CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 5 juin 2025
Cassation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 540 FS-B
Pourvoi n° H 23-11.391
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 JUIN 2025
La caisse primaire d'assurance maladie du Finistère, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° H 23-11.391 contre l'arrêt n° RG : 22/02597 rendu le 30 novembre 2022 par la cour d'appel de Rennes (9e chambre sécurité sociale), dans le litige l'opposant à la société [2], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dudit, conseiller référendaire, les observations écrites et orales de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère, de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de la société [2], et l'avis de Mme Tuffreau, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 29 avril 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, Mme Dudit, conseiller référendaire rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, Mme Lapasset, MM. Leblanc, Pédron, Reveneau, Hénon, Mme Le Fischer, conseillers, M. Labaune, M. Montfort, Mme Lerbret-Féréol conseillers référendaires, Mme Tuffreau, avocat général référendaire, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 30 novembre 2022), le 9 février 2021, la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère (la caisse) a, après avis d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (le comité régional), pris en charge au titre de la législation professionnelle la maladie déclarée, le 20 février 2020, par l'une des salariés (la victime) de la société [2] (l'employeur).
2. L'employeur a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et cinquième branches
Enoncé du moyen
3. La caisse fait grief à l'arrêt de déclarer la décision de prise en charge inopposable à l'employeur, alors :
« 1°/ que lorsque la caisse saisit le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, elle doit mettre le dossier à la disposition de la victime, de ses représentants et de l'employeur pendant quarante jours francs, ces derniers pouvant consulter, compléter le dossier et faire connaître leurs observations pendant trente jours, puis uniquement consulter le dossier et formuler des observations pendant les dix jours suivants ; que la caisse doit informer la victime ou ses représentants et l'employeur des dates d'échéance de ces différentes phases lorsqu'elle saisit le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ; que le point de départ du délai de quarante jours dont disposent les parties pour consulter, compléter le dossier puis faire valoir leurs observations, court à compter de la date de la lettre de la caisse les informant de ce qu'elle saisit le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ainsi que des dates d'échéances des différentes phases pour consulter et compléter le dossier ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la caisse avait adressé à l'employeur une première lettre du 27 octobre 2020, reçue le 30 octobre 2020, l'informant de la saisine d'un CRRMP et lui impartissant un délai expirant le 27 novembre 2020 pour consulter et compléter le dossier ; que cette notification avait été annulée et remplacée par une seconde lettre du 30 octobre 2020, reçue le 5 novembre 2020, reprenant le terme du 27 novembre 2020 pour consulter et compléter le dossier mais reportant au 25 février 2021 la notification de la décision après avis du CRRMP ; qu'en énonçant que le délai de quarante jours imparti pour consulter, enrichir le dossier et présenter des observations ne courait qu'à compter de la réception par les destinataires de l'information communiquée par l'organisme, de sorte que l'employeur, qui n'avait bénéficié, selon la première lettre, que d'un délai de 27 jours, et selon la seconde lettre, que d'un délai de 23 jours pour consulter et compléter le dossier, n'avait pas été mis en mesure par la caisse de bénéficier du délai de 30 jours imparti pour consulter et compléter le dossier, la cour d'appel a violé l'article R. 461-10 du code de la sécurité sociale ;
5°/ que le principe du contradictoire est respecté et la décision de prise en charge de la caisse opposable aux parties dès lors que l'employeur, la victime ou ses représentants, ont pu consulter le dossier complet et formuler leurs observations pendant un délai de dix jours francs avant son transfert au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ; qu'en l'espèce la cour d'appel a constaté, par motifs propres et adoptés, que la caisse avait adressé à l'employeur une lettre du 30 octobre 2020, reçue le 5 novembre 2020, lui accordant la possibilité de consulter et compléter le dossier jusqu'au 27 novembre 2020, puis de formuler des observations jusqu'au 8 décembre 2020 ; que l'employeur avait donc bénéficié d'un délai de dix jours francs pour consulter le dossier complet et formuler ses observations ; qu'en déclarant inopposable à l'employeur la décision de la caisse de reconnaitre le caractère professionnel de la maladie aux prétextes inopérants que l'employeur n'avait pas bénéficié du délai de 30 jours imparti pour consulter et compléter le dossier, ni du délai de 40 jours prévu pour consulter le dossier et faire part de ses observations, la cour d'appel a violé l'article R. 461-10 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles R. 461-9 et R. 461-10, alinéas 1 à 4 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue du décret n° 2019-356 du 23 avril 2019 :
4. Selon le premier de ces textes, la caisse primaire d'assurance maladie dispose d'un délai de cent-vingt jours francs pour statuer sur le caractère professionnel de la maladie ou saisir le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles mentionné à l'article L. 461-1. Durant cette période, elle est tenue d'engager des investigations et, dans ce cadre, elle adresse un questionnaire à la victime ou à ses représentants ainsi qu'à l'employeur.
