LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CH10
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 19 juin 2025
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 604 F-D
Pourvoi n° V 23-21.316
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 JUIN 2025
M. [I] [S], domicilié [Adresse 2] (République tchèque), a formé le pourvoi n° V 23-21.316 contre l'arrêt rendu le 25 mai 2023 par la cour d'appel de Nîmes (1re chambre civile), dans le litige l'opposant au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), dont le siège est [Adresse 1], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, six moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Salomon, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de M. [S], de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 mai 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, Mme Salomon, conseiller rapporteur, Mme Isola, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 25 mai 2023), engagé du 10 juin au 31 juillet 2008 par la société tchèque Darius et immédiatement mis à disposition de la société Dancoing pour servir comme matelot sur un bateau naviguant en France sous les ordres de M. [H], M. [S], ressortissant tchèque, a été victime, le 9 juillet 2008, d'un accident au cours d'une manoeuvre de désarrimage.
2. Par jugement du 8 mars 2012, un tribunal correctionnel a déclaré M. [H] coupable des délits de navigation sans titre de navigation valable et de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité supérieure à trois mois sur la personne de M. [S].
3. La victime a saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI).
Examen des moyens
Sur le premier moyen en ce qu'il fait grief à l'arrêt de confirmer la décision en ce qu'elle a liquidé à la somme de 45 635,68 euros le préjudice subi au titre des dépenses de santé futures et des dépenses consécutives à la réduction d'autonomie et sur les quatrième, cinquième et sixième moyens
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt d'infirmer la décision et de fixer le préjudice de M. [S] aux sommes de 25 193,46 euros au titre de la perte de gains professionnels temporaires, de 51 045,60 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs, de 13 782 euros au titre de l'assistance par une tierce personne temporaire et de 117 946,24 euros au titre de l'assistance par une tierce personne permanente
Enoncé du moyen
5. M. [S] fait grief à l'arrêt d'infirmer la décision de la CIVI et de fixer l'indemnisation de ses préjudices à la somme de 25 193,46 euros au titre de la perte de gains professionnels temporaires et à celle de 51 045,60 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs, à la somme de 13 782 euros au titre de l'assistance par une tierce personne temporaire et à la somme de 117 946,24 euros celle au titre de l'assistance par une tierce personne permanente, alors « qu'en n'appliquant pas le taux de change en vigueur à la date à laquelle elle statuait, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice. »
Réponse de la Cour
Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :
6. En application de ce principe, il incombe au juge d'évaluer le préjudice à la date à laquelle il rend sa décision.
7. Pour déterminer le salaire théorique de M. [S] et calculer la perte de gains professionnels actuels et futurs de la victime, l'arrêt retient que l'intéressé produit une attestation de la société EVD du 25 août 2020 précisant qu'il aurait été embauché comme matelot en septembre 2008 et que le salaire d'un matelot est de 16 000 couronnes tchèques, ce qui correspond à 640 euros et que le salaire d'un employé embauché comme matelot augmente automatiquement à la fin de la première année pour atteindre la somme de 20 000 couronnes tchèques par an, ce qui correspond à la somme de 800 euros.
8. Pour déterminer les coûts de l'assistance par une tierce personne temporaire et permanente, l'arrêt relève que le montant du salaire minimum en République tchèque est de 2,2 euros, soit 55 couronnes tchèques. Il ajoute que le taux horaire moyen habituellement retenu pour une victime résidant en France s'établit entre 16 et 25 euros. Il en déduit que, le salaire minimum en France étant de 9,61 euros selon l'intimé et de 2,2 euros en République tchèque, selon les données fournies par Eurostat le 26 février 2015, le salaire minimum tchèque représentant 23 % du salaire minimum français, il y a lieu de retenir un taux horaire de 6 euros.
9. En statuant ainsi, sans procéder, comme il le lui était demandé, à l'actualisation de l'indemnité allouée en réparation des préjudices de la victime en fonction du taux de conversion de la devise étrangère au jour de sa décision, la cour d'appel a violé le principe susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
10. La cassation des chefs de dispositif infirmant la décision sur la perte de gains professionnels temporaires, l'assistance par une tierce personne temporaire, la perte de gains professionnels futurs et l'assistance par une tierce personne permanente et fixant ces préjudices aux sommes de 25 193,46 euros au titre de la perte de gains professionnels temporaire, 13 782 euros au titre de l'assistance par une tierce personne temporaire, 51 045,60 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs et 117 946,24 euros au titre de l'assistance par une tierce personne permanente, et allouant ces sommes à M. [S] que le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions devra lui verser n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile et disant que les dépens, en ce compris les frais d'expertise, seront supportés par l'Etat, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il infirme la décision et fixe les préjudices de M. [S] aux sommes de 25 193,46 euros au titre de la perte de gains professionnels temporaire, 13 782 euros au titre de l'assistance par une tierce personne temporaire, 51 045,60 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs et 117 946,24 euros au titre de l'assistance par une tierce personne permanente, alloue ces sommes à M. [S] et dit que le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions devra les lui verser, l'arrêt rendu le 25 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions à payer à M. [S] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le dix-neuf juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.