COMM.
HM
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 25 juin 2025
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 352 FS-B
Pourvoi n° U 24-10.440
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 25 JUIN 2025
Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° U 24-10.440 contre l'arrêt rendu le 25 octobre 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige l'opposant à la Société coopérative groupements d'achats des centres Leclerc (Galec), dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la Société coopérative groupements d'achats des centres Leclerc, et l'avis de Mme Texier, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 mai 2025 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Michel-Amsellem, Sabotier, Tréfigny, conseillers, M. Le Masne de Chermont, Mmes Comte, Bessaud, Bellino, M. Regis, conseillers référendaires, Mme Texier, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, du président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 octobre 2023), constatant que les conventions annuelles conclues en 2013, 2014 et 2015 entre la Société coopérative groupements d'achats des centres Leclerc (le Galec) et des fournisseurs prévoyaient que, lorsque les produits qu'elle référençait l'étaient également par la société Lidl, ils étaient soumis à une réduction de prix additionnelle et inconditionnelle, et soutenant que cette réduction n'était assortie d'aucune contrepartie, le ministre chargé de l'économie a assigné le Galec en annulation de ces clauses, en cessation de ces pratiques, en reversement à l'Etat des sommes perçues à ce titre et en paiement d'une amende civile sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 1°, du code de commerce, dans ses rédactions successivement en vigueur entre le 6 août 2008 et le 8 août 2015.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. Le ministre chargé de l'économie fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :
« 1°/ que l'application de l'article L. 442-6, I, 1°, du code de commerce exige seulement que soit constatée l'obtention d'un avantage quelconque ou la tentative d'obtention d'un tel avantage ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, quelle que soit la nature de cet avantage ; que la cour d'appel a constaté "l'existence d'une remise spécifique demandée par le Galec à ses fournisseurs pour les produits également référencés chez Lidl", ou "taxe Lidl", dans les contrats-cadres conclus entre 2013 et 2015 examinés par les services de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) ; que, pour écarter toutefois la demande de nullité des clauses prévoyant cette remise et les condamnations financières réclamées consécutivement, la cour d'appel a retenu notamment qu'elle ne rémunérait pas un service commercial ou toute autre obligation, mais "faisait partie intégrante de la négociation liée aux conditions de l'opération de vente" ; qu'en statuant par ce motif impuissant à écarter les demandes du ministre chargé de l'économie, la cour d'appel a violé les articles L. 441-6, L. 441-7 et L. 442-6, I, 1°, du code de commerce, dans leurs versions applicables entre 2013 et 2015 ;
2°/ qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers d'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu ; que, pour écarter la demande de nullité des clauses des contrats-cadres prévoyant la "taxe Lidl", la cour d'appel a retenu encore que cette remise ne serait pas dénuée de contrepartie, celle-ci consistant en un "maintien du flux d'affaires entre les parties" et que la preuve n'était pas apportée par le ministre chargé de l'économie du "caractère manifestement disproportionné de la remise (
) au regard des gains escomptés par ces derniers du référencement de leur gamme de produits dans les magasins de l'enseigne E. Leclerc" ; qu'en retenant que le maintien des relations d'affaires caractériserait une contrepartie à l'avantage accordé par les fournisseurs au Galec quand le référencement est inhérent à la relation commerciale et ne représente donc pas un avantage spécifique pour les fournisseurs, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les articles L. 441-6, L. 441-7 et L. 442-6, I, 1°, du code de commerce, dans leurs versions applicables entre 2013 et 2015 ;
3°/ qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers d'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ; que, pour écarter la demande de nullité des clauses prévoyant la "taxe Lidl", la cour d'appel a également retenu que la contrepartie à cette remise, consistant en "le maintien du flux d'affaires entre les parties", devait être appréciée au regard du "contexte de tension concurrentielle entre les distributeurs E. Leclerc et Lidl" ; qu'en statuant par ce motif impuissant à caractériser une contrepartie à l'avantage accordé par les fournisseurs, puisqu'il démontrait au contraire qu'il avait pour objet de protéger la position concurrentielle du groupe E. Leclerc sur le marché de la grande distribution et avantageait ainsi le Galec et non les fournisseurs, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les articles L. 441-6, L. 441-7 et L. 442-6, I, 1°, du code de commerce, dans leurs versions applicables entre 2013 et 2015. »
Réponse de la Cour
3. Selon l'article L. 441-6, I, du code de commerce dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, les conditions générales de vente communiquées par un producteur, un prestataire de services, un grossiste ou un importateur à un acheteur de produits ou un demandeur de prestations de services qui en fait la demande, constituent le socle unique de la négociation commerciale.
4. Selon l'article L. 441-7, I, du même code, une convention écrite conclue entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services indique les obligations auxquelles se sont engagées les parties, dans le respect des articles L. 441-6 et L. 442-6, en vue de fixer le prix à l'issue de la négociation commerciale. Elle fixe :
1° les conditions de l'opération de vente des produits ou des prestations de services telles qu'elles résultent de la négociation commerciale dans le respect de l'article L. 441-6, y compris les réductions de prix ;
2° les conditions dans lesquelles le distributeur ou le prestataire de services rend au fournisseur, à l'occasion de la revente de ses produits ou services aux consommateurs ou en vue de leur revente aux professionnels, tout service propre à favoriser leur commercialisation ne relevant pas des obligations d'achat et de vente, en précisant l'objet, la date prévue, les modalités d'exécution, la rémunération des obligations ainsi que les produits ou services auxquels elles se rapportent ;
3° les autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services, en précisant pour chacune l'objet, la date prévue et les modalités d'exécution, ainsi que la rémunération ou la réduction de prix globale afférente à ces obligations.
5. Selon l'article L. 442-6, I, 1°, dudit code, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers d'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu.
6. Il résulte de la combinaison de ces textes que seul l'avantage ne relevant pas des obligations d'achat et de vente consenti par le fournisseur au distributeur doit avoir pour contrepartie un service commercial effectivement rendu.
7. Après avoir constaté qu'était prévue, dans les contrats-cadre annuels 2013-2015, conclus entre chacun des fournisseurs et Le Galec, une remise de prix additionnelle de 10 % à la charge des fournisseurs pour les produits également référencés chez Lidl, et retenu qu'il résulte de l'analyse de ces contrats-cadre et leurs annexes que cette remise était prévue au titre des conditions de l'opération de vente des produits, au sens du 1° de l'article L. 441-7, I, du code de commerce, et non au titre de la rémunération d'un service commercial ou de toute autre obligation, au sens des 2° et 3° du même article, l'arrêt en déduit exactement que la remise litigieuse ne constituait pas un avantage devant avoir pour contrepartie un service commercial, au sens de l'article L. 442-6, I, 1°, du code de commerce.
8. Inopérant en ses deuxième et troisième branches, qui critiquent des motifs surabondants, le moyen n'est donc pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et le condamne à payer à la Société coopérative groupements d'achats des centres Leclerc la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le vingt-cinq juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.