COMM.
JB
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 4 juin 2025
Cassation sans renvoi
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 309 F-B
Pourvoi n° G 24-11.580
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 4 JUIN 2025
La société SNC Pharmacie Girardeaux, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 24-11.580 contre l'arrêt rendu le 12 décembre 2023 par la cour d'appel de Poitiers (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société SELARL Pharmacie Bourdois, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bellino, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société SNC Pharmacie Girardeaux, de la SARL Corlay, avocat de la société SELARL Pharmacie Bourdois, après débats en l'audience publique du 8 avril 2025 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bellino, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 12 décembre 2023) et les productions, le 7 septembre 2015, une promesse de cession de fonds de commerce sous conditions suspensives a été conclue entre la société SNC Pharmacie Girardeaux (la société Pharmacie Girardeaux), cédante, et la société SELARL Pharmacie Bourdois (la société Pharmacie Bourdois), cessionnaire.
2. Cette promesse prévoyait que le prix de cession serait fixé à 80 % du chiffre d'affaires annuel de référence, défini comme celui des douze derniers mois d'exploitation antérieurs à l'antépénultième mois précédant la cession, dont devaient être retranchés divers éléments, à savoir : les ventes de marchandises faites « hors comptoir », la location de matériel médical, les ventes de marchandises associées à l'activité de location de matériel médical, les prestations de production faites avec les laboratoires pharmaceutiques, les indemnités d'astreinte et la somme forfaitaire de 20 000 euros correspondant au « taux de substitution minimal » normalement attendu. Il était par ailleurs prévu le recours à un tiers évaluateur, qualifié d' « expert », à la fois en cas de désaccord des parties sur le bilan dont était extrait le chiffre d'affaires et en cas de désaccord sur la détermination du prix définitif. Dans cette dernière hypothèse, à défaut d'accord des parties sur l'identité de l'expert à désigner ou si l'expert désigné n'avait pas rempli sa mission dans un délai de six mois, cet « expert » devait être désigné par le président du tribunal de commerce de Niort saisi par la partie la plus diligente.
3. Le 31 mars 2016, les parties ont signé l'acte définitif de cession. Les comptes de l'année 2015 n'étant pas arrêtés à cette date, un prix provisoire a été fixé, le prix définitif devant être fixé après la communication du chiffre d'affaires de référence.
4. Après communication des données comptables, un désaccord est survenu entre les parties sur le chiffre d'affaires de l'année 2015. Conformément aux stipulations contractuelles, les parties ont désigné d'un commun accord un « expert » qui a procédé à l'évaluation du chiffre d'affaires total annuel.
5. Les parties étant également en désaccord sur le montant des retraitements à effectuer, la société Pharmacie Girardeaux a assigné devant le tribunal de commerce de Niort la société Pharmacie Bourdois afin de solliciter, à titre principal, la fixation définitive du prix et la condamnation du cessionnaire à lui payer le solde lui restant dû et, à titre subsidiaire, une expertise judiciaire pour fixer le prix définitif par application du mécanisme de calcul stipulé au contrat.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La société Pharmacie Girardeaux fait grief à l'arrêt de dire les demandes de la société Pharmacie Bourdois bien fondées, de dire la vente arrêtée au prix de 1 035 820 euros, de constater qu'il avait d'ores et déjà été réglé par la société Pharmacie Bourdois et de rejeter l'ensemble des demandes de la société Pharmacie Girardeaux, alors « que le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties ; qu'en retenant que, compte tenu du désaccord des parties sur le prix de cession du fonds de commerce de pharmacie, des clauses du contrat prévoyant que le prix était fonction du chiffre d'affaires de l'exercice 2015 retraité de divers éléments, et de l'accord des parties sur le montant du chiffre d'affaires de l'exercice 2015 avant retraitement, il convenait de chiffrer elle-même, au vu des éléments de preuve versés au débats, le montant des éléments à retrancher du chiffre d'affaires de l'exercice 2015, permettant de déterminer l'assiette de calcul du prix et ainsi le prix de cession, la cour d'appel, qui a procédé à une fixation judiciaire du prix, a violé l'article 1591 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1591 et 1592 du code civil :
7. Aux termes du premier de ces textes, le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties. Selon le second, il peut cependant être laissé à l'estimation d'un tiers.
