SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 25 juin 2025
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 690 FS-B
Pourvoi n° R 23-22.830
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 25 JUIN 2025
M. [C] [L], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 23-22.830 contre l'arrêt rendu le 26 septembre 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 11), dans le litige l'opposant à la société Hop !, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La société Hop ! a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, Ã l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, Ã l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de M. [L], de la SAS Hannotin Avocats, avocat de la société Hop !, et l'avis de Mme Roques, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 26 mai 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine conseiller doyen, Mmes Degouys, Lacquemant, Nirdé-Dorail, Palle, Ménard, Filliol, conseillers, Mme Pecqueur, MM. Chiron, Leperchey, conseillers référendaires, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 septembre 2023), rendu sur renvoi après cassation (2e civ, 9 juin 2022, pourvoi n° 21-11.817), M. [L] a été engagé le 1er août 1990 par la société Brit Air, aux droits de laquelle vient la société Hop ! et exerçait en dernier lieu les fonctions de commandant de bord.
2. Il a été victime d'un accident du travail le 14 mars 2012.
3. Le 20 février 2013, le salarié a été déclaré inapte définitivement à exercer sa profession de navigant par décision administrative du Conseil médical de l'aéronautique civile (CMAC).
4. A l'issue des deux visites médicales en date des 20 mars et 4 avril 2013, le médecin du travail a déclaré le salarié inapte au poste de personnel navigant technique et précisé qu'il serait éventuellement apte à un poste au sol.
5. Le salarié a été licencié le 1er juillet 2014 pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal du salarié et le moyen du pourvoi incident de l'employeur
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire le licenciement pour inaptitude fondé sur une cause réelle et sérieuse et de le débouter de sa demande de dommages-intérêts à ce titre, alors « que les dispositions spéciales du code de l'aviation civile et du code des transports prévoyant la compétence du CMAC pour se prononcer sur le caractère définitif des inaptitudes des personnels navigants titulaires d'un titre aéronautique n'ont pas le même objet que les dispositions d'ordre public du code du travail ; qu'il appartient au médecin du travail de se prononcer sur l'inaptitude du pilote salarié conformément aux dispositions du code du travail ; que, lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités ; que cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise ; que, pour débouter le salarié de ses demandes au titre d'un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient qu' "un salarié, qui a été déclaré, par décision du CMAC, inapte définitivement à exercer la profession de personnel navigant classe 1 et 2, n'est pas apte à occuper un poste de personnel navigant quel qu'il soit sans que la société ne soit pour autant dans l'obligation de rechercher un poste de reclassement au sol dans la mesure où cela constituerait non pas une transformation du poste de travail occupé par M. [L], mais un changement de poste" et en déduit que "le salarié, qui au demeurant n'a pas contesté la décision du CMAC du 20 février 2013 le déclarant inapte définitivement à exercer la profession de navigant classe 1 et 2, ni la décision du médecin du travail du 4 avril 2013 le déclarant inapte au poste de personnel navigant, ne saurait reprocher à son employeur un manquement dans sa recherche d'un poste de reclassement au sol à laquelle celui-ci n'était pas tenu, peu important que le médecin du travail ait précisé le 4 avril 2013 qu'il serait éventuellement apte à un poste au sol" ; qu'en statuant ainsi, cependant que le médecin du travail est seul compétent pour statuer sur l'aptitude du salarié à occuper un emploi dans l'entreprise et qu'il lui appartenait de rechercher si l'employeur avait satisfait à son obligation de reclassement en proposant à M. [L] les postes disponibles dans l'entreprise et compatibles avec ses aptitudes résiduelles et les préconisations du médecin du travail - dont elle a constaté qu'il avait précisé, le 4 avril 2013, que le salarié serait éventuellement apte à un poste au sol - au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail, la cour d'appel a violé l'article L. 1226-10 du code du travail, en sa rédaction issue de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, et l'article R. 4624-31 du même code, en sa rédaction issue du décret n° 2008-244 du 7 mars 2008. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1226-10 et L. 1226-12 du code du travail, dans leur rédaction issue de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 :
8. Selon le premier de ces textes, lorsqu'à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. (...) L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail.
9. Selon le second, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues au texte précédent, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions.
10. Les dispositions spéciales du code de l'aviation civile prévoyant la compétence du CMAC pour se prononcer sur le caractère définitif des inaptitudes des personnels navigants titulaires d'un titre aéronautique n'ont pas le même objet que les dispositions d'ordre public du code du travail.
11. Pour débouter le salarié de ses demandes au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient qu'un salarié, qui a été déclaré, par décision du CMAC, inapte définitivement à exercer la profession de personnel navigant classe 1 et 2, n'est pas apte à occuper un poste de personnel navigant quel qu'il soit, sans que la société ne soit pour autant dans l'obligation de rechercher un poste de reclassement au sol dans la mesure où cela constituerait non pas une transformation du poste de travail occupé par le salarié, mais un changement de poste.
12. Il ajoute que le salarié, qui au demeurant n'a pas contesté la décision du Conseil médical de l'aéronautique civile du 20 février 2013 le déclarant inapte définitivement à exercer la profession de navigant classe 1 et 2, ni la décision du médecin du travail du 4 avril 2013 le déclarant inapte au poste de personnel navigant, ne saurait reprocher à son employeur un manquement dans sa recherche d'un poste de reclassement au sol à laquelle celui-ci n'était pas tenu, peu important que le médecin du travail ait précisé le 4 avril 2013 qu'il serait éventuellement apte à un poste au sol.
