COMM.
HM
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 4 juin 2025
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 312 F-B
Pourvoi n° D 24-10.219
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 4 JUIN 2025
La société L'Artisan glacier, société par action simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° D 24-10.219 contre l'arrêt rendu le 8 novembre 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société L'Odyssée des glaces, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ à la société Co.ge.fob, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
3°/ à la société Etablissement Arnaud, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], et ayant un établissement [Adresse 5],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, Lassalle-Byhet, avocat de la société L'Artisan glacier, de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat des sociétés Co.ge.fob et Etablissement Arnaud, de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de la société L'Odyssée des glaces, après débats en l'audience publique du 8 avril 2025 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 novembre 2023), la société L'Artisan glacier a une activité principale de fabrication et de ventes de glaces, crèmes glacées, sorbets et entremets, principalement à destination de professionnels, tels les distributeurs, les restaurants et les glaciers.
2. La société L'Odyssée des glaces, anciennement associée à la société L'Artisan glacier, exerce une activité de vente en gros de matières premières pour les produits relatifs à la glace, d'installation de glaciers, de vente et de production de glaces et sorbets. A ce titre, elle distribuait les glaces fabriquées par la société L'Artisan glacier dans le sud de la France, notamment en région Provence-Alpes-Côte d'Azur.
3. Les sociétés Etablissements Arnaud et Co.ge.fob, qui exercent une activité principale de commerce de gros de produits alimentaires à destination de professionnels des secteurs de la boulangerie-pâtisserie, de la restauration ainsi que de tous les métiers de bouche en Savoie et Haute-Savoie, sont entrées en relation avec la société L'Artisan glacier, en janvier 2013, pour la première, en octobre 2013, pour la seconde, afin de distribuer ses glaces.
4. Reprochant aux sociétés Etablissements Arnaud, Co.ge.fob et L'Odyssée des glaces la rupture brutale des relations commerciales établies, ainsi que la commission concertée d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme dans la région Rhône-Alpes, la société L'Artisan glacier les a assignées en réparation de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La société L'Artisan glacier fait grief à l'arrêt de rejeter l'intégralité de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire, alors « que constitue une faute de concurrence déloyale le fait de créer un risque de confusion avec les produits d'une autre entreprise ; que le risque de confusion doit s'apprécier en tenant compte de tous les griefs invoqués considérés dans leur ensemble, et en se fondant sur l'impression d'ensemble dégagée par les produits en litige ; qu'en l'espèce, la société L'Artisan glacier reprochait aux sociétés L'Odyssée des glaces, Etablissements Arnaud et Co.ge.fob d'avoir créé un risque de confusion avec ses produits, en employant un visuel très proche de celui utilisé sur ses produits (dénomination « L'artisan glacier » mentionnée de manière très apparente avec la même police et la même taille ; utilisation d'un liseré extérieur avec les mêmes coloris ; couleur en fond identique ; même police d'écriture, avec les mêmes tailles, pour désigner le parfum et le volume ; logo reproduit exactement avec les mêmes teintes ; indication en bas de l'adresse dans un cadre coloré); qu'en se contentant d'examiner chacun des griefs ainsi invoqués par la société L'Artisan glacier, sans prendre en considération l'impression d'ensemble produite par les visuels en litige ni rechercher si les griefs invoqués, considérés dans leur ensemble, n'étaient pas de nature à créer un risque de confusion dans l'esprit du public, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
7. Les sociétés L'Odyssée des glaces, Co.ge.fob et Etablissements Arnaud contestent la recevabilité du moyen en raison de sa nouveauté.
8. Cependant, le moyen, qui est de pur de droit, est recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 1240 du code civil :
9. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
10. Pour rejeter les demandes de la société L'Artisan glacier au titre de la concurrence déloyale et parasitaire, l'arrêt retient que la reprise du logo et de la dénomination sociale est licite, même sous cette combinaison particulière, en raison de l'antériorité d'usage du premier par la société L'Odyssée des glaces et de la descriptivité de la seconde, que la forme des étiquettes, adaptées au contenant, la présence d'un liseré coloré tranchant avec un fond clair ainsi que le positionnement et les proportions des différentes mentions sont usuels et antérieurs aux premiers usages de la société L'Artisan glacier, que la forme des pots de glace est elle-même dictée par une contrainte technique tenant à celle des bacs dans lesquels ils sont destinés à être insérés, que, concernant la police d'écriture, qui apparaît banale, la société L'Artisan glacier n'explique pas en quoi elle présenterait une spécificité quelconque participant de son identification par le consommateur et que la combinaison ainsi opposée s'inscrit sans le moindre écart dans les habitudes établies dans le secteur.
11. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui incombait, si la reprise de ces éléments, considérés dans leur ensemble, n'était pas de nature à créer un risque de confusion dans l'esprit du public et, partant, à caractériser un acte de concurrence déloyale, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette l'intégralité des demandes de la société L'Artisan glacier au titre de la concurrence déloyale et parasitaire et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 8 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne les sociétés Co.ge.fob, Etablissements Arnaud et L'Odyssée des glaces aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formée par les sociétés Co.ge.fob et Etablissements Arnaud d'une part et la société L'Odyssée des glaces et les condamne in solidum à payer à la société L'Artisan glacier la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.