LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
AF1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 19 juin 2025
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 600 F-D
Pourvoi n° N 23-23.333
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 JUIN 2025
M. [N] [Y], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 23-23.333 contre l'arrêt rendu le 17 octobre 2023 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société MMA IARD, société anonyme,
2°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles, société anonyme,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 1]
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Cassignard, conseiller, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de M. [Y], de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat des sociétés MMA IARD, et MMA IARD assurances mutuelles, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 mai 2025 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Cassignard, conseiller rapporteur, Mme Isola, conseiller doyen, Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 17 octobre 2023) rendu sur renvoi après cassation (2ème Civ., 20 janvier 2022, pourvoi n° 20-16.012), le 19 mars 2004, M. [Y] a été blessé par la chute du mât d'une foreuse louée à la société Sondefor, laquelle bénéficie d'une assurance automobile souscrite auprès de la société Covea fleet, devenue les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les assureurs).
2. Par jugement du 3 septembre 2010, un tribunal de grande instance a, notamment, dit que M. [Y] était bien fondé à solliciter auprès de la société Covea fleet la réparation intégrale des conséquences dommageables de l'accident.
3. Le 12 novembre 2015, M. [Y] a assigné la société Sondefor et les assureurs, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 3], devant un tribunal de grande instance, à fin d'indemnisation de son préjudice.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. M. [Y] fait grief à l'arrêt de condamner in solidum les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la société Covea Fleet, à lui payer les intérêts au double du taux de l'intérêt légal sur le montant de l'offre présentée le 10 juin 2015, avant imputation de la créance des tiers payeurs et déduction des provisions versées, à compter du 20 novembre 2004 et jusqu'au 10 juin 2015 seulement, alors qu'« une simple demande de justificatifs émanant de l'assureur ne peut être assimilée à la correspondance prévue par l'article R. 211-39 du code des assurances par laquelle l'assureur demande à la victime de lui donner les renseignements concernant le montant de ses revenus professionnels avec les justificatifs utiles et lui rappelle les conséquences d'un défaut de réponse ou d'une réponse incomplète ; que, pour débouter M. [Y] de sa demande de condamnation de l'assureur au double du taux de l'intérêt légal à compter du 20 novembre 2004 jusqu'au jour de la décision à venir devenue définitive, la cour d'appel a retenu que l'offre du 10 juin 2015 n'était pas insuffisante ou incomplète dans la mesure où il était demandé à la victime la communication des avis d'imposition depuis 2012 pour chiffrer l'offre au titre du retentissement professionnel ; qu'en statuant ainsi, quand seule une demande de renseignement adressée à la victime répondant aux formes et conditions requises par l'article R. 211-39 du code des assurances était de nature à suspendre le délai prévu par l'article L. 211-9 du même code, la cour d'appel a violé les articles L. 211-9, L. 211-13, R. 211-31, R. 211-37 et R. 211-39 du code des assurances ; »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. Les assureurs contestent la recevabilité du moyen, qui serait nouveau, mélangé de fait et de droit, et, comme tel, irrecevable.
6. Cependant, le moyen est né de la décision attaquée, en ce que, pour exclure le caractère incomplet de l'offre de l'assureur, elle énonce qu'il avait été demandé à la victime des justificatifs pour chiffrer l'offre au titre du retentissement professionnel.
7. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 211-9, L. 211-13, R. 211-37 et R. 211-39 du code des assurances :
8. Il résulte des deux premiers de ces textes que l'assureur qui garantit la responsabilité du conducteur d'un véhicule impliqué dans un accident de la circulation est tenu de présenter à la victime une offre d'indemnité comprenant tous les éléments indemnisables du préjudice et que lorsque l'offre n'a pas été faite dans les délais impartis par le premier texte, le montant de l'indemnité offerte par l'assureur ou allouée par le juge à la victime produit intérêts de plein droit, au double du taux de l'intérêt légal, à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif.
9. Il résulte des deux derniers, notamment, que la victime est tenue, à la demande de l'assureur, de lui donner les renseignements concernant le montant de ses revenus professionnels avec les justificatifs utiles ainsi que la description des atteintes à sa personne accompagnée d'une copie du certificat médical initial et autres pièces justificatives en cas de consolidation, et que la correspondance adressée à cette fin par l'assureur mentionne les informations prévues à l'article L. 211-10 du code des assurances et rappelle à l'intéressé les conséquences d'un défaut de réponse ou d'une réponse incomplète.
10. Pour décider que les intérêts au double du taux de l'intérêt légal devaient courir jusqu'à la date de l'offre faite le 10 juin 2015 et fixer en conséquence l'assiette du doublement des intérêts, l'arrêt énonce que cette offre n'était pas insuffisante ou incomplète dans la mesure où, si l'assureur n'a pas fait de proposition d'indemnisation au titre du retentissement professionnel, il a demandé à la victime la communication des avis d'imposition depuis 2012 pour chiffrer ce poste de préjudice.
11. En statuant ainsi, par des motifs faisant ressortir que l'offre de l'assureur ne comprenait pas tous les éléments indemnisables du préjudice, et alors qu'une simple demande de justificatifs émanant de l'assureur, dont elle faisait le constat, ne peut être assimilée à la correspondance prévue par l'article R. 211-39 du code des assurances, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
12. La cassation des chefs de dispositif concernant le versement des intérêts au double de l'intérêt légal n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant les assureurs aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :
-infirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné in solidum les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la société Covea fleet, à payer à M. [Y] les intérêts au double du taux de l'intérêt légal sur le montant de l'offre effectuée le 10 juin 2015, avant imputation de la créance des tiers payeurs et déduction des provisions versées, à compter du 22 mai 2015 et jusqu'au 10 juin 2015
-condamne in solidum les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la société Covea fleet, à payer à M. [Y] les intérêts au double du taux de l'intérêt légal sur le montant de l'offre effectuée le 10 juin 2015, avant imputation de la créance des tiers payeurs et déduction des provisions versées, à compter du 20 novembre 2004 et jusqu'au 10 juin 2015, l'arrêt rendu le 17 octobre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles et les condamne in solidum à payer à M. [Y] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le dix-neuf juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.