8. Il en résulte que le juge ne peut procéder à la fixation du prix de la vente.
9. Pour dire la vente arrêtée au prix de 1 035 820 euros et rejeter l'ensemble des demandes de la société Pharmacie Girardeaux, l'arrêt, après avoir relevé que l' « expert » désigné d'un commun accord par les parties, conformément au contrat, avait fixé le chiffre d'affaires annuel à la somme de 1 471 682 euros, procède au retraitement de cette somme en déduisant notamment, ainsi que le prévoit l'acte de vente, les ventes hors comptoir, qu'il évalue à la somme de 53 000 euros, pour aboutir à un prix de vente de 1 297 347 euros.
10. En statuant ainsi, en approuvant le tribunal d'avoir chiffré lui-même, pour déterminer le prix de cession, le montant des éléments à retrancher du chiffre d'affaires annuel, montant sur lequel les parties étaient en désaccord, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
11. La société Pharmacie Girardeaux fait le même grief à l'arrêt, alors « que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; qu'en retenant, pour confirmer le jugement qui avait procédé à une fixation judiciaire du prix, et procéder ainsi elle-même à une fixation judiciaire du prix, que la société Pharmacie Girardeaux avait saisi le tribunal de commerce en lui demandant de fixer le prix de cession définitif, quand la saisine du tribunal de commerce aux fins de fixer le prix définitif de la cession ne pouvait avoir pour conséquence de conférer au tribunal de commerce et à la cour d'appel un pouvoir qu'ils ne détenaient pas, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile, ensemble l'article 1591 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1591 et 1592 du code civil et 12, alinéa 1er, du code de procédure civile :
12. Selon le dernier de ces textes, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il résulte des deux premiers que le juge ne peut procéder à la fixation du prix de vente.
13. Pour dire la vente arrêtée au prix de 1 035 820 euros et rejeter les demandes de la société Pharmacie Girardeaux, l'arrêt retient encore que la société Pharmacie Girardeaux sollicitait à titre principal, dans ses conclusions de première instance, la fixation du prix de cession définitif par le tribunal et que les premiers juges ont donc répondu à cette prétention dans le dispositif de leur décision.
14. En statuant ainsi, alors que le tribunal n'avait pas le pouvoir de fixer le prix de cession, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
16. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
17. Il résulte des articles 1591 et 1592 du code civil que le juge ne peut procéder à la fixation du prix.
18. En évaluant lui-même le prix de cession, le tribunal a excédé ses pouvoirs. Le jugement entrepris doit donc être annulé.
19. La société Pharmacie Girardeaux demande à la cour d'appel de désigner un tiers évaluateur afin de fixer le prix de la vente conformément aux stipulations de l'acte de cession.
20. Toutefois, aux termes de l'article 10-2 de l'acte de cession, « En cas de désaccord entre les parties sur la fixation du prix, celui-ci sera déterminé par un expert désigné d'un commun accord par les parties, dès que le prix de cession définitif sera connu, conformément à l'article 1592 du Code civil. [...]
Si les parties ne s'accordent pas sur l'identité de l'expert à désigner ou si l'expert désigné n'a pas rempli sa mission dans un délai de 6 mois à compter de sa désignation, un expert sera désigné par le Président du Tribunal de commerce de Niort saisi par la partie la plus diligente ».
21. Il en résulte que seul le président du tribunal de commerce de Niort a le pouvoir de procéder à cette désignation.
22. La cour d'appel ne pouvant statuer que dans les limites des pouvoirs du tribunal de commerce de Niort, la demande de désignation d'un tiers évaluateur est irrecevable.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 décembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Annule le jugement rendu par le tribunal de commerce de Niort le 25 janvier 2022 ;
Déclare irrecevable la demande de désignation d'un tiers évaluateur ;
Rejette les autres demandes ;
Condamne la société SELARL Pharmacie Bourdois aux dépens, en ce compris ceux exposés devant le tribunal et devant la cour d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.