plus sévère applicable à la date de la citation, afin de permettre au prévenu de se défendre en connaissance de cause sur les manoeuvres et l'intention.
14. En prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé pour les motifs qui suivent.
15. La loi du 24 décembre 2020 a modifié l'incrimination de manoeuvre ayant pour but ou pour résultat de faire bénéficier indûment son auteur ou un tiers d'une exonération, d'un dégrèvement ou d'une taxe réduite en abrogeant les g) et h) du § 2 de l'article 411 du code des douanes et en supprimant au § 1 de ce même article les mots « pour but ou ».
16. Lorsque l'infraction a eu pour résultat le bénéfice indu, le terme de « manoeuvre » employé par l'ancienne version de l'article 411 dudit code désignait un acte matériel ne supposant pas nécessairement d'élément intentionnel.
17. Dans ce cas, les dispositions nouvelles, qui répriment une irrégularité ayant pour résultat d'éluder ou de compromettre le recouvrement d'un droit ou d'une taxe, n'ont pas aggravé l'incrimination.
18. Dès lors que les faits sont demeurés punissables, dans des conditions équivalentes, sous l'empire de la nouvelle incrimination, le visa d'un texte qui a été abrogé depuis la délivrance de la citation est sans emport sur la validité de celle-ci.
19. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
20. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la nullité de la citation du chef de la contravention douanière. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Reims, en date du 13 février 2024, mais en ses seules dispositions relatives à la nullité de la citation du chef de la contravention douanière, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Reims et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mai deux mille vingt-cinq.