LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CH10
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 19 juin 2025
Cassation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 613 F-D
Pourvoi n° T 24-20.375
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 JUIN 2025
M. [E] [B], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 24-20.375 contre l'arrêt rendu le 12 septembre 2024 par la cour d'appel de Versailles (chambre civile 1-3), dans le litige l'opposant au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, dont le siège est [Adresse 3], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Chauve, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [B], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 mai 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, Mme Chauve, conseiller rapporteur, Mme Isola, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 12 septembre 2024), en mars 2001, alors qu'il était âgé de cinq mois, M. [E] [B] a présenté un hématome sous-dural qui lui a laissé des séquelles.
2. Dans le cadre de l'instruction ouverte contre X pour violences volontaires sur mineur de 15 ans ayant entraîné une incapacité temporaire de travail supérieure à 8 jours, une expertise médicale a conclu que l'origine de l'hématome sous-dural est généralement traumatique, secondaire à un choc direct ou à un mécanisme traumatique.
3. Une ordonnance de non-lieu a été rendue le 30 septembre 2002 au motif qu'il ne résultait pas de l'information de charges contre quiconque d'avoir commis les faits visés dans le réquisitoire introductif.
4. Par requête du 16 octobre 2014, les parents de [E] [B] ont saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) à fin d'indemnisation. Le rapport de l'expertise ordonnée dans le cadre de cette procédure a été déposé le 3 mai 2019.
5. M. [E] [B], devenu majeur, a saisi le 9 mars 2020, une CIVI à fin d'indemnisation.
Examen des moyens
Sur le moyen relevé d'office
6. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article 706-5 du code de procédure pénale et l'article 2252 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 :
7. Selon le premier de ces textes, à peine de forclusion la demande d'indemnité doit être présentée dans le délai de trois ans à compter de l'infraction.
8. Selon le second, la prescription ne court pas contre les mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle, sauf ce qui est dit à l'article 2278 du code civil et à l'exception des autres cas déterminés par la loi.
9. La Cour de cassation juge qu'antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, le délai de forclusion prévu par l'article 706-5 du code de procédure pénale est suspendu pendant la minorité de la victime (2e Civ., 18 mars 1998, n° 97-10.555, publié ; 2e Civ., 20 avril 2000, n° 98-17.711, publié) et que les dispositions de la loi du 17 juin 2008 qui modifient les causes de report du point de départ ou de suspension de la prescription ne sont pas concernées par les dispositions transitoires prévues par ce texte et ne peuvent disposer que pour l'avenir (3e Civ., 16 septembre 2021, pourvoi n° 20-17.625, publié).
10. Il s'en déduit que, sous l'empire de ces textes, le délai de forclusion prévu par l'article 706-5 du code de procédure pénale est suspendu pendant la minorité de la victime lorsque les faits présentant le caractère matériel d'une infraction se sont produits avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008.
11. Pour déclarer M. [B] irrecevable en ses demandes, l'arrêt énonce que les nouvelles dispositions relatives à la prescription issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ne permettent plus d'appliquer les causes de suspension qu'elles prévoient aux délais de forclusion et en conclut que le délai de forclusion n'est pas suspendu pendant la minorité de la victime.
12. En statuant ainsi, alors qu'elle relevait que M. [B] est devenu majeur le [Date naissance 1] 2018, ce dont il se déduisait que sa saisine d'une CIVI le 9 mars 2020, pour des faits datant de 2001, est intervenue dans le délai de trois ans suivant sa majorité, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 septembre 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor Public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions et le condamne à payer à M. [B] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le dix-neuf juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.