CIV. 2
AF1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 5 juin 2025
Rejet
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 568 F-B
Pourvoi n° R 23-11.468
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 JUIN 2025
1°/ M. [D] [S], domicilié [Adresse 6],
2°/ Mme [Y] [S], domiciliée [Adresse 3],
3°/ Mme [M] [S], domiciliée [Adresse 1],
4°/ Mme [O] [S], domiciliée [Adresse 4],
tous les quatre, agissant en qualité d'ayants droit de [T] [S] décédé le 16 avril 2017,
ont formé le pourvoi n° R 23-11.468 contre l'arrêt rendu le 29 novembre 2022 par la cour d'appel de Nîmes (chambre sociale, 5e chambre pôle social), dans le litige les opposant :
1°/ à la société [7], dont le siège est [Adresse 5], venant aux droits de la société [10],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie du Gard, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, dont le siège est [Adresse 9],
défenderesses à la cassation.
Le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, Ã l'appui de leur recours, un moyen de cassation.
Le demandeur au pourvoi incident invoque, Ã l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lerbret-Féréol, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [S], Mme [Y] [S], Mme [M] [S] et Mme [O] [S], de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, et l'avis de Mme Pieri-Gauthier, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 avril 2025 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Lerbret-Féréol, conseiller référendaire rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 29 novembre 2022), le 22 juillet 2004, la caisse primaire d'assurance maladie du Gard (la caisse) a pris en charge, au titre du tableau n° 30 B, la pathologie relative à des épaississements pleuraux, déclarée par [T] [S] (la victime), salarié de la société [7] (l'employeur), venant aux droits de la société [10], puis la rechute déclarée au titre d'un mésothéliome, suivant un certificat médical du 15 février 2017.
2. La victime étant décédée le 16 avril 2017, M. [D] [S], Mme [Y] [S], Mme [M] [S] et Mme [O] [S] (les ayants droit) ont engagé, le 12 octobre 2017, une instance en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, au cours de laquelle le Fonds d'indemnisation des victimes (le FIVA) a comparu volontairement.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal, formé par les ayants droit et le moyen du pourvoi incident, formé par le FIVA, réunis
Enoncé des moyens
3. Les ayants droit de la victime font grief à l'arrêt de déclarer l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur prescrite, et de prononcer l'irrecevabilité du recours, alors :
« 1°/ que la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, qui est indépendante de la prise en charge au titre de la législation professionnelle, n'implique pas que l'accident ou la maladie ait été préalablement déclaré à la caisse par la victime, ou pris en charge comme tel par l'organisme social, la juridiction de sécurité sociale étant en mesure, après débat contradictoire, de rechercher si l'accident ou la maladie présente un caractère professionnel, et si l'assuré établit avoir été victime d'une faute inexcusable de l'employeur ; que pour déclarer les ayants droit de la victime prescrits dans leur demande tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la cour d'appel a retenu « que la victime, dont la lésion a été prise en charge par la caisse à titre de rechute, suivant décision devenue définitive à son égard, n'est pas fondée à contester ultérieurement cette qualification à l'appui de son action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur. En l'espèce, la victime a déclaré sa maladie le 17 février 2004 sur la base d'un certificat médical du 30 décembre 2003, mentionnant une date de première constatation médicale au même jour (…) le Docteur [G] [H], pneumologue au CHU de [Localité 8], a expressément indiqué sur le certificat médical faisant état du « mésothéliome » qu'il s'agissait d'une « rechute » (…) Le médecin conseil de la caisse a estimé qu'il s'agissait d'une demande d'aggravation, et le mésothéliome de la victime a été instruit en tant que telle. Aucune demande de prise en charge n'a été sollicitée sur le fondement d'une nouvelle déclaration de maladie professionnelle (…) c'est donc aux termes d'une décision aujourd'hui définitive que le mésothéliome diagnostiqué en 2017 a été pris en charge comme une rechute des épaississements pleuraux de 2004, de sorte qu'aucun nouveau délai de prescription n'a commencé à courir. Aussi, ce mésothéliome ne peut pas s'assimiler à une nouvelle maladie. Les appelants ne peuvent utilement soutenir qu'ils ne sauraient