13. En statuant ainsi, après avoir énoncé que le médecin du travail avait déclaré le salarié inapte à son poste de personnel navigant technique mais avait précisé qu'il serait éventuellement apte à un poste au sol, ce dont il résultait qu'il appartenait au juge saisi de vérifier si l'employeur avait satisfait à son obligation de recherche de reclassement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
14. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que l'employeur a versé les cotisations de retraite complémentaire de mars 2013 à juillet 2014 et de le débouter de ses demandes tendant à ce qu'il soit constaté, d'une part, que la société Hop ! venant aux droits de la société Brit Air n'a plus procédé au règlement de ses cotisations de retraite complémentaire du personnel navigant à compter du mois de mars 2013 et ce jusqu'à son licenciement, d'autre part, que sa pension de retraite sera amputée d'une certaine somme par mois et de sa demande de condamnation de la société Hop ! venant aux droits de la société Brit Air à lui verser une somme à titre de dommages-intérêts en raison du préjudice subi, alors « que selon l'article L. 6527-1 du code des transports en sa rédaction issue de la loi n° 2011-12 du 5 janvier 2011, le personnel navigant professionnel civil salarié, nonobstant les dispositions du 2° de l'article L. 6521-2, qui exerce de manière habituelle la profession de navigant à titre d'occupation principale, bénéficie d'un régime complémentaire de retraite auquel il est obligatoirement affilié ; qu'aux termes de l'article L. 6521-1 du même code, en sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010,"est navigant professionnel de l'aéronautique civile toute personne exerçant de façon habituelle et principale, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, dans un but lucratif ou contre rémunération, l'une des fonctions suivantes : 1° Commandement et conduite des aéronefs ; 2° Service à bord des moteurs, machines et instruments divers nécessaires à la navigation de l'aéronef ; 3° Service à bord des autres matériels montés sur aéronefs, notamment les appareils photographiques et météorologiques ou destinés au travail agricole et les appareils destinés à la manœuvre des parachutes ; 4° Services complémentaires de bord comprenant, notamment, le personnel navigant commercial du transport aérien" ; que, peu important la déclaration d'inaptitude du personnel navigant professionnel par le CMAC, l'employeur est tenu de l'affilier à la Caisse de retraite complémentaire du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile (CRPNAC) tant qu'il ne l'a pas reclassé ou licencié ; qu'en décidant au contraire que "M. [L] ayant été déclaré inapte par le conseil médical de l'aéronautique civile le 20 février 2013, il ne faisait plus partie à compter de cette date du personnel navigant", de sorte que "son employeur n'avait plus l'obligation de cotiser à la CRPN à compter de cette date et contrairement à ce que prétend M. [L], sa pension n'a donc pas été amputée de la somme de 645,78 euros par mois", la cour d'appel a violé les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 6527-1, L. 6521-1, L. 6521-2, L. 6511-2 du code des transports, le premier et le troisième dans leur version issue de la loi n° 2011-12 du 5 janvier 2011, le deuxième dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2015-682 du 17 décembre 2015, et l'article R. 426-15-2 du code de l'aviation civile, devenu l'article R. 6527-24 du code des transports :
15. Selon le premier de ces textes, le personnel navigant professionnel civil salarié qui exerce de manière habituelle la profession de navigant à titre d'occupation principale, bénéficie d'un régime complémentaire de retraite auquel il est obligatoirement affilié.
16. Selon le deuxième, est navigant professionnel de l'aéronautique civile toute personne exerçant de façon habituelle et principale, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, dans un but lucratif ou contre rémunération, l'une des fonctions suivantes :
1° Commandement et conduite des aéronefs
(...)
17. Selon le troisième, nul ne peut faire partie du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile s'il n'est :
1° Titulaire d'un titre aéronautique en état de validité
(...)
18. Selon le quatrième, les titres aéronautiques désignés sous l'appellation de brevets, licences ou certificats attestent l'acquisition de connaissances générales théoriques et pratiques et ouvrent à leurs titulaires le droit de remplir les fonctions correspondantes, sous réserve, le cas échéant (...) de l'aptitude médicale requise correspondante.
19. Il résulte du cinquième que l'inaptitude permanente reconnue par le CMAC permet la liquidation anticipée des droits à pension CRPNAC.
20. Il résulte de ces dispositions que si la décision du CMAC, reconnaissant inapte permanent le personnel navigant professionnel civil salarié, met fin à l'exercice de l'activité de navigant et fixe la date d'effet du droit à pension, les sommes versées au personnel navigant au titre de la rémunération jusqu'à la rupture ou la modification du contrat de travail restent soumises à cotisations auprès de la CRPNAC.
21. Pour débouter le salarié de sa demande de paiement de dommages-intérêts en raison du préjudice subi par l'absence de cotisation de l'employeur au régime de retraite complémentaire du personnel navigant professionnel civil, l'arrêt retient que l'intéressé ayant été déclaré inapte par le Conseil médical de l'aéronautique civile le 20 février 2013, il ne faisait plus partie à compter de cette date du personnel navigant et qu'il s'ensuit que son employeur n'avait plus l'obligation de cotiser à la CRPNAC à compter de cette date.
22. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
23. La cassation des chefs de dispositif visés par les premier et troisième moyens n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci.
24. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le troisième moyen entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif condamnant l'employeur à payer au salarié des dommages-intérêts pour non-cotisation au régime AGIRC-ARRCO, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit le licenciement pour inaptitude fondé sur une cause réelle et sérieuse, en ce qu'il déboute M. [L] de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour défaut de paiement par la société Hop ! des cotisations de retraite complémentaire du personnel navigant et en ce qu'il condamne la société Hop ! à verser à M. [L] la somme de 26 200 euros d'indemnité en réparation du non-paiement des cotisations de retraite complémentaire AGIRC-ARRCO, l'arrêt rendu le 26 septembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Hop ! aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Hop ! et la condamne à payer à M. [L] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le vingt-cinq juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.