5. Aux termes du second, lorsque la caisse saisit le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, elle dispose d'un nouveau délai de cent-vingt jours francs à compter de cette saisine pour statuer sur le caractère professionnel de la maladie. Elle en informe la victime ou ses représentants ainsi que l'employeur auquel la décision est susceptible de faire grief par tout moyen conférant date certaine à la réception de cette information. La caisse met le dossier mentionné à l'article R. 441-14, complété d'éléments définis par décret, à la disposition de la victime ou de ses représentants ainsi qu'à celle de l'employeur pendant quarante jours francs. Au cours des trente premiers jours, ceux-ci peuvent le consulter, le compléter par tout élément qu'ils jugent utile et faire connaître leurs observations, qui y sont annexées. La caisse et le service du contrôle médical disposent du même délai pour compléter ce dossier. Au cours des dix jours suivants, seules la consultation et la formulation d'observations restent ouvertes à la victime ou ses représentants et l'employeur. La caisse informe la victime ou ses représentants et l'employeur des dates d'échéance de ces différentes phases lorsqu'elle saisit le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, par tout moyen conférant date certaine à la réception de cette information. A l'issue de cette procédure, le comité régional examine le dossier. Il rend son avis motivé à la caisse dans un délai de cent-dix jours francs à compter de sa saisine.
6. Il résulte de ce texte qu'en cas de saisine d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, la caisse est tenue, d'une part, de mettre à disposition de la victime ou ses représentants et de l'employeur le dossier mentionné à l'article R. 441-14 durant un délai de quarante jours francs, d'autre part, d'informer les intéressés tant de la date à laquelle elle rendra au plus tard sa décision après cette saisine que des dates précises d'échéances des phases composant le délai de quarante jours.
7. Ce dernier délai se décompose, en effet, en deux phases successives. La première, d'une durée de trente jours, permet à la victime ou ses représentants, et à l'employeur de verser au dossier toute pièce utile, et de formuler des observations, la caisse et le service du contrôle médical pouvant également compléter le dossier. La seconde, d'une durée de dix jours, permet aux parties d'accéder au dossier complet, sur la base duquel le comité régional rend son avis, et de formuler des observations.
8. L'économie générale de la procédure d'instruction à l'égard de la victime ou ses représentants et de l'employeur impose la fixation de dates d'échéances communes aux parties. Dès lors, il convient de retenir que le délai de quarante jours, comme celui de cent-vingt jours prévu pour la prise de décision par la caisse dans lequel il est inclus, commence à courir à compter de la date à laquelle le comité régional est saisi par celle-ci.
9. Par ailleurs, il appartient à la caisse de démontrer que l'employeur, auquel la décision est susceptible de faire grief, a reçu l'information sur les dates d'échéance des différentes phases de la procédure. Cependant, seule l'inobservation du dernier délai de dix jours avant la fin du délai de quarante jours, au cours duquel les parties peuvent accéder au dossier complet et formuler des observations, est sanctionnée par l'inopposabilité, à l'égard de l'employeur, de la décision de prise en charge.
10. Pour déclarer la décision de prise en charge inopposable à l'employeur, l'arrêt retient que le délai de quarante jours court à compter de la réception par les destinataires de l'information communiquée par la caisse. Ayant relevé que cette dernière a envoyé une première lettre recommandée, dont l'employeur a accusé réception le 30 octobre 2020, mentionnant que le délai de trente jours expirait le 27 novembre 2020, puis une seconde lettre, dont l'employeur a accusé réception le 5 novembre 2020, annulant et remplaçant la première tout en mentionnant la même date d'échéance, l'arrêt constate que l'employeur n'a disposé que d'un délai de 23 jours pour consulter et compléter le dossier.
11. En statuant ainsi, alors que l'inobservation du délai de trente jours n'entraîne pas l'inopposabilité de la décision de prise en charge de la caisse, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;
Condamne la société [2] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [2] et la condamne à payer à la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le cinq juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.