souffrir d'une erreur d'instruction de la caisse qui ne joue que dans les rapports caisse employeur alors que la décision qui leur a été notifiée et qu'ils n'ont pas contestée leur est parfaitement opposable. En outre, la victime, dont la lésion a été prise en charge par la caisse à titre de rechute, suivant décision devenue définitive à son égard, n'est pas fondée à contester ultérieurement cette qualification à l'appui de son action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, en l'espèce la caisse a adressé une notification de rente à compter du 15 février 2017, basée sur un taux d'incapacité permanente de 100 % sur le fondement de la déclaration d'aggravation ce qui n'a pas été contesté par la victime » ; qu'en refusant qu'un débat contradictoire puisse s'instaurer au stade de la reconnaissance de la faute inexcusable sur la qualification du mésothéliome en tant que maladie ou rechute, la cour d'appel a violé les articles L. 443-1, L. 443-2 , L. 452-1 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale ;
2°/ qu'en défense à l'action en reconnaissance de la faute inexcusable introduite par la victime ou ses ayants droit c'est à dire dans les rapports entre celle-ci et l'employeur celui-ci peut soutenir que l'accident, la maladie ou la rechute n'a pas d'origine professionnelle, en revanche, il n'est pas recevable à solliciter l'inopposabilité de l'affection dont est atteinte la victime ; qu'en effet, la décision de prise en charge de l'accident, de la maladie ou de la rechute par la caisse primaire au titre de la législation sur les risques professionnels n'a trait qu'aux rapports entre la victime et l'organisme social ; que, si l'employeur n'est pas recevable à solliciter l'inopposabilité, à son égard, de l'affection dont est atteinte la victime, il n'est pas plus recevable à solliciter l'opposabilité à l'égard de la victime de la décision de prise en charge de l'accident, de la maladie ou de la rechute par la caisse primaire au titre de la législation sur les risques professionnels puisque pour les mêmes raisons cette décision n'a trait qu'aux rapports entre la victime et l'organisme social auxquels l'employeur est étranger ; que, dans ses écritures, l'employeur soutenait que l'assuré ne pouvait pas, au stade de sa demande de reconnaissance de faute inexcusable, contester la qualification de rechute retenue par la caisse ; que la cour d'appel faisant droit à ce moyen, a retenu que la victime, dont la lésion a été prise en charge par la caisse à titre de rechute, suivant décision devenue définitive à son égard, n'est pas fondée à contester ultérieurement cette qualification à l'appui de son action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ; qu'en statuant ainsi cependant que l'irrégularité de la procédure suivie, ayant conduit à la prise en charge, par la caisse , au titre de la législation professionnelle, d'un accident, d'une maladie ou d'une rechute, est sans incidence sur l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur la cour d'appel a violé les articles L. 443-1, L. 443-2, L. 452-1 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale ;
3°/ que sauf à placer la victime en situation de net désavantage par rapport à l'employeur, dès lors qu' il est admis qu'en défense à l'action en reconnaissance de la faute inexcusable introduite par la victime, l'employeur peut soutenir que l'accident, la maladie ou la rechute n'a pas d'origine professionnelle, alors, réciproquement, en demande à cette action en reconnaissance de la faute inexcusable, la victime peut soutenir que l'accident, la maladie ou la rechute a une origine professionnelle ; qu'en effet, la décision de prise en charge de l'accident, de la maladie ou de la rechute par la caisse primaire au titre de la législation sur les risques professionnels n'a trait qu'aux rapports entre la victime et l'organisme social ; qu'au stade de la reconnaissance de la faute inexcusable, cette décision qui ne s'impose pas à l'employeur, ne s'impose pas davantage à la victime ; qu'en retenant que la victime, dont la lésion a été prise en charge par la caisse à titre de rechute, suivant décision devenue définitive à son égard, n'est pas fondée à contester ultérieurement cette qualification à l'appui de son action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la cour d'appel a violé les articles L. 443-1, L. 443-2, L. 452-1 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le principe d'égalité des armes. »
4. Le FIVA fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors :
« 1°/ qu'aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, qui est indépendante de la prise en charge de l'accident, de la maladie ou de la rechute, au titre de la législation professionnelle, les ayants droit de la victime et le FIVA, subrogé dans leurs droits, sont recevables à soutenir que la maladie prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie à titre de rechute d'une maladie antérieure, constitue une maladie professionnelle distincte trouvant son origine dans la faute inexcusable de l'employeur et faisant courir le délai de prescription de l'article L. 431-2 du code de la sécurité sociale ; qu'en jugeant, pour dire prescrite l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, que la survenance d'une rechute ou le décès de la victime ne font pas courir un nouveau délai de la prescription biennale de l'article L. 431-2 du code de la sécurité sociale et que la victime, dont la lésion a été prise en charge par la caisse à titre de rechute par une décision définitive à son égard, n'est pas fondée à contester ultérieurement cette qualification au soutien de son action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et que c'est par une décision définitive que le mésothéliome présenté par la victime, diagnostiquée en 2017, a été pris en charge comme rechute des épaississements pleuraux de 2004, de sorte qu'aucun nouveau délai de prescription n'a couru, la cour d'appel a violé les articles L. 431-2, L. 452-et L. 461-1 1 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 53, VI de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 ;
2°/ que sauf à placer la victime en situation de net désavantage par rapport à l'employeur, dès lors qu'il est admis qu'en défense à l'action en reconnaissance de la faute inexcusable introduite par la victime, l'employeur peut soutenir que la maladie n'a pas d'origine professionnelle, la victime, réciproquement, au soutien de son action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, doit pouvoir soutenir que la maladie a une origine professionnelle, sans que puisse lui être opposée la décision prise par la caisse primaire d'assurance maladie qui n'a d'effet que dans ses rapports avec l'organisme social ; qu'en considérant que la victime, dont le mésothéliome diagnostiqué en 2017 a été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie à titre de rechute des plaques pleurales dont le caractère professionnel a été reconnu en 2004 par une décision définitive à son égard, n'est pas fondée à contester ultérieurement cette qualification au soutien de son action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, pour dire l'action irrecevable comme prescrite, la cour d'appel a violé les articles L. 431-2, L. 452-1 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 53, VI de la loi n°2000-1257 du 23 décembre 2000 et l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le principe d'égalité des armes. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte des articles L. 431-2 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale que l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur se prescrit par deux ans à compter, notamment, de la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle ou de la cessation du paiement des indemnités journalières.
6. La survenance d'une rechute d'une maladie professionnelle n'a pas pour effet de faire courir à nouveau la prescription biennale prévue par l'article L. 431-2 du code de la sécurité sociale.
7. La victime, dont la lésion a été prise en charge par la caisse à titre de rechute, par une décision devenue définitive à son égard, n'est pas fondée à contester ultérieurement cette qualification à l'appui de son action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
8. Ayant constaté que le mésothéliome, diagnostiqué en 2017, avait été pris en charge par la caisse à titre de rechute des épaississements pleuraux, par une décision devenue définitive à l'égard des ayants droit de la victime, la cour d'appel a exactement déduit, sans méconnaître le principe d'égalité des armes, que ces derniers n'étaient pas fondés à soutenir que le mésothéliome constituait une nouvelle pathologie susceptible de faire courir à nouveau le délai de prescription biennale prévu par l'article L. 431-2 du code de la sécurité sociale, de sorte que l'action engagée le 12 octobre 2017, plus de deux ans après le versement des indemnités journalières du 6 février 2008, était prescrite.
9. Les moyens ne sont, dès lors, pas fondés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne M. [D] [S], Mme [Y] [S], Mme [M] [S], Mme [O] [S] et le Fonds d'indemnisation des victimes aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le cinq juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.